Le Quotidien du 18 mars 2020 : Droit pénal des affaires

[Brèves] Affaire « de Karachi » et financement illégal de la campagne présidentielle de 1995 : rejet des pourvois de l’ancien premier ministre

Réf. : Ass. plén., 13 mars 2020, n° 19-86.609 (N° Lexbase : A35823II)

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[Brèves] Affaire « de Karachi » et financement illégal de la campagne présidentielle de 1995 : rejet des pourvois de l’ancien premier ministre. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/57197001-0
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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

le 18 Mars 2020

► L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rejeté, par un arrêt du 13 mars 2020, les pourvois formés par un ancien premier ministre soupçonné de financement illégal lors de sa campagne présidentielle de 1995 dans l’affaire dite « de Karachi » (Ass. plén., 13 mars 2020, n° 19-86.609 N° Lexbase : A35823II).

Résumé des faits et de la procédure. En l’espèce, il était reproché à un ancien premier ministre et candidat à l’élection présidentielle de 1995, en qualité de complice et de receleur d’abus de biens sociaux, d'avoir participé à la mise en place d'un réseau d'intermédiaires venu se greffer sur des contrats d'armement conclus avec l'Arabie Saoudite et le Pakistan, générant des rétro-commissions ayant pu alimenter sa campagne électorale présidentielle. En 2014, plusieurs personnes ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris par les juges d’instruction qui, avant de clôturer leur information, se sont déclarés incompétents pour connaître des faits susceptibles d’être imputés, notamment, à l’ancien premier ministre, ces faits ayant pu avoir été commis par l’intéressé dans l’exercice de ses fonctions.

La commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR) a émis un avis favorable à la saisine de la commission d’instruction de cette Cour. Le procureur général près la Cour de cassation a requis cette commission d’informer, notamment contre l’intéressé, en sa qualité de membre du Gouvernement, Premier ministre, sous les qualifications d’abus de biens sociaux, complicité et recel, détournement de fonds publics, complicité et recel. L’intéressé a contesté toute illégalité dans le financement de sa campagne électorale.

Il a ensuite été mis en examen pour avoir, d’une part, concouru au sens de l’article 121-7 du Code pénal (N° Lexbase : L5525AIH), à la préparation et à la réalisation des abus de biens ou du crédit de deux sociétés concernées, d’autre part, bénéficié, au sens de l’article 321-1 (N° Lexbase : L1940AMS) des produits de ces délits. Après sa mise en examen, l’ancien premier ministre a formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par la commission d’instruction de la CJR, se prononçant sur la prescription de l’action publique. Par un arrêt du 13 octobre 2017, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé son pourvoi irrecevable (Ass. plén., 13 octobre 2017, n° 17-83.620 N° Lexbase : A5308WU7).

Les avocats de l’intéressé ont saisi la commission de l’instruction de la CJR de trois requêtes qui ont été rejetées.

L’intéressé a formé un pourvoi contre chacune de ces décisions. Le premier président de la Cour de cassation a rendu trois ordonnances disant n’y avoir lieu à examen immédiat des pourvois. La commission d’instruction a ordonné le renvoi de l’intéressé devant la formation de jugement de la CJR des chefs de complicité et recel d’abus de biens sociaux.

Un pourvoi a été formé.

A hauteur de cassation. Le premier moyen portait sur l’arrêt n °1, rendu le 21 décembre 2017, par lequel la commission d’instruction avait rejeté la demande de nullité de procédure prise de ce que les juges de droit commun se seraient dessaisis tardivement de la procédure alors qu’apparaissaient déjà des éléments mettant en cause le premier ministre.

Le deuxième moyen portait sur l’arrêt n° 2, daté du même jour, par lequel la commission d’instruction avait dit n’y avoir lieu à annulation de la mise en examen du prévenu Le moyen faisait valoir que la commission d’instruction n’aurait pas dû statuer, pour apprécier cette nullité, dans la même composition que celle ayant ordonnée la mise en examen. La question de violation de l’impartialité soulevée ne touchait pas la personne des magistrats mais la procédure prévue par l’article 23 de la loi organique (N° Lexbase : O7024BYS).

Le troisième moyen critiquait l’arrêt n° 3, également rendu le 21 décembre 2017. Il invoquait, dans une première branche, l’impossibilité pour la commission d’instruction de répondre dans la même composition que celle ayant statué en 2016 sur la même question. La Cour de cassation rappelle que la première décision rendue sur la prescription de l'action publique, par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, n’avait pas autorité de la chose jugée à l’égard du prévenu. Le demandeur prétendait, dans le cadre de ce moyen (et du quatrième qui en constituait la conséquence), que la prescription de l’action publique était acquise dès lors que le contrôle par le Conseil constitutionnel des comptes de campagne était exclusif de toute dissimulation.

Le cinquième moyen et le troisième moyen, dans l’une de ses branches, arguaient de la violation de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), qui énonce que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Décision. Par cet arrêt du 13 mars 2020, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rejette les pourvois formés par le prévenu contre les quatre arrêts précités.

Sur le dessaisissement. Concernant le premier moyen du pourvoi, l’Assemblée plénière n’a pas suivi le demandeur dans la comparaison qu’il établissait avec la procédure des anciens articles 679 (N° Lexbase : L2683DGH) à 688 (N° Lexbase : L2675DG8) du Code de procédure pénale, dite des « privilèges de juridiction », dont la portée était profondément différente. Elle rappelle que non seulement le dessaisissement au profit de la Cour de justice de la République ne peut avoir lieu que lorsqu’un ministre est mis en cause, mais encore lorsqu’il est établi que les faits, à les supposer avérés, auraient été commis dans le cadre de ses fonctions ministérielles. Un tel dessaisissement ne peut être envisagé qu’après qu’il a été instruit sur ces critères de compétence et l’analyse de la commission d’instruction est confirmée sur ce point.

Sur la compétence de la commission d’instruction en matière de nullité. En réponse au deuxième moyen, l’Assemblée plénière rappelle que ce sont les dispositions expresses de l’article 23 de la loi organique du 23 novembre 1993 (N° Lexbase : O7024BYS) qui prévoient que la commission d’instruction de la Cour de justice de la République statue sur les nullités de la procédure, un pourvoi pouvant être formé devant la Cour de cassation, ayant, en la matière, pleine compétence pour statuer en fait et en droit, de sorte que ces dispositions ne méconnaissent pas les garanties de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). L’Assemblée plénière avait rendu un arrêt dans le même sens le 6 juin 2003 (Ass. plén., 6 juin 2003, n° 01-87.092, n° 03-80.734 N° Lexbase : A7339C8C).

Sur la prescription de l’action publique. Au sujet du troisième moyen, la Cour estime que le fait de faire figurer certaines sommes dans les recettes de campagne du candidat n’excluait pas la dissimulation de leur origine. A l’époque des faits, le Conseil constitutionnel n’avait ni la mission ni les pouvoirs d’ordonner des investigations sur ce point. En conséquence, le point de départ de la prescription de l’action publique avait pu être fixé par la commission d’instruction au jour de la découverte, en septembre 2006, d’un rapport attestant de l’existence de rétro-commissions ayant pu bénéficier à la campagne présidentielle du prévenu. Peu importe, à cet égard, que des membres du Conseil constitutionnel aient, à des dates postérieures, fait état de leur connaissance de l’existence d’irrégularités. Peu importe, encore, que certaines autorités qui auraient dû dénoncer les faits en application de l’article 40 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5531DYI) ne l’aient pas fait, dès lors que c’est leur seule connaissance par le ministère public, dans des conditions permettant la mise en œuvre de l’action publique, qui constitue le point de départ de la prescription.

Sur l’autorité de la chose jugée. Concernant le cinquième et le troisième moyen, après avoir admis que cette disposition s’applique aux décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans le domaine particulier des comptes de campagne, l’Assemblée plénière se livre à un examen de l’objet du contrôle exercé en cette occasion par le Conseil. En effet, l’autorité dite absolue de la chose jugée des décisions du Conseil est circonscrite à son objet. Or la décision du Conseil constitutionnel validant les comptes de campagne a un objet différent de celui des investigations menées par l’autorité judiciaire sur des délits autres que les délits électoraux prévus par l'article L. 113-1 du Code électoral (N° Lexbase : L7424LG3), sanctionnant l'absence de respect des obligations visées par ce texte et imposées à un candidat. Aussi n’empêche-t-elle pas le juge de procéder à de telles investigations.

Telles sont les questions juridiques que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a tranché à l’occasion des présents pourvois.

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