Le Quotidien du 23 septembre 2020 : Famille et personnes

[Brèves] De l’impossibilité, pour une personne transgenre, d’être déclarée mère de l’enfant dont elle est le père biologique

Réf. : Cass. civ. 1, 16 septembre 2020, n° 18-50.080, FS-P+B+R (N° Lexbase : A37263UK)

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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 22 Septembre 2020

1° En l’état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père ;

2° de surcroît, la loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l’état civil, le père ou la mère de l’enfant comme « parent biologique ».

Dans cette affaire, Mme B et M. A se sont mariés le 14 août 1999. Deux enfants sont nés de cette union, respectivement le 18 novembre 2000 et le 13 mai 2004. En 2009, M. A a saisi le tribunal de grande instance de Montpellier d'une demande de modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil. Un jugement du 3 février 2011 a accueilli sa demande et dit qu'il serait désormais inscrit à l'état civil comme étant de sexe féminin. Cette décision a été portée en marge de son acte de naissance et de son acte de mariage. Le 18 mars 2014, Mme B a donné naissance à un troisième enfant, conçu avec Mme A, qui avait conservé la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins. L'enfant a été déclarée à l'état civil comme née de Mme B. Mme A a demandé la transcription, sur l'acte de naissance de l'enfant, de sa reconnaissance de maternité anténatale, ce qui lui avait été refusé par l'officier de l'état civil.

Décision de la cour d’appel. Saisie du litige, la cour d’appel de Montpellier avait également opposé un refus à la demande de transcription, sur l'acte de naissance de l'enfant, de la reconnaissance de maternité anténatale. Elle avait, néanmoins jugé que le lien biologique devait être retranscrit par l'officier de l'état civil, sur l'acte de naissance de la mineure sous la mention de Mme A, née le … … … à Paris 14° comme « parent biologique » de l'enfant.

Deux pourvois. L’intéressée avait alors formé un pourvoi s’agissant du rejet de sa demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité faite avant la naissance, invoquant divers droits fondamentaux, en particulier les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale N° Lexbase : L4798AQR) et 14 (interdiction de discrimination N° Lexbase : L4747AQU) de la CESDH et les article 3-1 (intérêt supérieur de l'enfant) et 7 (droit de l'enfant de connaître ses parents et d'être élevé par eux) de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL).

Le procureur général près la cour d’appel de Montpellier avait également formé un pourvoi en vue de contester la mention particulière « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant, alors que seules les mentions de « père et mère » ne sont prévues par la loi. 

La Cour de cassation a donc été amenée à se prononcer sur les deux questions ainsi soulevées dans cette affaire.

1° Demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité faite avant la naissance

Droit français. La réponse est très claire, selon la Cour suprême qui confirme qu'en l'état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l'état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n'est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l'enfant, mais ne peut le faire qu'en ayant recours aux modes d'établissement de la filiation réservés au père.

La Cour relève, en effet, d’abord, que les dispositions des articles 61-5 (N° Lexbase : L1864LBN), 61-8 (N° Lexbase : L1867LBR), 311-25 (N° Lexbase : L8813G9B), et 320 (N° Lexbase : L8822G9M) du Code civil s'opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l'égard d'un même enfant, hors adoption, et qu’en application des articles 313 (N° Lexbase : L5813ICB) et 316, alinéa 1 (N° Lexbase : L1994LMS), du même code, la filiation de l'enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l'acte de naissance de l'enfant.

Conformité aux droits fondamentaux/textes supra-nationaux/contrôle de proportionnalité. Dans une analyse très détaillée, la Cour relève que les dispositions du droit national précédemment exposées poursuivent un but légitime, au sens du second paragraphe de l'article 8 précité, en ce qu'elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation.

Elles sont conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant, d'une part, en ce qu'elles permettent l'établissement d'un lien de filiation à l'égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d'autre part, en ce qu'elles confèrent à l'enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l'état civil la même filiation que celle de ses frère et soeur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l'état civil l'indication d'une filiation paternelle à l'égard de leur géniteur, laquelle n'est au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d'actes de naissance qui leur sont communiqués.

En ce qu'elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l'établissement d'un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l'enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l'ayant conçu, ces dispositions concilient l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n'est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu'en ce qui la concerne, celle-ci n'est pas contrainte par là-même de renoncer à l'identité de genre qui lui a été reconnue.

Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu'elles ont ou non donné naissance à l'enfant, dès lors que la mère ayant accouché n'est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l'enfant avec un appareil reproductif masculin et n'ayant pas accouché.

En conséquence, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a constaté l'impossibilité d'établissement d'une double filiation de nature maternelle pour l'enfant, en présence d'un refus de l'adoption intra-conjugale, et rejeté la demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité de Mme A à l'égard de l'enfant.

2° Mention « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant

Sur ce point, l’arrêt est censuré, au visa de l'article 57 du Code civil, ensemble l'article 8 de la CESDH, par la Cour suprême, qui indique, très clairement, que la loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l'état civil, le père ou la mère de l'enfant comme « parent biologique ».

Selon la Cour de cassation, la cour d’appel ne pouvait dès lors créer une nouvelle catégorie à l'état civil ; et d’ajouter que, loin d'imposer une telle mention sur l'acte de naissance de l'enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle.

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