Le Quotidien du 19 janvier 2021 : Sociétés

[Brèves] Coopératives agricoles : précisions importantes sur le défaut d’immatriculation et ses conséquences

Réf. : Cass. civ. 1, 6 janvier 2021, deux arrêts, n° 19-11.949, FS-P (N° Lexbase : A89404BQ) et n° 19-18.948, FS-P (N° Lexbase : A89014BB)

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par Vincent Téchené

le 13 Janvier 2021

► Les sociétés coopératives agricoles ne disposent de la personnalité juridique que si elles sont immatriculées, y compris celles constituées avant le 1er juillet 1978 ;

► Ensuite, s'il se déduit de l'article 25 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, portant statut de la coopération (N° Lexbase : L4471DIG), qu'est en principe interdit l'abandon de la qualité de coopérative agricole par voie de modification statutaire, celle-ci n'exclut pas, en revanche, la perte de cette qualité à la suite d'une disparition de la personnalité morale ;

► Par ailleurs, le défaut d'agrément d'un associé par le conseil d'administration d'une société coopérative agricole ne peut être invoqué que par la société ou ses associés ;

► Enfin, une société coopérative agricole, ayant perdu la personnalité morale faute de s'être immatriculée avant le 1er novembre 2002 et étant ainsi devenue une société en participation à cette date, ne peut être liquidée selon les règles propres aux sociétés coopératives agricoles, peu important l'expiration du temps pour lequel elle a été constituée.

Faits et procédure. Deux contentieux sont à l’origine des deux arrêts rendus pas la Cour de cassation, dans lesquelles elles posent des solutions identiques.

Une société coopérative agricole a, par contrat du 30 mai 1959, ayant pris effet le 1er août 1958, consenti à l'Institut national de la recherche agronomique un bail rural de cinquante ans sur un ensemble immobilier.

Première affaire. Selon les énonciations d'un acte notarié du 13 décembre 2012, rectifié le 15 mars 2013, la société coopérative agricole est devenue une société en participation le 1er novembre 2002 et la propriété de ses biens immobiliers a été transférée à l'ensemble de ses associés à cette même date. Le Haut Conseil de la coopération agricole (HCCA) a assigné la société coopérative agricole ainsi que ses associés devant, aux fins de voir, notamment, prononcer la nullité de l'acte notarié du 13 décembre 2012, rectifié le 15 mars 2013, et la liquidation de la société.

La cour d’appel de Poitiers ayant rejeté sa demande (CA Poitiers, 11 décembre 2018, n° 17/02316 N° Lexbase : A2208YQT), le HCCA a formé un pourvoi en cassation.

Seconde affaire. Parallèlement, soutenant que l'ensemble immobilier objet du bail leur avait été transféré le 1er novembre 2002 et faisant valoir qu'un tel transfert avait été constaté par acte notarié du 13 décembre 2012, rectifié le 15 mars 2013, les associés de la société en participation ayant succédé à la coopérative, ont saisi, avec cette dernière, le tribunal paritaire des baux ruraux aux fins de voir constater que l'INRA exploitait l'ensemble immobilier depuis le 1er août 2008 selon un bail rural verbal soumis au statut du fermage et ordonner une expertise en fixation du fermage.

La cour d’appel de Poitiers (CA Poitiers, 7 mai 2019, n° 17/02305 N° Lexbase : A6778ZAB) ayant droit aux prétentions des associés, l’INRA a formé un pourvoi en cassation.

Décision. Les moyens invoqués par le HCCA et l'INRA étant identiques, la Cour de cassation pose, dans ses deux arrêts du 6 janvier 2021, des solutions identiques. 

Obligation d’immatriculation au RCS de la SCA. La Haute juridiction commerce par rappeller que, selon l'article 1842 du Code civil (N° Lexbase : L2013AB8), les sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation. Par ailleurs, ce texte a vocation à s'appliquer à toutes les sociétés s'il n'en est autrement disposé par la loi en raison de leur forme ou de leur objet, conformément à l'article 1834 du même code (N° Lexbase : L2005ABU), et notamment aux sociétés constituées avant le 1er  juillet 1978, qui, après avoir bénéficié, en application de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 (N° Lexbase : L1471AIC), de la personnalité morale nonobstant leur absence d'immatriculation, ont été tenues, pour la conserver, de procéder, conformément à la loi « NRE » (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 N° Lexbase : L8295ASZ), à leur immatriculation avant le 1er  novembre 2002. En outre, la Haute juridiction relève que l'article L. 521-1 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L4237AEN) dispose que les sociétés coopératives agricoles forment une catégorie spéciale de sociétés, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales, et ont la personnalité morale, sans les dispenser expressément de la formalité d'immatriculation. Ainsi, pour la Cour, il résulte de la combinaison de ces textes que les sociétés coopératives agricoles ne disposent de la personnalité juridique que si elles sont immatriculées, y compris celles constituées avant le 1er juillet 1978.

Dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que, si l'article L. 521-1 du Code rural et de la pêche maritime attribue la personnalité morale aux sociétés coopératives agricoles, c'est à la condition qu'elles soient immatriculées au registre du commerce et des sociétés, et en a déduit qu'en l'absence d'immatriculation avant le 1er novembre 2002, la société coopérative agricole a perdu la personnalité morale et était devenue, de ce fait, une société en participation.

Abandon de la qualité de coopérative agricole. La Cour de cassation relève ensuite que l'article 25 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, portant statut de la coopération, dans sa rédaction issue de la loi n° 92-643 du 13 juillet 1992, dispose qu'aucune modification entraînant la perte de la qualité de coopérative ne peut être apportée aux statuts, sauf lorsque la survie de l'entreprise ou les nécessités de son développement l'exigent. Ainsi, s'il se déduit de cette disposition qu'est en principe interdit l'abandon de la qualité de coopérative agricole par voie de modification statutaire, celle-ci n'exclut pas, en revanche, la perte de cette qualité à la suite d'une disparition de la personnalité morale. Dès lors, pour la Haute juridiction, en retenant que le défaut d’immatriculation de la société coopérative agricole ne constituait pas une modification des statuts au sens de l'article 25 de la loi du 10 septembre 1947, et que la perte de sa personnalité juridique était un effet de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, qui subordonne le maintien de la personnalité morale des sociétés coopératives agricoles à leur immatriculation, la cour d’appel a fait ressortir que la transformation sociale litigieuse ne portait pas atteinte à l’interdiction de principe d’un abandon de la qualité de coopérative agricole par voie de modification statutaire.

Défaut d’agrément d’un associé. Par ailleurs, la Cour de cassation, énonçant que le défaut d'agrément d'un associé par le conseil d'administration d'une société coopérative agricole ne peut être invoqué que par la société ou ses associés, retient que le moyen, qui postule que le HCCA a qualité pour se prévaloir d'un tel défaut d'agrément, est inopérant.

Modalités de liquidation de la société. La Cour de cassation retient, enfin, que la société coopérative agricole ayant perdu la personnalité morale faute de s'être immatriculée avant le 1er novembre 2002 et étant ainsi devenue une société en participation à cette date, elle ne pouvait être liquidée selon les règles propres aux sociétés coopératives agricoles, peu important l'expiration du temps pour lequel elle avait été constituée. Dès lors, le moyen, qui postule une telle liquidation nonobstant la perte de la personnalité morale, ne peut donc être accueilli.

Rejet. Par conséquent, la Cour de cassation rejette les pourvois.

Pour aller plus loin : v. Étude : Les sociétés coopératives agricoles, Les règles de publicité, in Droit des sociétés, Lexbase (N° Lexbase : E6519ETM)

 

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