Réf. : Cass. soc., 4 avril 2012, n° 10-20.845, F-P+B (N° Lexbase : A1250II7)
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N1461BTB
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
le 19 Avril 2012
Résumé
Pour l'accomplissement de leur mission légale et la préservation de la confidentialité qui s'y attache les salariés protégés, au nombre desquels se trouvent les membres du conseil et les administrateurs des caisses de Sécurité sociale, doivent pouvoir disposer sur leur lieu de travail d'un matériel ou procédé excluant l'interception de leurs communications téléphoniques et l'identification de leurs correspondants. L'examen par l'employeur des relevés téléphoniques du téléphone mis à disposition du salarié permettant l'identification des correspondants de celui-ci porte ainsi atteinte à cette protection. |
Commentaire
I - La confidentialité réaffirmée des communications des salariés protégés
Qu'il s'agisse de surveiller la circulation d'informations sensibles ou, plus prosaïquement, de contrôler les dépenses de communications téléphoniques dans l'entreprise, il est parfois tentant pour l'employeur de mettre en place des systèmes de contrôle des communications (2). S'il n'est pas toujours nécessaire d'utiliser des systèmes très intrusifs tels que les écoutes téléphoniques (3), d'autres procédés comme la mise en place d'un autocommutateur permettant la surveillance des durées de communications sont relativement fréquents (4).
D'une manière générale, le caractère intrusif et l'atteinte potentielle au secret des correspondances de tels procédés de contrôle avaient mené la CNIL à imposer très tôt qu'ils fassent l'objet d'une déclaration simplifiée, d'une information individuelle des salariés et d'une consultation du comité d'entreprise (5).
Par un arrêt rendu le 6 avril 2004, la Chambre sociale de la Cour de cassation s'était prononcé, pour la première fois, sur l'obligation à la charge de l'employeur d'assurer la confidentialité des communications téléphoniques des représentants du personnel dans l'entreprise (6). La Chambre sociale énonçait alors que "pour l'accomplissement de leur mission légale et la préservation de la confidentialité qui s'y attache les salariés investis d'un mandat électif ou syndical dans l'entreprise doivent pouvoir y disposer d'un matériel ou procédé excluant l'interception de leurs communications téléphoniques et l'identification de leurs correspondants". Outre qu'il s'agissait de la première reconnaissance explicite du droit des représentants du personnel à bénéficier d'une ligne téléphonique (7), la décision impliquait la restriction du droit de l'employeur, nonobstant toute déclaration auprès de la CNIL, de surveiller les communications téléphoniques des représentants du personnel.
La règle posée par la décision de 2004 était relativement générale. Ainsi, par exemple, les textes relatifs aux locaux mis à la disposition des représentants du personnel n'avaient pas fait l'objet d'un visa, ce qui permettait de penser que toutes les communications devaient être protégées et non, seulement, celles passées depuis ces locaux. Elle comportait en revanche quelques limites.
D'abord, seuls semblaient concernés les salariés exerçant "un mandat électif ou syndical dans l'entreprise". Ainsi pouvait-on en déduire que les conseillers prud'hommes, les conseillers du salarié ou, comme dans l'espèce sous examen, les administrateurs de caisses de Sécurité sociale n'étaient pas concernés par la protection accordée. Ensuite, la décision intéressait une situation dans laquelle était mis en place un autocommutateur sans faire référence à d'autres systèmes de surveillance. Si l'on pouvait penser, a fortiori, que les systèmes d'écoutes téléphoniques devaient être soumis à la règle posée, des interrogations pouvaient demeurer quant au système plus simple de facture détaillée fournie par l'opérateur de téléphonie et permettant à l'employeur d'avoir accès à la liste des communications passées et des destinataires joints par le salarié. Le doute était d'autant plus permis que, s'agissant des salariés ne bénéficiant pas d'une protection particulière liée à un mandat de représentation, la Cour de cassation considérait que la vérification par l'employeur d'un relevé de communications téléphoniques du salarié ne constituait pas un procédé de surveillance illicite pour ne pas avoir été préalablement porté à la connaissance des salariés (8).
Dans cette affaire, un salarié était titulaire d'un mandat d'administrateur d'une URSSAF et occupait (9), dans son entreprise, des fonctions de directeur des ressources humaines. Dans le cadre de cet emploi lui était mis à disposition un téléphone portable professionnel. L'employeur avait pris la liberté de consulter la liste des appels passés via ce terminal, cela au moyen du relevé fourni par l'opérateur de téléphonie mobile. Le salarié saisit la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, comme cela est à nouveau permis aux salariés protégés depuis 2005 (10).
La cour d'appel à laquelle l'affaire était présentée refusa de prononcer la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur. Son argumentation reposait sur le fait que l'employeur s'était contenté d'examiner les relevés fournis par l'opérateur de téléphonie et n'avait, par conséquent, pas mis en place de système automatisé de surveillance des communications faisant l'objet d'une déclaration à la CNIL. Faute d'avoir mis en place un système de surveillance illicite, l'employeur ne pouvait se voir reprocher un manquement à ses obligations et la rupture ne pouvait être prononcée.
Malgré ce raisonnement, conforme à la position adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation en 2001 qui considérait alors que la consultation des relevés des opérateurs n'imposaient pas une information individuelle de chaque salarié (11), la même Chambre sociale casse la décision des juges d'appel au visa de l'article L. 2411-1, 13° du Code du travail (N° Lexbase : L3619IPQ), des articles 6, 17 et 21 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 informatique et liberté (N° Lexbase : L8794AGS) et, enfin, de l'article 7 de la délibération CNIL n° 2005-019 du 3 février 2005 (N° Lexbase : X0260ADY).
Reprenant et complétant les dispositions de l'article 7 de la délibération n° 2005-019 de la CNIL, la Chambre sociale dispose que "pour l'accomplissement de leur mission légale et la préservation de la confidentialité qui s'y attache les salariés protégés, au nombre desquels se trouvent les membres du conseil et les administrateurs des caisses de sécurité sociale, doivent pouvoir disposer sur leur lieu de travail d'un matériel ou procédé excluant l'interception de leurs communications téléphoniques et l'identification de leurs correspondants". Constatant que "l'examen par l'employeur des relevés téléphoniques du téléphone mis à disposition du salarié permettait l'identification des correspondants de celui-ci", la cour d'appel aurait dû prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail.
II - La confidentialité renforcée des communications des salariés protégés
Cela apparaît clairement, l'arrêt sous examen étend sensiblement la portée du droit des salariés protégés à la confidentialité de leurs communications, principalement d'ailleurs sous l'influence des délibérations de la CNIL dont on ne peut plus douter aujourd'hui qu'elles constituent une source du droit du travail qui ne peut plus être négligée. En effet, la délibération n° 2005-019 visée dans cet arrêt comporte des dispositions beaucoup plus générales que la délibération n° 94-113 que la Chambre sociale avait invoqué en 2004 puisqu'elle ne vise plus seulement les mesures spécifiques à adopter en matière d'autocommutateur téléphonique mais, plus globalement, les mesures spécifiques à l'usage des services de téléphonie, précisant que les salariés protégés "doivent pouvoir disposer d'une ligne téléphonique excluant toute possibilité d'interception de leurs communications ou d'identification de leurs correspondants".
En reprenant cette disposition, la Chambre sociale étend la protection des représentants du personnel à au moins deux égards.
D'abord, la confidentialité n'est plus assurée seulement en faveur des salariés investis d'un "mandat électif ou syndical dans l'entreprise" mais à tout "salarié protégé". La catégorie des salariés protégés est vaste et hétérogène : aux représentants du personnel et syndicaux de l'entreprise (délégué du personnel, membre du comité d'entreprise, délégué syndical ou représentant de la section syndicale) s'ajoutent les titulaires de mandats hors de l'entreprise (conseiller prud'hommes, administrateur de caisse de sécurité sociale, conseiller du salarié) et, même, des salariés qui n'exercent aucune mission de représentation (médecin du travail). On se souviendra, en outre, que le salarié qui demande l'organisation d'élections dans l'entreprise, les candidats aux élections professionnelles, les représentants à l'issue de leur mandat sont tous des salariés protégés... La catégorie des salariés protégés est donc autrement plus large que celle retenue jusqu'alors des salariés disposant d'un mandat électif ou syndical.
Ensuite donc, ce ne sont plus seulement les systèmes de surveillance automatisés qui sont prohibés mais tout moyen de porter atteinte à la confidentialité des communications. Si la mesure est louable tant il est indispensable que les représentants du personnel puissent préserver leur indépendance par le biais du secret des communications et correspondances, sa mise en oeuvre pourrait soulever quelques difficultés.
Faut-il, en effet, interdire à l'employeur de consulter les factures détaillées des opérateurs de téléphonie auprès desquels il a souscrit des abonnements pour les salariés en cause ? On peut penser que, plus simplement, l'employeur pourra s'interdire de demander des factures détaillées à l'opérateur.
Malgré tout, si la surveillance des factures est parfois détournée de son objectif premier afin de contrôler l'activité des salariés représentants du personnel, c'est oublier un peu vite qu'avant toute chose, la facture permet à l'employeur de s'assurer que le cocontractant, l'opérateur de téléphonie, n'exige pas de paiement pour des prestations dont l'employeur n'aurait pas bénéficié... Faudra-t-il, comme en matière de consultation des correspondances privées du salarié (12), que l'employeur ait recours à l'ordonnance sur requête pour contrôler qu'il n'a pas été floué par son fournisseur ?
Une autre difficulté pourrait émerger de la formule adoptée par la Chambre sociale comme d'ailleurs par la délibération de la CNIL. L'une comme l'autre énoncent, en effet, que les salariés protégés "doivent pouvoir disposer sur leur lieu de travail d'un matériel ou procédé excluant l'interception de leurs communications téléphoniques et l'identification de leurs correspondants". Deux interprétations de cette formule peuvent être adoptées.
La première laisse penser, simplement, que les procédés mis à disposition des salariés protégés doivent garantir la confidentialité des communications. La seconde, plus large, pourrait signifier que tout salarié protégé doit avoir accès à un procédé de communication téléphonique, lequel doit en outre garantir la confidentialité. Si une telle position devait être adoptée, il s'agirait d'une évolution fondamentale des moyens accordés aux salariés protégés dans l'entreprise. En effet, si les membres de la section syndicale, les membres du comité d'entreprise et les délégués du personnel disposent de moyens de communication dans le cadre du local que le Code du travail impose le plus souvent de mettre à leur disposition, aucune règle générale n'imposait jusqu'ici que tous les salariés protégés, dont nous avons rappelé qu'il s'agissait d'une catégorie très vaste, puissent bénéficier d'un moyen de communication téléphonique qui, en outre, soit protégé. Chaque conseiller du salarié, chaque conseiller prud'hommes, chaque administrateur de caisse de Sécurité sociale devrait pouvoir utiliser un téléphone protégé de l'accès de l'employeur à l'identification des correspondants.
Il est possible cependant de penser que cette interprétation ne sera pas retenue. En effet, nonobstant la généralité de la formule, la décision de la Chambre sociale comme la délibération de la CNIL n'intéressent pas le statut des représentants du personnel et salariés protégés d'une manière générale mais, plus spécialement, la protection de la confidentialité de leurs communications. Il paraît dès lors opportun d'interpréter la règle dans son environnement, eu égard à sa finalité, et de considérer ainsi qu'elle n'a seulement pour objet que de protéger les communications des salariés protégés lorsque un moyen de communication est mis à leur disposition.
(1) C. trav., art. L. 1222-4 (N° Lexbase : L0814H9Z).
(2) Portant atteinte au droit à la protection de la confidentialité des communications, la mesure doit être justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché comme l'exige l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P).
(3) V. par ex. TGI Paris, 4 avril 2006, n° RG 05/18400 (N° Lexbase : A6828DPL) et les obs. de G. Auzero, Obligations de l'employeur en cas de mise en place d'un dispositif d'écoutes téléphoniques, Lexbase Hebdo n° 218 du 8 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9155AKB). V. également Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98-42.090, inédit (N° Lexbase : A4968AG4).
(4) Pour une illustration, v. Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-45.279, F-D (N° Lexbase : A6083D43) ; JSL, 2008, p. 228 et la note de J.-E. Tourreil ; RDT, 2008, p. 242, obs. C. Sachs-Durand et R. de Quénaudon.
(5) Délibération CNIL n° 84-31 du 18 septembre 1984 ; Délibération CNIL n° 94-113 du 20 décembre 1994 (N° Lexbase : L0045DYC).
(6) Cass. soc., 6 avril 2004, n° 02-40.498, publié (N° Lexbase : A8005DB4) et les obs. de G. Auzero, Exercice des mandats de représentants du personnel et confidentialité des communications téléphoniques, Lexbase Hebdo n° 116 du 15 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1221ABT) ; D., 2004, p. 1122 ; TPS, 2004, comm. 194 ; SSL, 2004, n° 1166.
(7) V. G. Auzero, préc..
(8) Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.937, inédit (N° Lexbase : A4308ATQ).
(9) Mandat ouvrant droit à la protection offerte aux salariés protégés, v. C. trav., art. L. 2411-1, 13° (N° Lexbase : L3619IPQ).
(10) Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-40.251, publié (N° Lexbase : A2739DHW) et les obs. de Ch. Radé, Le représentant du personnel peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Lexbase Hebdo n°160 du 24 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2298AIX).
(11) Cass. soc., 15 mai 2001, préc..
(12) Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3963DWP) et les obs. de Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1969BBK).
Décision
Cass. soc., 4 avril 2012, n° 10-20.845, F-P+B (N° Lexbase : A1250II7) Cassation, CA Lyon, ch. soc., B, 19 mai 2010, n° 08/08897 (N° Lexbase : A8518GIC) Textes visés : C. trav., art. L. 2411-1, 13° (N° Lexbase : L3619IPQ) ; loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, art. 6, 17 et 21 (N° Lexbase : L8794AGS) ; délibération CNIL n° 2005-019 du 3 février 2005 (N° Lexbase : X0260ADY). Mots-clés : salariés protégés, communications téléphoniques, confidentialité des communications, consultation des relevés téléphoniques Liens base : (N° Lexbase : E2630ETL) |
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