Le Quotidien du 22 septembre 2020 : Droits fondamentaux

[Brèves] Fouilles intégrales des détenus recevant des visites familiales au parloir : la justice sanctionne le caractère systématique de la pratique

Réf. : CAA Douai, 17 septembre 2020, n° 18DA02030 (N° Lexbase : A38783U8)

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par Adélaïde Léon

le 23 Septembre 2020

► La décision du directeur d’un centre pénitentiaire d’instaurer des fouilles intégrales de personnes détenues lorsqu’elles viennent de recevoir un membre de leur famille, sans organiser la possibilité d'en exonérer, au terme d’une appréciation particulière portée par l’autorité compétente, certains détenus au vu des critères, notamment liés à leur personnalité, à leur comportement en détention, ainsi qu’à la fréquence de leur fréquentation des parloirs, prévus par les dispositions de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (N° Lexbase : Z14011RG) méconnait l’interdiction, posée par cet article, d’instaurer un régime de fouille systématique.

Rappel des faits. La section française de l’Observatoire International des Prisons (ci-après « OIP ») a demandé au tribunal administratif d’annuler pour excès de pouvoir la décision définissant le régime des fouilles corporelles pratiquées à l’issue de parloirs au sein du centre pénitentiaire de Maubeuge. L’OIP estimait que cette pratique était révélée par les fouilles pratiquées sur trois détenus de cet établissement. Invité par le tribunal à produire la décision attaquée, l’OIP a saisi le directeur du centre pénitentiaire d’une demande de communication des notes de service relatives auxdites fouilles ou de tout document ayant le même objet. Il n’a pas été donné suite à cette mesure.

En l’absence d’éléments permettant de démontrer l’existence de la décision attaquée, le ministre de la Justice a conclu à l’irrecevabilité de la demande présentée par l’OIP.

Parallèlement, l’OIP avait adressé à plusieurs détenus du même centre pénitentiaire un questionnaire sur lesdites fouilles. Ces courriers ont été interceptés par le chef d’établissement au motif qu’ils étaient susceptibles d’amener des détenus à s’opposer aux mesures de sécurité et de contrôle.

Le tribunal administratif (TA Lille, 2 juillet 2015, n° 1304184 N° Lexbase : A0018NNY) a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la Justice et a rejeté comme irrecevable la demande de l’OIP.

En cause d’appel. La section française de ce dernier a interjeté appel de ce jugement produisant, à l’appui de sa requête, une note du chef d’établissement mentionnant de nouvelles modalités de contrôles mises en place à l’issue des parloirs.

Considérant que l’OIP n’établissait toutefois pas l’existence de la décision susceptible de recours pour excès de pouvoir, la cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 4 juillet 2017, n° 15DA01459 N° Lexbase : A6511WM4) a rejeté sa requête.

La section française de l’OIP a formé un pourvoi contre la décision de cette dernière.

Décision du Conseil d’État. La Haute juridiction (CE 9° et 10° ch.-r., 3 octobre 2018, n° 413989, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6588X8I) a estimé qu’eu égard aux éléments produits par l’OIP et aux diligences que l’association avaient entreprises pour se procurer la décision, la cour administrative avait méconnu son office et commis une erreur de droit. Il lui appartenait en l’espèce de faire usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l’administration pénitentiaire de produire ladite note ou, à défaut de l’existence d’une telle note, tous éléments de nature à révéler la réalité de cette pratique notamment le registre de consignation des fouilles.

Le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour et lui a renvoyé le jugement de l’affaire.

À la suite du renvoi, la cour a diligenté auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice, une mesure d’instruction tendant à obtenir communication de la note ou de tout élément établissant la réalité du régime contesté. Le ministre a répondu en produisant une note de service du directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge définissant le régime de fouilles des personnes détenues dans cet établissement.

Décision de la CAA de renvoi. La cour d’appel juge que l’OIP était fondé à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif ainsi que l’annulation de dispositions de la note de service établissant les pratiques contestées.

La juridiction d’appel souligne qu’il appartient à l’auteur d’une requête, conformément à l’article R. 412-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1656LKK), de produire, sauf impossibilité justifiée, la décision attaquée ou tout document apportant la preuve des diligences accomplies pour en obtenir communication. Elle souligne également qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction en particulier en exigeant la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.

La cour administrative d’appel constate qu’en l’espèce, l’OIP avait accompli les diligences nécessaires pour se procurer la décision fixant le régime dénoncé. L’administration a, par son silence, fait obstacle à la possibilité pour l’association de satisfaire à l’exigence de production de la décision qu’elle entendait attaquer.

La cour affirme donc qu’il appartenait au tribunal de requérir de l’administration pénitentiaire qu’elle produise la note attaquée ou tout élément de nature à révéler le régime de fouilles contesté. Faute pour le tribunal d’avoir ainsi agi, l’OIP était fondé à demander l’annulation du jugement.

S’agissant plus spécifiquement de la note litigieuse. La cour administrative d’appel de renvoi, rappelant les dispositions de l’article 57 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, souligne que les mesures de fouilles ne peuvent revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l’un des motifs spécifiquement prévus par ces dispositions. Elle précise également qu’en vertu de cet article les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens de détection électronique.

À la lumière de ces dispositions, la cour administrative d’appel constate que les dispositions de la note contestée méconnaissent les principes de la loi pénitentiaire précités puisqu’elles instaurent un régime de fouilles intégrales systématiques, à la sortie des parloirs, des personnes détenues lorsqu’elles viennent de recevoir la victime d’un membre de leur famille. Aucune appréciation particulière, portée par l’autorité compétente, ne permettait par ailleurs d’en exonérer l’intéressé au regard des critères prévus par l’article 57 de la loi pénitentiaire.

La cour administrative d’appel déduit de ces constatations que la section française de l’OIP était fondée à demander l’annulation de la décision contestée.

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