Réf. : Cass. com., 29 janvier 2020, n° 18-10.967, FS-P+B N° Lexbase : A90403CS)
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par Vincent Téchené
le 05 Février 2020
► D’une part, a méconnu le principe d’interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet, l’arrêt d’appel qui, statuant les commissions interbancaires sur le traitement des chèques, s’est fondé sur la présomption, contestée, d’une répercussion nécessaire des commissions litigieuses sur les prix finaux ;
► D’autre part, n’a pas donné de base légale à sa décision l’arrêt d’appel qui a estimé que la pratique litigieuse est particulièrement nocive au regard de son impact sur le jeu de la concurrence et, partant, caractérise une pratique anticoncurrentielle par objet, sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait pour affirmer que la recherche du maintien des équilibres financiers entre les banques conduisait à la cristallisation de la structure de marché.
Tel est le sens d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 janvier 2020 (Cass. com., 29 janvier 2020, n° 18-10.967, FS-P+B N° Lexbase : A90403CS).
L’affaire. Le Conseil de la concurrence s'est, le 29 avril 2003, saisi d'office de la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis par les entreprises aux fins d'encaissement. Au visa des articles L. 420-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN) et 101 du TFUE (N° Lexbase : L2398IPI), des griefs ont été notifiés à de nombreuses banques pour s'être entendues, à l'occasion de la mise en place d'un système dématérialisé de compensation des chèques, dit «échange image chèque» (EIC), sur l'instauration de diverses commissions interbancaires, soit une commission fixe de 4,3 centimes d'euro par chèque, dite commission d'échange image chèque (CIEC), versée par la banque remettante à la banque tirée à l'occasion de chaque paiement par chèque et destinée à compenser la perte de trésorerie subie par la banque tirée du fait de la réduction du temps de traitement des chèques, pour une période de trois ans, et huit commissions occasionnelles dites commissions pour services connexes (CSC), parmi lesquelles les commissions d’annulation d’opérations compensées à tort (AOCT), également uniformes, liées à certains services rendus par les banques pour l'exécution des paiements par chèques dans le nouveau système. Le 20 septembre 2010, l'Autorité de la concurrence a dit que les banques avaient, en instaurant entre elles la CIEC et les commissions AOCT, enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et 101 § 1 du TFUE, leur a infligé des sanctions pécuniaires et a prononcé des injonctions (Aut. conc. décision n° 10-D-28, 20 septembre 2010 N° Lexbase : X7792AGP ; lire N° Lexbase : N0905BQL). Les banques ont formé un recours contre cette décision.
C’est dans ces condition que, en dernier lieu, sur renvoi après cassation (Cass. com., 14 avril 2015, n° 12-15.971, FS-D N° Lexbase : A37153DX), un arrêt d’appel (CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 21 décembre 2017, n° 15/17638 N° Lexbase : A7279W84) n’a réformé que très partiellement la décision en réduisant les sanctions et a rejeté leur recours pour le surplus. Les banques ont alors de nouveau formé un pourvoi en cassation.
La décision.
En premier lieu, la Cour de cassation rappelle que la CJUE a jugé que, s'agissant de la notion de restriction par objet, «celle ci doit être interprétée de manière restrictive et ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence» (CJUE, 26 novembre 2015, C-345/14, point 18 N° Lexbase : A7757NXL).
Or, elle relève que l'arrêt d’appel a retenu que, s'agissant de la CIEC, l'accord prévoyant son instauration a, pour maintenir les équilibres financiers entre les banques, introduit un élément artificiel de coût pour les banques remettantes et de recette pour les banques tirées, ce caractère artificiel résultant de ce que la CIEC ne correspondait à aucun service rendu entre elles. En ce qui concerne les commissions AOCT, leur montant a été fixé d'un commun accord à un niveau unique, identique d'une banque à l'autre, sans tenir compte des coûts propres de chacune d'entre elles, de sorte que la création de ces commissions a substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques pour ces services connexes.
L’arrêt d’appel a, en outre, relevé que, pour la rémunération des services qu'elles proposent, les banques recherchent la rentabilité globale au niveau de chaque client et non service par service. Ainsi, dans le cadre de cette relation globale, tous les flux de paiement (cartes bancaires, chèques, espèces etc.), les crédits, les placements ou encore la gestion du compte peuvent être pris en compte par la banque afin de déterminer le prix des services bancaires qui seront facturés à un client donné, aboutissant ainsi à ce que, par un système dit de subventions croisées, un service puisse être proposé à un prix impliquant une perte si un autre poste permet de couvrir cette perte.
L’arrêt d’appel a, en conséquence, retenu que, par l'accord litigieux, les banques ont fait obstacle à leur liberté de détermination de leurs tarifs, et indirectement des prix, puisque ces commissions devaient nécessairement, compte tenu du système de financement des services bancaires par subventions croisées et du fait que les banques doivent, comme toute entreprise, couvrir leurs coûts, être répercutées sur les prix. Rappelant ensuite que les comportements consistant, pour les opérateurs d'un marché, à se concerter et à fixer ensemble un élément de leurs coûts, en ce qu'ils font obstacle à la libre fixation des prix qui doivent prévaloir sur les marchés, entrent dans la catégorie des accords ayant pour objet la fixation des prix et sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence, il en a déduit que sont ainsi caractérisées des pratiques anticoncurrentielles par objet.
La Cour de cassation censure ce raisonnement : en statuant ainsi, en se fondant sur la présomption, contestée, d’une répercussion nécessaire des commissions litigieuses sur les prix finaux, prise du financement du service de chèque par subventions croisées et d’un principe général de répercussion par tout opérateur économique de tout élément de coût sur les prix finaux, la cour d’appel qui, en l’absence d’expérience acquise pour ce type de commissions interbancaires, a méconnu le principe d’interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet, a violé les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.
En second lieu, l’arrêt d’appel a constaté que l'accélération des échanges résultant de la dématérialisation des opérations de compensation des chèques avait pour effet mécanique d'entraîner une modification des équilibres de trésorerie entre banques majoritairement tirées et banques majoritairement remettantes, les premières étant débitées plus rapidement et perdant donc plus tôt la disposition des fonds qu'elles plaçaient jusqu'alors à leur profit, et les secondes étant au contraire créditées plus rapidement et pouvant donc placer plus vite ces mêmes fonds à leur profit. Il a, en outre, retenu que la CIEC ne constitue pas une rémunération mais un transfert de revenus d’une banque à une autre afin de partager les conséquences financières de l’accélération de l’échange des chèques permise par la dématérialisation du système. Par ailleurs, la CIEC a introduit pour les banques une charge ayant pour finalité de maintenir les équilibres financiers qui existaient entre elles au moment de l’entrée en vigueur de l’EIC.
Ainsi, l’arrêt d’appel en a déduit que les banques ont, par l’instauration de cette commission, fait en sorte que la dématérialisation de l’encaissement, qui entraînait de nombreuses transformations dans leurs méthodes et était porteuse de gains et de pertes, n’emporte aucune modification dans la structure de marché, de sorte que la pratique est particulièrement nocive au regard de son impact sur le jeu de la concurrence et, partant, caractérise une pratique anticoncurrentielle par objet.
La Haute juridiction censure également ce raisonnement au visa des mêmes articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce : en se déterminant ainsi, sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait pour affirmer que la recherche du maintien des équilibres financiers entre les banques conduisait à la cristallisation de la structure de marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
En conséquence, la Chambre commerciale casse l’arrêt d’appel.
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