La lettre juridique n°476 du 8 mars 2012 : Éditorial

Alcools et santé publique : l'hypocrisie publicitaire

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Alcools et santé publique : l'hypocrisie publicitaire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5969866--i-alcools-i-et-sante-publique-lhypocrisie-publicitaire
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la pein
e".

Apollinaire, le mal aimé, ou plus certainement le mal aimant, n'avait pas besoin d'être assailli par la publicité, malgré les premières affiches l'environnant de Jules Chéret, d'Henri de Toulouse-Lautrec, de Leonetto Cappiello, pour sombrer dans les vapeurs d'alcools, durant quinze ans, et pour exprimer, ainsi, son spleen, renouvelant la poésie, en hommage à Baudelaire. Si la publicité est un "art", dont l'objectif premier est d'inciter le consommateur, l'utilisateur, l'usager, voire l'électeur, à adopter un comportement souhaité, à acheter un produit ou un service précis, les stimuli de l'ivresse du poète furent assurément plus la peine, la douleur, l'échec amoureux qu'un bon slogan vinicole, qu'une affiche licencieuse.

A en croire Andy Warhol, "l'art, c'est déjà de la publicité. La Joconde aurait pu servir de support à une marque de chocolat, à Coca-Cola ou à tout autre chose". Brûlez le déjeuner des Canotiers qui semble lier la consommation de vin au plaisir, à la joie de Paul Lhôte, d'Aline et de leurs acolytes, sur cette terrasse des bords de Seine. Renoir n'était pas politiquement correct. Pourtant, Georges de la Tour annonçait, déjà en 1635, la couleur, avec son Tricheur à l'as de carreau, dénonçant les trois tentations contraires à la morale : le jeu, le vin et la luxure. Le peintre lorrain était annonciateur de la loi "Evin" de 1991 qui, pour la première fois, encadrait la publicité sur la consommation d'alcool, en combinant les intérêts commerciaux à l'objectif salutaire de santé publique. Et, Louis le Nain d'aller encore plus loin, en 1642, avec son Repas des paysans qui n'offre pas vraiment "une image de convivialité associée aux vins [...] de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés", pour paraphraser la Cour de cassation et son arrêt rendu le 23 février 2012, promis, lui, à la plus haute publicité.

En l'espèce, la première chambre civile a jugé contraire aux dispositions du Code de la santé publique, la campagne publicitaire menée par le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), en 2005. La cour d'appel de Paris avait, pourtant, retenu que les affiches litigieuses n'étaient pas, par elles-mêmes, de nature à inciter à une consommation abusive et excessive d'alcool, étant observé que, par essence, la publicité s'efforce de présenter le produit concerné sous un aspect favorable pour capter la clientèle et non pour l'en détourner. Mais, la décision est censurée par la Cour suprême qui estime que ces affiches comportaient des références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique et visaient à promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés.

Résumons nous : exit la publicité persuasive et informative qui s'adresse un être rationnel dont l'acte d'achat dépend d'un jugement mûrement réfléchi. Ce dernier connaît les dangers d'une consommation excessive d'alcool et les désagréments de la gueule de bois des lendemains matins. Exit la publicité projective ou intégrative, puisqu'il n'est pas question de représenter un groupe homogène de personnes -en costume-cravate, par exemple- et conférant au produit, ou à la marque, les signes d'un groupe valorisant. Exit la publicité mécaniste, puisque la consommation d'alcool ne peut pas être associée à produit moins licencieux, afin de créer un automatisme d'achat. Exit, donc, la publicité suggestive qui, par l'image, la connotation, tente d'influencer l'inconscient du consommateur.

La Cour de cassation est on ne peut plus claire. Ni plaisir, ni fantasme, ni projection, ni identification, la publicité sur l'alcool doit se contenter du strict minimum codifié à l'article L. 3323-4 du Code la santé publique : elle est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit. Mieux, la publicité en faveur de boissons alcooliques doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé -ce qui, par paradoxe ou antithèse, procède de la publicité suggestive en application du principe associatif "plaisir de la transgression-déplaisir de ces conséquences"-. La réclame n'est pas la publicité ; la publicité en faveur de boissons alcooliques n'existe pas ; la fraude des mots, la tyrannie, Platon : tout cela a des airs d'entendu. In vino veritas, alors comment voulez vous que publicité et vin fassent bon ménage ?

L'on ne sait pas si c'est la seule perspective de boire un verre de vin qui rend joyeux le Violoniste de Gérard van Honthorst dont le verre est manifestement encore plein, ou s'il en est déjà à sa cinquième tournée... Mais, le pourpre de ses joues témoigne assurément que son ça, le plaisir de boire, semble souvent l'emporter sur son surmoi, la loi éthique, pour satisfaire au réalisme des besoins de son moi, contrarier ses douleurs et ses peines, surtout lorsque :

"Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Sein
e".

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