Réf. : Décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 (N° Lexbase : L2138LXH) ; JAF Bordeaux, 14 avril 2020, RG n° 20/02424 (N° Lexbase : A71113NP)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages de droit de la famille
le 18 Juin 2020
Mots clés : ordonnance de protection • violences conjugales • violences familiales • juge aux affaires familiales (JAF) • mesure d’urgence
* Tous mes remerciements à Samuel Lainé, Président de la Chambre de la famille du Tribunal Judiciaire de Bordeaux, pour l’envoi de la décision commentée du 14 avril 2020 et nos intéressants échanges sur la pratique de l’ordonnance de protection.
Créée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7042IMR), l’ordonnance de protection dans la lutte contre le fléau des violences conjugales s’est révélée plutôt décevante dans sa mise en œuvre. En effet, selon un rapport de la mission de recherche Droit et justice de 2019 [1], seules 60,5 % des femmes qui demandent une ordonnance de protection l’obtiennent. Pour améliorer le dispositif de lutte contre les violences conjugales, l’ordonnance de protection a été réformée par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 (N° Lexbase : L2114LUT) [2].
Récemment, le pouvoir règlementaire par le décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 (N° Lexbase : L2138LXH), mais aussi le juge, et particulièrement un arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2020 [3] et un jugement du juge aux affaires familiales de Bordeaux [4], sont venus préciser le dispositif légal tant en ce qui concerne les conditions de fond (I) que la procédure (II) de mise en œuvre de l’ordonnance de protection afin que celle-ci devienne réellement une mesure d’urgence protégeant efficacement les femmes victimes de violences conjugales.
I - Les conditions de fond de l’ordonnance de protection : l’exigence cumulative de l’existence de violences et de danger
Absence de cohabitation. L’article 515-9 du Code civil (N° Lexbase : L2997LUK) dispose désormais que « Lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ». La loi du 28 décembre 2019 a apporté deux précisions quant aux conditions de fond de l’ordonnance de protection qui vont dans le sens d’un accès facilité à l’ordonnance de protection.
D’une part, celle-ci peut être prise alors même que la victime et l’auteur des violences ne cohabitent pas ou même n’ont jamais cohabité. La violence peut en effet être exercée en dehors du cadre de la vie commune -seule une femme sur huit réside avec l’auteur des violences [5] - et l’on sait à quel point la séparation peut au contraire l’exacerber. Dans la décision bordelaise du 14 avril 2020, les époux ne vivaient pas ensemble au moment où l’épouse a sollicité une ordonnance de protection. Cette décision est en outre spécifique, car rendue dans un contexte de confinement et de plan d’urgence sanitaire. En effet, si ce dernier contexte est particulièrement dangereux lorsque les époux vivent ensemble pour la victime de violences conjugales, il est plutôt protecteur dans le cas contraire. Le juge bordelais note, avec un certain humour, que dans ce cadre « les époux ne peuvent plus se rencontrer pour échanger ou s’invectiver, sauf à cocher, sur le formulaire idoine, la case exercice physique de moins d’une heure, ce qui, dans le contexte de cette séparation sous forme d’addiction réciproque alléguée ou démontrée aux stupéfiants, pourrait paraître pour le moins surprenant. »
Plainte pénale. D’autre part, le législateur de 2019 a précisé dans l’article 515-10 du Code civil (N° Lexbase : L2999LUM) que « la délivrance de l’ordonnance de protection n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable ». Cette précision n’exclut toutefois pas la prise en compte de l’existence ou de l’absence d’une telle plainte pour évaluer la situation de danger, mais le cas échéant, son absence n’est pas rédhibitoire. Le juge aux affaires familiales de Bordeaux relève ainsi que « pour les violences dont serait coupable Monsieur, la brigade de gendarmerie déclare qu’il n’existe aucune plainte de déposée et pas davantage de main courante recensée. »
Cumul des conditions des fond. Quant aux conditions principales de la délivrance de l’ordonnance de protection que sont l’existence vraisemblable de violences et le danger auquel est exposé la victime ou un enfant, la Cour de cassation a expressément affirmé, dans l’arrêt du 13 février 2020, que « ces deux conditions sont cumulatives ». Cette affirmation pourrait au premier abord être interprétée comme un recul de la protection des victimes de violences conjugales par l’ordonnance de protection. En réalité, il s’agit moins d’un recul que d’un recentrage de l’ordonnance de protection sur son objectif premier qui est de protéger les femmes en danger et non de sanctionner en général des violences commises par un des membres du couple. C’est en ce sens que la Cour de cassation motive le rejet du pourvoi contre le refus de délivrer une ordonnance de protection, affirmant que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel, qui était tenue de se placer à la date où elle statuait, a sans inverser la charge de la preuve, estimé que Mme A. ne démontrait pas l’existence d’un danger actuel pour elle et ses enfants ». En l’espèce, les violences dont la vraisemblance avait été admise par les juges du fond avaient eu lieu plusieurs mois auparavant, sans que d’autres scènes de violences physiques soient intervenues par la suite ni que la preuve que Monsieur ait proféré des menaces de mort à l’encontre de Madame ait été rapportée. Ainsi, la Cour a-t-elle considéré que l’épouse avait bien été victime de violences physiques, mais qu’elle n’était plus en danger au moment où la décision a été rendue. Cette décision permet de considérer que l’existence de violences ne fait pas présumer du danger, surtout lorsqu’elles ont eu lieu dans le passé. Il ne s’agit évidemment pas de considérer que ces violences ne sont pas graves et ne doivent pas entraîner de conséquences, mais l’ordonnance de protection n’est pas l’outil adapté pour y répondre. L’épouse pourra en revanche obtenir un divorce pour faute aux torts de son mari en alléguant ces violences, voire solliciter une indemnisation du préjudice que celles-ci ont entraîné pour elle.
JAF Bordeaux. C’est cette même analyse qui a conduit le juge bordelais dans la décision du 14 avril 2020, à refuser de délivrer une ordonnance de protection. Dans cette affaire, la réalité et la gravité des violences physiques prêtent à discussion. Le magistrat emploie, en effet, le conditionnel lorsqu’il les évoque et note, en outre, que les faits en question « auraient consisté en un arrachage du bonnet et d’un cheveu de Madame ». Surtout le juge s’emploie à montrer que le danger n’est pas établi. En effet, les époux ne vivent pas ensemble, ne se voient pas du fait du confinement physique strict, auxquels ils sont astreints comme tout citoyen et « l’enfant ne résidant pas en garde alternée, il n’y a pas lieu à passation hebdomadaire de ce dernier ». En outre, la décision met en lumière la surveillance dont les époux font l’objet, car ils sont « désormais connus des services de gendarmerie et de la BTA de Langon. La moindre nouvelle incartade serait, à coup sûr repérée et poursuivie ». La situation jugée par cette décision au fond, comme celle ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2020, ne correspondait manifestement pas aux hypothèses de violences graves et actuelles que le législateur a voulu résoudre par une ordonnance de protection. Ces hypothèses sont pourtant majoritaires. En effet, le rapport de la mission Droit et justice de 2019 sur les violences conjugales montre que 64,3 % des décisions qui statuent en faveur de la vraisemblance des violences concluent à l’existence d’une situation de danger.
II - La procédure d’urgence de mise en œuvre de l’ordonnance de protection
Délai de délivrance de l’ordonnance. Selon les statistiques du ministère de la Justice [6], le délai moyen de délivrance des ordonnances de protection était estimé à 42,4 jours, ce qui évidemment n’était pas satisfaisant pour une mesure destinée à protéger en urgence des victimes de violences. C’est pourquoi la loi du 28 décembre 2019 a précisé, dans l’article 519-11 du Code civil, que le juge aux affaires familiales doit délivrer l’ordonnance de protection « dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date d’audience ».
Point de départ. Le fait de prévoir comme point de départ du délai de six jours la date de fixation de l’audience [7] et non la saisine du magistrat donne à ce dernier un temps pour apprécier l’urgence de la situation, et lui confère le pouvoir de mettre en place une procédure plus ou moins rapide selon qu’il fixe l’audience à plus ou moins brève échéance [8]. Comme le fait remarquer Marie Lamarche [9] « si le délai de six jours semble correspondre à la situation d’urgence, il faut tenir compte de son point de départ qui peut anéantir tous les efforts du législateur ».
Décret. Le décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 organise la mise en œuvre de cette exigence temporelle en précisant notamment les conditions de convocation des parties à l’audience, du déroulé de celui-ci, et les modalités d’exécution de l’ordonnance de protection.
Demande d’ordonnance de protection. Lorsqu’elle n’émane pas du ministère public, la demande d’ordonnance de protection doit être faite par requête, avec ou sans avocat, selon une forme libre, un formulaire spécifique étant disponible sur le site justice.fr.
Fixation de l’audience. Le nouvel article 1136-3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2322LXB) issu du décret du 27 mai 2020 prévoit qu’après avoir été saisi, « le juge rend sans délai une ordonnance fixant la date d’audience ». Une telle formulation met l’accent sur le caractère urgent de la réponse du juge à une demande d’ordonnance de protection, sans toutefois l’encadrer dans un délai précis.
Ministère public. Le texte précise que « à moins qu’il ne soit l’auteur de la requête, le ministère public est aussitôt avisé par le greffier du dépôt de la requête et de la date d’audience fixée par le juge aux affaires familiales ». Il rend un avis sur la demande de protection, par écrit ou oralement lors de l’audience. Cet avis est essentiel. En effet, lorsque le parquet soutient la demande de protection le taux de refus de vraisemblance des violences passe de 25 à 15,2 % [10].
Convocation des parties à l’audience. L’étape de la convocation des parties à l’audience, par la notification de l’ordonnance qui en fixe la date, nécessite une célérité particulière des différents acteurs. Pour ce qui est du demandeur, il est averti par le greffe par tout moyen, y compris la remise en main propre contre émargement ou récépissé. Pour ce qui est du défendeur, c’est l’auteur de la demande d’ordonnance de protection -la victime elle-même ou le ministère public- qui en principe lui signifie l’ordonnance fixant la date d’audience. Le texte précise que « l’acte de signification doit être remis en greffer dans un délai de vingt quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date de l’audience, à peine de caducité de la requête ». Ce délai inédit traduit bien le caractère urgent de la procédure. Il risque, toutefois, de se heurter à des difficultés pratiques en ce qu’il impose aux huissiers de justice une particulière célérité. On peut se demander si cette exigence, assortie d’une sanction automatique est vraiment réaliste. En effet, l’ordonnance qui fixe l’audience constitue le point de départ du délai de six jours avant que l’ordonnance de protection ne soit rendue. Par conséquent l’audience doit avoir lieu au plus tard cinq jours après l’ordonnance qui fixe sa date, l’ordonnance étant rendue, le cas échéant, le lendemain. L’exigence de la signification dans les 24 heures implique ainsi que le défendeur doit être averti de l’audience quatre jours avant sa tenue. Il aurait été possible de procéder de manière moins exigeante en utilisant le dispositif de l’article 1137 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2326LUP) modifié par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, qui prévoit une procédure à bref délai devant le JAF, sous condition d'urgence, avec possibilité de remise de l'assignation introductive d'instance la veille de l'audience. Cette procédure est notamment utilisée dans des hypothèses où l’un des parents empêche l’autre de voir ses enfants. Le risque, en exigeant une signification dans les 24 heures de la décision, est de rendre finalement l’ordonnance de protection concrètement inaccessible, d’autant que la victime va devoir -au moins dans un premier temps- supporter le coût de la signification, alourdi par le recours aux vacations d’urgence.
Réforme de la réforme. Ces difficultés ont donné lieu à de vives critiques lors de la publication du décret qui ont incité la Garde des sceaux à s’engager publiquement à publier un autre décret corrigeant le premier. Selon un communiqué du ministère de la Justice publié après une réunion tenue le 23 juin par Isabelle Rome, haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes avec les acteurs concernés par la nouvelle procédure de délivrance des ordonnances de protection (associations de protection des droits des femmes, huissiers, avocats et magistrats) « ces échanges ont permis de montrer que le délai de 24 h pouvait être doublé pour être porté à 48 h tout en permettant aux parties d’être assistées par un avocat, que la méconnaissance de ce délai ne devait pas être relevée d’office par le juge et qu’un circuit de signification efficace était nécessaire pour tenir le délai fixé par le législateur ».
Notification par voie administrative. L’autre moyen de convoquer rapidement l’auteur présumé des violences est de laisser le juge se charger de sa convocation en faisant procéder à une notification par voie administrative, c’est-à-dire par un officier de police judiciaire, si l’on est en présence « d’un danger grave et imminent pour la sécurité d’une personne concernée par une ordonnance de protection ou lorsqu’il n’existe pas d’autre moyen ». Ce mode de convocation du défendeur qui constitue une exception, pourrait cependant être le principe en matière d’ordonnance de protection dès lors que celle-ci vise à répondre à des situations d’urgence, et est, avant tout, destinée à faire cesser dans les plus brefs délais une situation de violences conjugales comportant un risque immédiat pour la victime ou ses enfants.
Audience. Les modalités d’audition des parties durant l’audience sont en outre envisagées dans le décret. Celui-ci prévoit, dans l’article 1136-6, alinéa 5, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2323LXC), que le juge les entend séparément, s’il le décide ou si l’une des parties -la victime particulièrement- le sollicite. La formulation permet de penser que l’audition séparée est de droit dans cette dernière hypothèse, ce qui est particulièrement bienvenu dans un contexte de violences conjugales.
Passerelle. En cas de rejet de l’ordonnance de protection, le décret prévoit une autre innovation qui mérite d’être saluée. Il organise, dans un nouvel article 1136-15 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2326LXG), une passerelle vers une audience pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Si l’urgence le justifie, et si une partie en fait le demande -on suppose que ce sera là aussi la victime des violences-, il fixe une date d’audience pour qu’il soit statué au fond sur ces questions, en veillant à ce que le défendeur dispose d’un temps suffisant pour préparer sa défense. Cette passerelle permet d’organiser la situation des enfants de manière rapide, sans avoir à saisir le juge une nouvelle fois après le rejet de la demande d’ordonnance de protection. Il aurait toutefois été sans doute opportun que le législateur impose au juge un délai pour fixer l’audience. Une telle opportunité -si elle avait existé- aurait pu être saisie dans l’affaire jugée par le JAF de Bordeaux le 14 avril 2020, pour organiser les relations de l’enfant de sept ans avec ses deux parents.
Conclusion. Il est particulièrement opportun pour le demandeur d’une ordonnance de protection, en présence d’enfants, de faire systématiquement à titre subsidiaire, une demande d’audience d’urgence pour fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale.
[1] S. Jouanneau (dir.), Violences conjugales, Protection des victimes : usages et conditions d’application dans les tribunaux français de mesures de protection des victimes de violences au sein du couple, Mission de recherche droit et justice 2019
[2] I. Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales, Lexbase, éd. priv., n° 809, 2020 (N° Lexbase : N1877BY8) ; L. Mauger-Vielpeau, Violences conjugales- Une nouvelle réforme de l’ordonnance de protection, Dr. Fam. 2020, Etude n° 11.
[3] Cass. civ. 1, 13 février 2020, n° 19-22.192, F-D (N° Lexbase : A75143EZ), et la brève, Lexbase, éd. priv., n° 814, 2020 (N° Lexbase : N2354BYT).
[4] JAF Bordeaux, 14 avril 2020, RG n° 20/02424 (N° Lexbase : A71113NP).
[5] S. Jouanneau (dir.), rapport préc..
[6] Infostat Justice septembre 2019 n° 17
[7] En pratique le délai commence à courir le lendemain et ne comprend pas les samedi et dimanche.
[8] L. Mauger-Vielpeau, art. préc..
[9] M. Lamarche, Violences conjugales : à la recherche de l’efficacité du dispositif légal, Dr. fam., 2020, Alerte 12.
[10] S. Jouanneau (dir.) rapport préc..
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