Le Quotidien du 29 janvier 2020 : Peines

[Brèves] Motivation de l’emprisonnement et usage de stupéfiants : diligences respectives du juge et du prévenu

Réf. : Cass. crim., 22 janvier 2020, n° 19-82.262, F-D (N° Lexbase : A59973C4)

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par La Rédaction Lexbase Pénal

le 26 Février 2020

► Justifie sa décision au regard des dispositions de l'article 132-19 du Code pénal (N° Lexbase : L5060K8W) la cour d'appel qui, pour condamner le prévenu à trois mois d'emprisonnement sans sursis à raison d’usage de cannabis, retient : qu'il est âgé de vingt-six ans, qu'il est célibataire et sans enfant, qu'il était sans emploi ni ressources lors des faits ; qu'il a été condamné à six reprises entre 2010 et 2015 ; qu'il n'a tenu compte d'aucun des avertissements qui lui ont été adressés, sous forme de condamnation avec sursis, de sursis avec mise à l'épreuve ou de travail d'intérêt général ; qu'il ne justifie pas d'une prise en charge spécialisée de sa toxicomanie, pourtant à l'origine de son ancrage dans la délinquance ; que toute autre sanction qu'une peine d'emprisonnement sans sursis serait manifestement inadéquate ; et qu'en l'absence de tout justificatif apporté par le prévenu qui ne comparaît pas, elle ne peut prononcer une mesure d'aménagement de la peine.

C’est ainsi que se prononce la Chambre criminelle le 22 janvier 2019 (Cass. crim., 22 janvier 2020, n° 19-82.262, F-D N° Lexbase : A59973C4).

Résumé des faits. En l’espèce, à l'occasion d'un contrôle routier, le prévenu a spontanément déclaré aux enquêteurs qu'il faisait usage de cannabis et qu'il en détenait, puis sorti de sa poche et remis aux gendarmes trois morceaux de cannabis d'un poids total de 4,6 grammes, précisant qu'ils étaient destinés à sa consommation personnelle. Condamné à trois ans d’emprisonnement ferme en première instance, il interjeta appel. Le prévenu n'était pas comparant ni représenté à l'audience des débats, tenue devant la chambre des appels correctionnels. Pour statuer à son encontre par arrêt contradictoire à signifier, la juridiction du second degré énonçait que, par acte du 17 janvier 2018, le prévenu avait été cité à l'adresse qu'il avait déclarée, conformément à l'article 503-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0889DYL), lors de sa déclaration d'appel. Elle ajoutait que, lors de la délivrance de l'acte, l'huissier de justice avait procédé aux diligences prévues par les articles 558, alinéas 2 et 4, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2065IE9). Un pourvoi a été formé.

A hauteur de cassation. Cette procédure due à l’absence du prévenu ne donne évidemment lieu à aucune censure, l’huissier s’étant contenté de respecter les dispositions précitées du Code de procédure pénale. Était également querellé le recours à l’emprisonnement ferme et la motivation d’une telle sanction : est « peu important », d’après la Chambre criminelle, « qu'il n'ait pas été fait retour du récépissé accompagnant l'avis de passage déposé par l'huissier de justice à l'adresse déclarée par le prévenu ». Surtout, la cour d’appel aurait dû, selon le prévenu, mieux s'expliquer sur le caractère inadéquat d'une autre sanction, ne pouvait estimer que l'absence du prévenu à l'audience excluait que le juge examinât la possibilité d'un aménagement de peine, et aurait prononcé une peine disproportionnée aux faits reprochés. Le moyen est donc rejeté au terme de la solution énoncée ci-dessus.

Contexte. Après avoir gravité dans les limbes constitutionnels, le principe d’individualisation a finalement pris rang « fondamental » dans la célèbre décision du 11 juin 2010 (Cons. const., décision n° 2010-6/7 QPC, du 11 juin 2010 N° Lexbase : A8020EYP) relative à l’article L. 7 du Code électoral (N° Lexbase : L2977HNL) selon laquelle le principe d'individualisation des peines « découle » de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1372A9P). Depuis, son application a pu varier. La période de sûreté en atteste puisque si son principe-même n’est pas contraire au principe d’individualisation (Cons. const., décision n° 2018-742 QPC, du 26 octobre 2018 N° Lexbase : A0702YIT), le défaut de lecture aux jurés des dispositions de l'article 132-23 du Code pénal était en revanche déclaré contraire à ce principe (Cons. const., décision n° 2019-770 QPC, du 29 mars 2019 N° Lexbase : A2871Y7H). Or, l’individualisation passe nécessairement par une motivation de la sanction prononcée : dans sa très importante décision en date du 2 mars 2018 le Conseil constitutionnel a en effet affirmé que « le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de cette déclaration, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine » (Cons. const., décision n° 2017-694 QPC, du 2 mars 2018 N° Lexbase : A8170XEC). On sait en outre que depuis le 1er février 2017, la Chambre criminelle s’est lancée dans une véritable campagne de motivation de toutes les peines correctionnelles (Cass. crim., 1er février 2017, trois arrêts, n° 15-83.984, FP-P+B+I N° Lexbase : A7002TAL, n° 15-85.199, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A7004TAN, n° 15-84.511, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A7003TAM : v. J.-B. Thierry, Lexbase hebdo Privé, 2017, n° 689 N° Lexbase : N6845BWG).

Cette dynamique fut en réalité initiée par trois arrêts rendus le 29 novembre 2016 en matière d’emprisonnement (Cass. crim., 29 novembre 2016, n° 15-86.116 N° Lexbase : A4623SLS, n° 15-86.712 N° Lexbase : A4624SLT et n° 15-83.108 N° Lexbase : A4622SLR FP-P+B+R+I : v. M. Giacopelli Lexbase hebdo Privé, 2017, n° 683 N° Lexbase : N6110BW9). L’emprisonnement doit ainsi faire l’objet d’une stricte motivation au regard des exigences formulée à l’article 132-19 du Code pénal : « le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction » (n° 15-86.712). La Cour de cassation avait pareillement précisé que « les juges ne sont tenus de spécialement motiver leur décision au regard de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu que pour refuser d'aménager la peine d'emprisonnement sans sursis qu'ils prononcent, lorsque cette peine est d'une durée qui n'excède pas deux ans, ou un an en cas de récidive, et non pour justifier la nécessité d'une telle peine » (n° 15-86.116).

Les exigences imposées aux juges correctionnels ne s’apparentent pour autant pas à une obligation de résultat. Déjà, dans un des arrêts rendus le 29 novembre 2016, le prévenu n’avait donné aucune information précise sur sa situation personnelle et, bien que régulièrement cité, il n'avait comparu ni devant le tribunal ni devant la cour d'appel, de sorte que les juges ne disposaient selon la Cour de cassation d'aucun élément vérifié sur sa situation actuelle. La Chambre criminelle jugeait alors que la cour d’appel se trouvait dans l'impossibilité de prononcer une mesure d'aménagement de la peine d’emprisonnement d'une durée n'excédant pas deux ans, en l'absence d'éléments suffisants sur la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu (n° 15-83.108).

Analyse. L’arrêt en date du 22 janvier 2019 rappelle donc que, pour la Cour de cassation, si la justice est débitrice d’une obligation de motiver la peine d’emprisonnement, le prévenu n’est pas pour autant déchargé de tout rôle. L’aménagement de la peine d’emprisonnement doit être construit avec le condamné : le prévenu doit participer à la sanction en offrant au juge les éléments permettant d’individualiser la peine par son aménagement. Faute de quoi, les juridictions peuvent se prononcer au regard des seuls éléments dont elles ont connaissance.

Il est vrai qu’ici la juridiction aurait pu mobiliser la fameuse césure du procès pénal. L’article 132-70-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9841I3U) offre aux juges la possibilité d'ajourner (le prononcé de la peine) aux fins d'investigations sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale et sociale. Simple faculté, le tribunal n’avait pas légalement à s’y résoudre. Surtout, aux termes de l’article 723-15 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9858I3I), faute de mandat de dépôt à l’audience, le prévenu pourra obtenir un aménagement ou une conversion de peine du juge d’application des peines. Puisque sa toxicomanie est en réalité sa délinquance, le JAP pourra tenter d’identifier le cadre adapté aux soins devant lui être apportés.

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