La lettre juridique n°476 du 8 mars 2012 : Congés

[Jurisprudence] Report des congés payés en cas d'absence liée à l'état de santé : jusqu'où ira l'extension ?

Réf. : Cass. soc., 16 février 2012, n° 10-21.300, FS-P+B (N° Lexbase : A8674ICA)

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N0627BTE

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 08 Mars 2012

Les congés payés et les congés octroyés au salarié en cas de maladie ou d'accident, d'origine professionnelle ou non, n'ont pas le même objectif. Alors que les premiers sont destinés à compenser les temps de travail, à octroyer du repos au salarié pour se détendre ou s'adonner à ses loisirs, les seconds ont pour finalité de lui permettre de se soigner, de se rétablir, d'être à nouveau apte à travailler. Compte tenu des finalités différentes de ces deux types de congés, le bénéfice de l'un ne devrait pas permettre de priver le salarié du bénéfice de l'autre. C'est sur cette règle que revient la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 16 février 2012. Ainsi, le salarié privé du bénéfice des congés payés en raison d'un arrêt de travail lié à un accident du travail, y compris en cas de rechute lui ayant permis de reprendre le travail quelques jours, doit bénéficier d'un report de ses congés (I). Cette solution, qui prolonge une tendance déjà engagée depuis quelques années, mérite d'être saluée pour les précisions qu'elle apporte s'agissant des caractères de l'impossibilité subie par le salarié de prendre ses congés, cela même s'il est vrai que la décision ne permet pas d'envisager clairement quelles seront les limites de l'extension du domaine de ce droit à report des congés payés (II).
Résumé

Lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévus par le Code du travail ou une convention collective en raison d'absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail. Ceux-ci doivent être à nouveau reportés quand le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre l'intégralité des congés payés acquis en raison d'une rechute d'accident du travail.

Commentaire

I - Le droit au report des congés payés en cas d'impossibilité d'en bénéficier

  • L'hypothèse du report du bénéfice des congés payés

Quoiqu'il puisse faire l'objet d'aménagements conventionnels, le système légal français de congés payés fonctionne par année. Un salarié acquiert, au fur et à mesure des semaines passées à travailler, un certain nombre de jours de congés dont il pourra bénéficier l'année suivante, durant une période de prise de congés qui peut être déterminée par voie conventionnelle (1). En principe, le salarié comme l'employeur ne peuvent décider du report de ces congés acquis : le salarié doit en bénéficier au cours de la période sans pouvoir y renoncer au profit d'une indemnité s'ajoutant à sa rémunération, sans pouvoir exiger un report de ces congés à une période ultérieure (2).

Il arrive pourtant que le salarié ne puisse bénéficier de ses congés durant la période de référence, non parce que l'une des parties au contrat de travail souhaite ce report mais parce que le salarié a été dans l'impossibilité de bénéficier de ces congés. Le Code du travail ne prend que rarement en considération une telle impossibilité, si l'on fait exception de la règle tirée de l'article L. 3141-2 (N° Lexbase : L0554H9E) organisant le maintien des droits à congés pour les salariés de retour d'un congé de maternité ou d'un congé d'adoption (3).

Pour d'autres types d'impossibilités, liées essentiellement à la dégradation de l'état de santé du salarié placé en arrêt de travail, c'est surtout la jurisprudence de la Cour de cassation, sous l'influence du droit de l'Union européenne, qui en a déterminé le régime.

  • Report des congés : la Cour de cassation sous l'influence de la CJUE

La Directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 (N° Lexbase : L7793AU8) s'intéresse notamment aux droits à congés annuels qui doivent être octroyés aux travailleurs de l'Union. Ainsi, l'article 7 de cette Directive dispose que "les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines [...]" et que "la période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière". A partir de ce minimum prévu par la Directive, la Cour de justice juge de manière constante que "le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en oeuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la Directive 93/104 elle-même" (4). Concrètement, on pouvait déduire de ces décisions que "le salarié en congé maladie ne peut perdre son droit aux congés annuels et il devra pouvoir être indemnisé, s'il ne peut les prendre" (5).

Cette litanie immuable de la Cour de justice tranchait avec la position de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Pendant longtemps, en effet, la Chambre sociale refusa que le salarié puisse bénéficier d'un report ou d'une indemnité compensant les congés payés dont il avait été privé en raison d'un arrêt de travail lié à son état de santé (6). Ce n'est qu'en 2007 s'agissant d'un arrêt de travail pour accident du travail (7), puis en 2009 s'agissant d'un arrêt de travail pour maladie ordinaire (8), que la Chambre sociale a pris acte du caractère fondamental du droit à repos et accepta le report au-delà de la période de référence du congé dont le salarié avait été privé.

C'est à nouveau à propos de la faculté d'obtenir le report de congés payés que la Chambre sociale de la Cour de cassation était saisie.

  • L'espèce

Un salarié, engagé en qualité de chauffeur, fut victime d'une agression sur son lieu de travail. Placé en arrêt de travail pendant près d'un an (avril 2005 à mars 2006), le salarié repris le travail avant d'être victime, quelques jours plus tard, d'une rechute qui suscita un nouvel arrêt de travail, à nouveau pour une durée avoisinant une année (mars 2006 à février 2007). Le salarié repris définitivement le travail en février 2007 mais saisit le conseil de prud'hommes d'une demande tendant au paiement de sommes en indemnisation de congés payés non pris avant l'arrêt de travail initial et acquis en 2005.

L'employeur fut condamné par la cour d'appel de Douai à s'acquitter d'une indemnité compensant ces congés dont le salarié n'avait pu bénéficier, ce que l'employeur contesta en formant un pourvoi en cassation. Au soutien de son pourvoi, l'employeur relevait que, si la Directive 93/104/CE du Conseil de l'Union européenne du 23 novembre 1993 prévoit bien le report des congés payés lorsque le salarié n'a pu en bénéficier en raison d'un arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, ce report ne peut intervenir qu'une fois, si bien que le salarié ne pouvait les reporter après sa rechute. L'employeur ajoutait que le salarié aurait pu bénéficier de ces jours de congés entre le premier et le second arrêt de travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 16 février 2012, rejette le pourvoi. Pour justifier cette décision, la Cour énonce "d'abord qu'eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévue par le Code du travail ou une convention collective en raison d'absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail" et que "ceux-ci doivent être à nouveau reportés quand le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre l'intégralité des congés payés acquis en raison d'une rechute d'accident du travail". La Haute juridiction en conclut que, puisque "le salarié avait été dans l'impossibilité de prendre l'intégralité de ses congés pour 2005, en raison, d'une part, du planning décidé par l'employeur organisant son temps de travail au cours de la première période de reprise du travail du mois de mars 2006, et, d'autre part, de l'opposition de ce dernier de reporter la prise des congés restant à l'expiration du nouvel arrêt de travail suite à une rechute d'accident du travail", c'est à bon droit que la cour d'appel avait condamné l'employeur à ces indemnités. La Chambre sociale procède donc à l'extension du droit à report des congés payés lorsque l'arrêt de travail a été renouvelé en raison d'une rechute.

II - Une faculté de report précisée mais dont le domaine reste mal déterminé

  • Précisions quant à l'impossibilité du salarié de bénéficier de ses congés

A l'occasion de cette extension, la Chambre sociale apporte d'abord des indices précieux sur ce qu'il faut entendre par l'impossibilité pour le salarié de prendre l'intégralité de ces congés. En effet, dans l'espèce sous examen, cette impossibilité était liée à deux circonstances.

La première découle évidemment de la rechute du salarié à la suite de son arrêt de travail initial. On retrouve ici la logique qui présidait aux affaires antérieures : si le salarié n'a pu bénéficier de ses congés, ce n'est pas par choix mais bien en raison de son état de santé. S'il est vrai que la Chambre sociale n'accepte pas toujours de voir dans la maladie du salarié une impossibilité assimilable à un cas de force majeure (9), il est tout du moins certain que la maladie ou l'accident n'implique en rien sa volonté de voir le congé reporté.

La seconde, elle aussi liée à l'absence de volonté du salarié, résulte du fait que l'employeur n'ait pas permis au salarié de bénéficier de ses congés au retour de son congé initial. Plus précisément, l'employeur s'était opposé à ce que le salarié bénéficie de ces congés à ce moment. Certainement peut-on y voir une entorse au principe selon lequel les dates de prise des congés relèvent du pouvoir unilatéral de direction de l'employeur (10). Pour autant, l'exception à cette règle n'est en réalité que très modérée puisque l'employeur ne peut imposer le report des congés payés : si l'employeur a le choix des dates auxquelles les congés doivent être pris, ce n'est donc qu'à l'intérieur des limites posées par la période de référence. Si les congés, par l'effet d'une impossibilité antérieure, ne peuvent être pris durant la période de référence, l'employeur n'a plus le choix et doit faire bénéficier le salarié de ces congés aussi tôt que possible.

A contrario, il peut en être déduit que si l'employeur propose au salarié de prendre ses congés à son retour d'arrêt de travail mais que celui-ci refuse la proposition faite, le droit à congés sera probablement perdu.

  • Extension du domaine de l'obligation de reporter les congés : quelles limites ?

Par cette décision, la Chambre sociale procède donc à une légère extension du droit dont peut bénéficier le salarié au report de ses congés payés en cas d'absence liée à une dégradation de son état de santé. Après avoir accepté ce report en cas de maladie simple et d'arrêt pour accident de travail, la Chambre sociale avalise ce report en cas de rechute, laquelle implique nécessairement que l'arrêt de travail pour accident du travail ait été interrompu. La reprise temporaire du travail induite par cette interruption de l'arrêt de travail ne fait pas obstacle au report des congés.

On pourra regretter que la Chambre sociale n'aille pas formellement plus loin dans cette logique. En effet, si la motivation liée aux finalités de la Directive de 1993 reste identique à celle adoptée en 2007 et en 2009, la Chambre sociale persiste dans sa volonté de construction de ce régime par à coups (11). La généralité de la formule relative aux finalités de la directive semble pourtant permettre d'adopter une formule plus générale qui, dès lors, serait applicable à toute impossibilité subie par le salarié de prendre ces congés.

Il faut, dès lors, se demander quelles pourront être les limites de cette extension. En effet, outre des questions purement procédurales (12), le cantonnement à une méthode d'extension progressive du droit au report des congés peut s'expliquer par la volonté de la Chambre sociale de garder la main sur le domaine de la faculté de report. Une telle démarche trouve d'ailleurs un grand soutien dans une décision que vient de rendre la Cour de justice de l'Union européenne et qui juge que la faculté de report ne peut être ouverte indéfiniment. En particulier, lorsque le salarié est frappé d'incapacité, les législations internes peuvent organiser la perte du droit à congé dont les finalités de protection du repos ne sont plus assurées (13).

En gardant une ligne prudente quant à la détermination du domaine de la faculté de report, la Chambre sociale se ménage ainsi la possibilité, ultérieurement, de délimiter les causes privant le salarié du report -causes essentiellement liées à sa volonté- et la durée au-delà de laquelle le report ne pourra plus être envisageable.


(1) C. trav., art. L. 3141-13 (N° Lexbase : L0563H9Q) et s..
(2) Le Code du travail autorise parfois le report de la prise de congé au-delà de la période de référence, en particulier lorsque le temps de travail du salarié est annualisé, v. C. trav., art. L. 3141-21 (N° Lexbase : L3855IBE).
(3) V. déjà, avant l'introduction de ce texte dans le Code du travail par la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L8129HHK), Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-42.405, publié (N° Lexbase : A5182DCW).
(4) CJCE, 26 juin 2001, aff. C-173/99 (N° Lexbase : A1717AWI), pt. 43 ; CJCE, 18 mars 2004, aff. C-342/01 (N° Lexbase : A5883DBI), pt. 29, RJS, 2004, p. 439, note J.-Ph. Lhernould ; CJCE, 16 mars 2006, aff. C-131/04 et C-257/04 (N° Lexbase : A6372DNC), JCP éd. S, 2006, nº 1308, p.23, note G. Vachet ; CJCE, 20 janvier 2009, aff. C-350/06 et C-520/06 (N° Lexbase : A3596EC8), RJS 2009, p. 263, note J.-Ph. Lhernould. En dernier lieu, v. CJUE, 22 novembre 2011, aff. C-214/10 (N° Lexbase : A9722HZ4) et les obs. de Ch. Willmann, Directive 2003/88/CE : une réglementation nationale peut autoriser l'extinction du droit aux congés payés non pris pour le salarié en incapacité de travail, Lexbase Hebdo n° 465 du 8 décembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N9160BS3).
(5) S. Laulom, Droit aux congés annuels : une évolution nécessaire de la Cour de cassation, SSL, 2009, n° 1388, p. 12.
(6) V. not. Cass. soc., 13 janvier 1998, n° 95-40.226, publié (N° Lexbase : A2501ACM).
(7) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 05-42.293, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5775DYK) ; RDT, 2007, p. 732, note M. Véricel.
(8) Cass. soc., 24 février 2009, n° 07-44.488, FS-P+B (N° Lexbase : A3973EDI) et les obs. de G. Auzero, Report des congés payés non pris du fait de la maladie : la Cour de cassation confirme et étend sa jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 341 du 11 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7759BI9) ; RDT, 2009, p. 241, obs. M. Véricel.
(9) On se souviendra, ainsi, que la maladie du salarié ne peut constituer un cas de force majeure justifiant la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée (par ex. Cass. soc., 12 février 2003, n° 00-46.660, F-P+B N° Lexbase : A0129A7W), règle dont la portée a été nettement atténuée par l'effet de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9) ayant introduit l'inaptitude comme cause de rupture anticipée de ce contrat (C. trav., art. L. 1243-1 dans sa nouvelle rédaction N° Lexbase : L2987IQP).
(10) V. not. C. trav., art. L. 3141-14 ([LXB=L0564H9]).
(11) Relevant déjà ce phénomène, v. G. Auzero, préc..
(12) La Cour de cassation n'étant pas tenue de répondre à des questions qui ne lui sont pas posées, elle n'avait nullement l'obligation de poser une règle générale applicable à toute impossibilité de prendre un congé.
(13) CJUE, 22 novembre 2011, préc..

Décision

Cass. soc., 16 février 2012, n° 10-21.300, FS-P+B (N° Lexbase : A8674ICA)

Rejet, CA Douai, 28 mai 2010, n° 09/02174 (N° Lexbase : A8031E49)

Textes cités : Directive 2003/88 du 4 novembre du Parlement européen, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L5806DLM)

Mots-clés : congés payés, accident du travail, arrêt de travail, rechute, report des congés.

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