Le Quotidien du 6 novembre 2020 : Propriété intellectuelle

[Brèves] Crédit mutuel contre Arkéa : la Cour de cassation confirme la licéité et l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque « Crédit mutuel »

Réf. : Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-16.887, FS-P+B (N° Lexbase : A96683XD)

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N5138BYX

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[Brèves] Crédit mutuel contre Arkéa : la Cour de cassation confirme la licéité et l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque « Crédit mutuel ». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/61251032-brevescreditmutuelcontrearkealacourdecassationconfirmelaliceiteetlacquisitionducaract
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par Vincent Téchené

le 04 Novembre 2020

► D’une part, si un signe contraire à l'ordre public ne peut être adopté comme marque ou élément de marque, la circonstance qu'un terme soit la désignation légale d'une activité réglementée ne suffit pas à en faire un signe contraire à l'ordre public ;

► D’autre part, un signe dépourvu de caractère distinctif intrinsèque peut acquérir un caractère distinctif par l'usage, quand bien même les termes dont est composé le signe seraient la désignation légale d'une activité réglementée ;

► Est confirmé l’arrêt d’appel ayant rejeté la demande d’annulation de la marque verbale « Crédit mutuel ».

Faits et procédure. Le réseau Crédit mutuel, régi par les dispositions des articles L. 512-55 (N° Lexbase : L3317HIP) et suivants et R. 512-19 (N° Lexbase : L8211LTB) et suivants du Code monétaire et financier, est formé, au niveau local, des caisses locales de crédit mutuel, au niveau régional, des caisses départementales ou interdépartementales, constituées par les caisses locales, et, au niveau national, de la caisse centrale du crédit mutuel, constituée par les caisses départementales ou interdépartementales. Chaque caisse de crédit mutuel doit adhérer à une fédération régionale de crédit mutuel, et chaque fédération régionale à la confédération nationale du crédit mutuel (CNCM), organe central du réseau Crédit mutuel, dont le rôle est notamment de veiller à la cohésion de ce réseau.

La CNCM est titulaire de la marque verbale collective « Crédit mutuel » dont les conditions d'utilisation sont régies par un règlement d'usage et contrôlées par le conseil d'administration de la CNCM. Sont notamment autorisées à utiliser cette marque les fédérations régionales de crédit mutuel et les caisses de crédit mutuel adhérentes. La CNCM ayant indiqué à la société Crédit mutuel Arkéa (la société Arkéa), qui regroupe trois fédérations régionales, qu'elle ne pourrait plus utiliser la marque collective « Crédit mutuel », ou toute combinaison de marques associant cette marque, si elle quittait le réseau Crédit mutuel, cette dernière l'a alors assignée en annulation de la marque.

La cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 27 février 2018, n° 16/14398 N° Lexbase : A5581XEG) a rejeté cette demande d’annulation de la marque collective en cause qui était alors fondée sur son caractère illicite et sur son absence de distinctivité. La société Arkéa a alors formé un pourvoi en cassation

Décision. La Cour de cassation devait se prononcer sur ces deux questions. Elle approuve en tous points l’arrêt d’appel.

  • Sur le caractère illicite

La Haute juridiction énonce que si, aux termes de l'article L. 711-3, b), du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3712ADT), alors applicable, ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe contraire à l'ordre public, la circonstance qu'un terme soit la désignation légale d'une activité réglementée ne suffit pas à en faire un signe contraire à l'ordre public.

La cour d’appel a relevé que la CNCM est l'organe central du groupe Crédit mutuel, chargée d'un rôle de contrôle, d'inspection et de représentation du réseau Crédit mutuel auprès des pouvoirs publics. Ainsi, pour la Haute juridiction, les juges du fond ont exactement déduit de cette seule constatation que l'enregistrement, par cette association, du signe « Crédit mutuel » en tant que marque collective n'était pas contraire à l'ordre public.

  • Sur le défaut de distinctivité

En premier lieu, la Cour de cassation énonce que l'article L. 711-2, dernier alinéa, du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3711ADS), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, prévoit la possibilité, pour tout signe dépourvu de caractère distinctif intrinsèque en vertu des a) et b) du même article, d'acquérir un caractère distinctif par l'usage. Une telle possibilité existe quand bien même les termes dont est composé le signe seraient la désignation légale d'une activité réglementée.

En second lieu, elle relève que l'arrêt constate que les caisses de crédit mutuel, membres du groupe Crédit mutuel, utilisent, sur l'ensemble du territoire national et depuis la fin des années 1950, les marques collectives dont la CNCM est titulaire, intégrant les termes « crédit mutuel ». En outre, le tableau de synthèse produit par la CNCM met en évidence l'usage du signe « Crédit mutuel », seul ou accompagné du logo du groupe Crédit mutuel ou d'autres éléments verbaux, pour des produits et des services des classes 9, 16, 35, 36, 38 et 41 nommément désignés, puis retient que, si, dans la grande majorité des exemples fournis, le signe « Crédit mutuel » n'apparaît pas seul, mais le plus souvent comme un élément d'une des marques semi-figuratives incluant le logo du groupe et, le cas échéant, le slogan « La banque à qui parler », le consommateur moyen ne gardera pas nécessairement en mémoire les autres éléments figuratifs ou verbaux, les mots « crédit mutuel » seuls retenant son attention et lui permettant aisément de percevoir les produits ou services désignés par la marque « Crédit mutuel » comme provenant du groupe Crédit mutuel. Enfin l’arrêt d’appel ajoute que la CNCM produit un sondage duquel il ressort que 89 % des personnes interrogées associent les termes « crédit mutuel » à une banque, et pour 55 % depuis au moins dix ans, ce qui est de nature à démontrer sans ambiguïté qu'une fraction significative du public concerné perçoit la marque « Crédit mutuel » comme identifiant les produits et services désignés par elle comme provenant du groupe Crédit mutuel.

Par conséquent, pour la Haute juridiction, la cour d'appel, qui a procédé à l'examen du caractère distinctif de la marque pour chacun des produits et services concernés et souverainement constaté que le signe « Crédit mutuel » était perçu par le public pertinent comme une indication de l'origine commerciale de ces produits et services, a légalement justifié sa décision.

Le pourvoi est donc rejeté.

Observations. On relèvera que la société Arkéa a également demandé l’annulation de la marque européenne « Crédit mutuel » invoquant en partie des argument similaires. Dans ce contentieux, en dernier lieu, le Tribunal européen, à l’instar de la Cour de cassation, a retenu que le droit de l'Union prévoit la possibilité pour tout signe dépourvu ab initio de caractère distinctif en vertu de l'article 7, paragraphe 1, sous b) à d), du Règlement n° 2017/1001 (N° Lexbase : L0640LGS) d'acquérir un caractère distinctif par l'usage, et ce quand bien même les termes dont est composé le signe litigieux désigneraient une activité réglementée par la loi. Mais, contrairement aux juges français il a annulé la décision de la Chambre des recours de l’EUIPO pour autant qu'elle a conclu que la marque contestée a acquis un caractère distinctif par l'usage pour les produits et les services pour lesquels elle était descriptive et non distinctive (Trib. UE, 24 septembre 2019, aff. T-13/18 N° Lexbase : A7092ZPD).

 

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