Le Quotidien du 18 décembre 2020 : Droit pénal international et européen

[Brèves] Condamnation d’un journaliste pour recel de violation du secret de l’instruction : la CEDH conclut à l’absence d’atteinte excessive à la liberté d’expression

Réf. : CEDH, 17 décembre 2020, Req. 61470/15, Sellami c/ France (N° Lexbase : A07524A4)

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[Brèves] Condamnation d’un journaliste pour recel de violation du secret de l’instruction : la CEDH conclut à l’absence d’atteinte excessive à la liberté d’expression. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/62902940-0
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par Adélaïde Léon

le 20 Janvier 2021

► La condamnation d’un journaliste pour recel de violation du secret professionnel répond à l’exigence de prévisibilité de la loi au sens de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) (N° Lexbase : L4743AQQ) ;

Cette ingérence présente un caractère légitime en ce qu’elle repose sur la nécessité de protéger le secret dont doivent pouvoir bénéficier les informations relatives à la conduite d’une enquête pénale et, plus généralement, de garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ;

La sanction prononcée sur ce fondement à l’encontre d’un journaliste ne constitue par une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression dès lors qu’elle ne risque pas d’avoir un effet dissuasif sur l’exercice de cette liberté par un journaliste souhaitant informer le public au sujet d’une procédure pénale en cours.

Rappel des faits. À la suite des viols de trois personnes, intervenus en décembre 2011, un portrait-robot du suspect a été établi par les services de l’identité judiciaire sur la base d’un témoignage. Le 3 janvier 2012, une information est ouverte sur l’ensemble des faits. Le 4 janvier, le commissaire responsable du service chargé des investigations, par commission rogatoire du juge d’instruction, est contacté par un journaliste. Le commissaire avertit ses principaux collaborateurs que ce dernier ne doit être destinataire d’aucune information. Le 11 janvier 2012, l’existence du portrait-robot est révélée par le magazine Le Nouveau Détective. Le lendemain, le quotidien Le Parisien publie trois articles rédigés par le journaliste susmentionné dont l’un est illustré du portrait-robot. Le 13 janvier 2012, à la suite de la publication litigieuse et dès lors que suspect avait été ultérieurement identifié par photographies et qu’il avait été établi que le portrait-robot ne lui correspondait pas, le juge d’instruction et la direction de la police judiciaire diffusent un appel à témoins et rendent publique une photographie de l’individu recherché.

Par la suite, le commissaire adresse à sa hiérarchie un rapport dénonçant une violation du secret de l’instruction révélée par la publication du portrait-robot dans Le Parisien. Le procureur de la République ordonne une enquête des chefs de recel de violation du secret de l’instruction.

Procédure. Le journaliste est déclaré coupable de recel de violation du secret professionnel par le tribunal correctionnel qui le condamne à une amende de 8 000 euros ainsi qu’à payer un euro de dommages-intérêts aux victimes constituées partie civiles. La cour d’appel confirme le jugement sur la culpabilité tout en réduisant la peine à une amende de 3 000 euros. Saisie, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le journaliste (Cass. crim., 9 juin 2015, n° 14-80.713, FS-P+B N° Lexbase : A8817NKR).

Invoquant l’article 10 de la CESDH, relatif à la liberté d’expression, le journaliste introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme afin de faire constater que sa condamnation pour recel de violation du secret professionnel, à la suite de la publication d’un portrait-robot établi par les services de police dans le cadre d’une enquête en cours, était contraire à la Convention

Décision de la Cour. La Cour rappelle qu’elle déjà jugé que la condamnation d’un journaliste pour recel de violation du secret professionnel sur le fondement de l’article 321-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1940AMS) répond à l’exigence de prévisibilité de la loi au sens de l’article 10 de la CESDH (CEDH, 7 juin 2007, Req. 1914/02, Dupuis et autres c/ France N° Lexbase : A8532DWW ; CEDH, 30 juin 2009, Req. 17215/06, Acquemand c/ France N° Lexbase : A0320GBH ; CEDH, 26 juin 2012, Req. 15054/07, Ressiot et autres c/ France N° Lexbase : A2135IQ7). En l’espèce, la Cour ne voit pas de raison de ne pas se prononcer ainsi.

La Cour souligne que l’ingérence fondée sur la nécessité de garantir le respect du secret professionnel poursuit un but légitime en ce qu’elle repose sur la nécessité de protéger le secret dont doivent pouvoir bénéficier les informations relatives à la conduite d’une enquête pénale et, plus généralement de garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Plus spécifiquement, la Cour note que le journaliste ne pouvait ignorer que le portrait-robot était couvert par le secret de l’instruction. S’il elle reconnait que le sujet à l’origine de l’article relevait de l’intérêt général la Cour souligne que l’information du public ne justifiait pas l’utilisation du portrait-robot. Elle fustige plus précisément la présentation sensationnaliste du portrait-robot laquelle visait avant tout à satisfaire la curiosité du public. La juridiction européenne ne manque pas de dénoncer le manque de déontologie professionnelle du journaliste lequel ne s’est pas préoccupé de la fiabilité du portrait-robot ou de son effet sur l’information judiciaire en cours, au mépris des devoirs et responsabilités qu’incombe la liberté d’expression.

La Cour rappelle par ailleurs que le risque d’influence sur la procédure justifie, en soi, l’interdiction de divulgation d’informations secrètes. En l’espèce, elle note d’ailleurs que les juridictions internes ont considéré que la parution de l’article avait entravé le déroulement normal des investigations puisque de nombreux lecteur avaient pris la diffusion du portrait-robot pour un appel à témoin, obligeant les autorités à divulguer la photographie de l’homme recherché. L’article litigieux était intervenu lors de l’une des phases les plus délicates de l’enquête.

S’agissant de la sanction prononcée, le Cour estime que les condamnations n’ont pas constitué une ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit à la liberté d’expression et ne sont pas susceptibles d’entrainer un effet dissuasif sur l’usage de cette liberté par un journaliste souhaitant informer le public au sujet d’une procédure pénale en cours.

La Cour conclut, en considération de la marge d’appréciation dont disposent les États et estimant que l’exercice de mise en balance des différents intérêts en jeu a été valablement réalisé par les juridictions internes qui ont appliqué les critères pertinents, qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 10 de la CESDH.

Pour aller plus loin : Evan Raschel, ÉTUDE : La liberté d'expression, Les restrictions à la liberté d'expression, in Droit de la presse, Lexbase (N° Lexbase : E4741Z84).

 

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