Réf. : Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A54113NQ)
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par Jérôme Lasserre Capdeville
le 02 Juillet 2020
► Pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du TEG (N° Lexbase : L1483LRD), la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge.
Tel est l’enseignement d’un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 juin 2020 (Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A54113NQ ; v également Cass. avis, 10 juin 2020, n° 15004 N° Lexbase : A59493NN).
L’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du TEG, est récemment venue prévoir que le défaut de TEG/TAEG comme son erreur ne pourront, désormais, donner lieu qu’à une seule sanction : la déchéance du droit aux intérêts du prêteur « dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l'emprunteur ». Différents articles de loi du Code de la consommation et du Code monétaire et financier ont été retouchés en ce sens (v. J. Lasserre-Capdeville, Nouvel encadrement légal des sanctions civiles applicables en matière de taux effectif global, Lexbase Affaires, septembre 2019, n° 604 N° Lexbase : N0196BYW)
L’ordonnance étant entrée en vigueur le 19 juillet 2019, on a pu se demander si elle devait s’appliquer uniquement aux actions ouvertes postérieurement, ou si les actions en cours étaient également concernées. Sur ce point, le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance étudiée indique que, si l’habilitation ne prévoyait pas que le nouveau régime de sanction devait s’appliquer aux actions en justice introduites avant la publication de l’ordonnance, il revient aux juges civils « d’apprécier, selon les cas, si la nouvelle sanction harmonisée présente un caractère de sévérité moindre que les sanctions actuellement en vigueur et, dans cette hypothèse, d’en faire une application immédiate dans le cadre d'actions en justice introduites avant la publication de l'ordonnance ».
On peut, néanmoins, ne pas être convaincu par une telle application immédiate aux actions en cours. D’une part, le rapport au Président de la République prône sans le dire une solution faisant songer à la règle, issue du droit pénal, de la rétroactivité in mitius. Or, nous ne sommes pas ici en matière pénale. D’autre part, si le législateur est à même d’adopter des lois rétroactives, il lui revient de le dire expressément dans le texte en question. Tel n’est pas le cas ici : l’ordonnance comme la loi d’habilitation ne disent mot sur ce point et le rapport au Président de la République est dépourvu de valeur juridique.
En réalité, si l’on suit les règles et les principes régissant l’application de la loi dans le temps, tant les actions en cours, que celles à venir mais portant sur des crédits déjà conclus au moment de l’entrée en vigueur du texte nouveau, devraient échapper à l’application de ce dernier. Dit autrement, seuls les crédits conclus à partir du 19 juillet 2019 devraient être concernés par la réforme. À défaut, cela reviendrait à « valider, de façon rétroactive, des contrats irréguliers » (G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D., 2019, p. 1613).
Les juridictions du fond demeurent, pour leur part, très incertaines depuis l’adoption de l’ordonnance. Si quelques arrêts sont favorables à une application rétroactive (CA Aix-en-Provence, 20 février 2020, n° 17/18082 N° Lexbase : A13543GA), d’autres y sont à l’inverse hostiles (CA Bourges, 30 avril 2020, n° 19/00562 N° Lexbase : A16343L4).
La Cour de cassation vient alors se prononcer sur ce point par la décision étudiée.
Les faits. En l’espèce, la banque A. avait consenti un prêt immobilier à M. et Mme X.. Après avoir prononcé la déchéance du terme du prêt et délivré un commandement de payer aux fins de saisie-vente, resté sans effet, la banque avait assigné devant le juge de l’exécution les emprunteurs, qui avaient sollicité l’annulation de la stipulation conventionnelle d’intérêts et la substitution de l’intérêt au taux légal.
La cour d’appel de Montpellier ne leur ayant pas donné raison, dans la mesure où elle avait préféré prononcer la déchéance du droit aux intérêts, appréciée à hauteur d’un certain montant, les emprunteurs avaient formé un pourvoi en cassation.
Les moyens. Ils rappelaient, par l’intermédiaire de ce dernier, notamment, que la sanction d’un taux effectif global erroné peut être, soit la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, soit la nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel et la substitution à l’intérêt conventionnel de l’intérêt légal, selon que l’erreur affecte, respectivement, l’offre d’un prêt ou l’acte de prêt lui-même. Or, l’erreur figurant en l’espèce dans le contrat de prêt, en l’occurrence l’acte notarié, elle aurait dû être sanctionnée par la substitution au taux d’intérêt contractuel du taux d’intérêt légal.
La décision. La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi en question.
Elle commence par rappeler qu’en l’absence de sanction prévue par la loi, exception faite de l’offre de prêt immobilier et du crédit à la consommation, il est jugé qu’en application des articles 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL) et L. 313-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L0226I47), l’inexactitude de la mention du TEG dans l’écrit constatant tout contrat de prêt, comme l’omission de la mention de ce taux, qui privent l’emprunteur d’une information sur son coût, emportent l’annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l’intérêt légal (Cass. civ. 1, 24 juin 1981, n° 80-12.903, publié N° Lexbase : A8551AH8 ; Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-16.555, F-P+B N° Lexbase : A6567MYU
Elle observe, ensuite, que, pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur.
Cependant, elle aboutit à une conclusion bien originale : « dans ces conditions, pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge ». Dit autrement, après avoir bien dit que le texte nouveau n’était pas d’application rétroactive, la Cour de cassation décide délibérément de l’appliquer rétroactivement !
Cette règle a alors deux incidences en l’espèce. D’une part, après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que le TEG était erroné, faute d’inclusion du taux de cotisation mensuelle d’assurance réellement prélevé, et fait ressortir que l’erreur commise était supérieure à la décimale prescrite par l’article R. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0879IWH), la Haute juridiction considère que « la cour d’appel a retenu, à bon droit, que la sanction de l’erreur affectant le TEG était la déchéance du droit aux intérêts de la banque dans la proportion fixée par le juge ».
D’autre part, c’est par une appréciation souveraine que les juges du fond ont évalué le préjudice des emprunteurs et déterminé la proportion dans laquelle la déchéance du droit de la banque aux intérêts devait être fixée.
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