Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 22 décembre 2020, n° 446155, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A97924AW)
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N5845BY7
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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac
le 23 Décembre 2020
► Le Conseil d'État suspend l’exécution de la décision du préfet de police de Paris consistant à poursuivre l’utilisation de drones à des fins de police administrative dans le cadre de manifestations ou de rassemblements sur la voie publique ; il enjoint au préfet de police de cesser de procéder aux mesures de surveillance par drone de ces manifestations ou rassemblements, tant que n’aura pas été pris un texte autorisant la création, à cette fin, d’un traitement de données à caractère personnel.
Contexte. L’ordonnance de référé du Conseil d’État rendue le 18 mai 2020 (CE référé, 18 mai 2020, n° 440442 et n° 440445 N° Lexbase : A64093LX ; lire N° Lexbase : N3374BYM) enjoint à l’État de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement.
Faits et procédure. L'association « La Quadrature du Net » a, par une série de pièces produites à l'appui de sa demande, fait valoir que le préfecture de police continuait à recourir à des drones pour la surveillance de manifestations publiques à Paris, en méconnaissance de l’ordonnance précitée, et a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre la décision implicite du préfet de police de poursuivre l'utilisation d'un tel dispositif et de lui enjoindre de cesser toute captation d'image par ce procédé. L'association se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 4 novembre 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Décision du Conseil d'État
Il résulte de l’article 3, points 1 et 2, de la Directive n° 2016/680 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales (N° Lexbase : L9729K7H) que le dispositif de surveillance litigieux, qui consiste à collecter des données, grâce à la captation d'images par drone, afin de les transmettre, après application d'un procédé de floutage, au centre de commandement de la préfecture de police pour un visionnage en temps réel, constitue un traitement au sens de la Directive du 27 avril 2016.
Si ce dispositif permet de ne renvoyer à la direction opérationnelle que des images ayant fait l'objet d'un floutage, il ne constitue que l'une des opérations d'un traitement d'ensemble des données, qui va de la collecte des images par le drone à leur envoi vers la salle de commandement, après transmission des flux vers le serveur de floutage, décomposition de ces flux image par image aux fins d'identifier celles qui correspondent à des données à caractère personnel pour procéder à l'opération de floutage, puis à la recomposition du flux vidéo comportant les éléments floutés. Dès lors que les images collectées par les appareils sont susceptibles de comporter des données identifiantes, la circonstance que seules les données traitées par le logiciel de floutage parviennent au centre de commandement n'est pas de nature à modifier la nature des données faisant l'objet du traitement, qui doivent être regardées comme des données à caractère personnel.
Condition d’urgence remplie. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.
Eu égard au nombre important de personnes susceptibles de faire l'objet des mesures de surveillance litigieuses et à l'atteinte qu'elles sont susceptibles de porter à la liberté de manifestation et alors que le ministre n'apporte pas d'élément de nature à établir que l'objectif de garantie de la sécurité publique lors de rassemblements de personnes sur la voie publique ne pourrait être atteint pleinement, dans les circonstances actuelles, en l'absence de recours à des drones, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.
Existence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée. Il résulte de l’article 3, points 1 et 2, de la Directive du 27 avril 2016 que le dispositif de surveillance litigieux, qui constitue un traitement de données à caractère personnel et a pour finalités la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces, relève du champ d'application de la Directive du 27 avril 2016, dont le titre 3 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS) assure la transposition en droit interne.
Le moyen tiré de l'illégalité de la mise en œuvre, pour le compte de l'État, de ce traitement de données à caractère personnel sans l'intervention préalable d'un texte en autorisant la création et en fixant les modalités d'utilisation est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
L'ordonnance du 4 novembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est donc annulée.
Il y a lieu, par suite, de suspendre l'exécution de la décision du préfet de police de poursuivre l'utilisation de drones à des fins de police administrative dans le cadre de manifestations ou de rassemblements sur la voie publique et d'enjoindre au préfet de police de cesser, à compter de la notification de la présente ordonnance, de procéder aux mesures de surveillance par drone de ces manifestations ou rassemblements, tant que n'aura pas été pris un texte autorisant la création, à cette fin, d'un traitement de données à caractère personnel.
L'État versera à l'association « La Quadrature du Net » la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).
Pour aller plus loin : L'article 22 de la proposition de loi sécurité globale votée à l'Assemblée nationale fixe des règles de captation d'images par les autorités publiques, grâce aux caméras installées sur des drones. Lire S. Fucini, Proposition de loi relative à la sécurité globale : les dispositions controversées et les autres, Lexbase Pénal, décembre 2020 (N° Lexbase : N5709BY4). Voir proposition de loi, relative à la sécurité globale, adoptée le 24 novembre 2020 par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée [en ligne]. |
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