Lexbase Avocats n°100 du 1 décembre 2011 : Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] Clauses de non-concurrence entre avocats : les conditions de validité

Réf. : Cass. civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-24.158, F-D (N° Lexbase : A6131HYQ)

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par Xavier Berjot, Avocat Associé, Ocean Avocats

le 01 Décembre 2011

Dans un arrêt du 6 octobre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré qu'est nulle la stipulation de l'acte de cession d'un fonds d'exercice libéral de la profession d'avocat selon laquelle le cédant "s'interdisait toute forme d'exercice de la profession d'avocat qui viendrait en concurrence du cessionnaire, sans limitation de temps, ni de lieu, la seule forme d'exercice de la profession d'avocat que pourra continuer d'assurer le cédant devant être nécessairement au sein du cabinet du cessionnaire". Cette décision est l'occasion de rappeler les règles applicables aux clauses de non-concurrence ou de non-rétablissement entre avocats. I - Les faits

Me X, ayant souhaité prendre sa retraite d'avocat, a cédé son fonds d'exercice libéral à la SELARL Y. Cette cession est intervenue par acte du 19 octobre 2007, pour le prix de 300 000 euros, et prévoyait notamment une obligation de non-concurrence générale de la part du cédant.

Le même jour, les parties ont signé une convention annexe aux termes de laquelle Me X continuait à collaborer au sein du cabinet en traitant des dossiers qui lui seraient confiés durant 36 mois après la cession définitive.

Les parties ont réitéré leur engagement de cession, de non-concurrence et de collaboration par acte du 27 février 2008 avec prise de possession rétroactive au 1er janvier 2008, Me X s'engageant alors à présenter sa clientèle à la SELARL Y.

Toutefois, plusieurs clients, suivis jusqu'à la cession par un autre avocat, Me A., en partenariat avec Me X, ont fait savoir qu'ils n'entendaient pas changer d'avocat. Me X, lié par la clause de non-concurrence, a alors été engagé par Me A. en tant qu'avocat salarié pour traiter ces dossiers, avec l'approbation du Bâtonnier.

C'est alors que la SELARL Y a refusé de payer le prix de la cession.

Par sentence arbitrale du 1er octobre 2008, le Bâtonnier du barreau de Paris a jugé que la cession de fonds du 27 février 2008 était parfaite et que Me X. aurait dû avertir le cessionnaire du fait que trois clients figurant sur la liste n'étaient pas réellement les siens, de sorte que la valeur de la clientèle avait été surévaluée.

Me X. a interjeté appel de la sentence arbitrale par acte du 27 octobre 2008, sollicitant en particulier l'annulation de la clause de non-concurrence prévue à l'acte de cession.

Dans un arrêt du 22 juin 2010, la cour d'appel de Paris a condamné Me X. au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, retenant que l'illicéité de la clause de non-concurrence soulevée par ce dernier "est d'autant moins démontrée qu'il s'agit d'une cession pour départ à la retraite" (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 22 juin 2010, n° 08/20431 N° Lexbase : A3192E4Y).

La Cour de cassation a censuré cette décision au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et du principe de la liberté d'exercice de la profession d'avocat, considérant que "seules sont licites les clauses de non-concurrence limitées dans le temps et l'espace, proportionnées à leur finalité".

II - L'analyse de l'arrêt

L'arrêt de la Cour de cassation est intéressant dans la mesure où il fixe les règles relatives aux clauses de non-concurrence concernant les avocats (en l'espèce à l'occasion d'une cession).

En effet, le règlement intérieur national de la profession d'avocat (N° Lexbase : L4063IP8) ne contient que peu de dispositions sur le sujet. Son article 14.2, relatif au statut de l'avocat collaborateur libéral ou salarié, prévoit que "le contrat ne peut comporter de clauses de limitation de liberté d'établissement ultérieure". Par ailleurs, l'article 14.3 dispose que "toute stipulation limitant la liberté d'établissement ultérieure est prohibée" et que "l'ancien collaborateur libéral ou salarié doit s'interdire toute pratique de concurrence déloyale".

Rappelons que le RIN s'appuie sur l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée (N° Lexbase : L6343AGZ) qui dispose que "le contrat de collaboration ou le contrat de travail ne doit pas comporter de stipulation limitant la liberté d'établissement ultérieure du collaborateur ou du salarié".

Ainsi, dans un arrêt du 14 octobre 1997, la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-13.532 N° Lexbase : A0422ACM) a, au visa de ce texte, cassé un arrêt d'appel ayant validé certains articles du règlement intérieur du barreau de Metz instituant "au profit du patron ou de l'employeur un droit de contrôle préalable sur le choix des clients de son ancien collaborateur ou salarié, restreignant de fait sa liberté d'établissement ultérieure".

De la même manière, a été considérée comme inopposable à l'avocat salarié, car limitant sa liberté d'établissement ultérieure, la clause d'un contrat intitulée "respect de la clientèle" et stipulant qu'"après la fin du contrat le stagiaire s'interdit notamment : d'accomplir en qualité d'avocat directement, indirectement ou par personne interposée, pendant un délai de trois ans à compter de la cessation du contrat de travail, quelle qu'en soit la cause, sauf accord préalable et écrit de X aucun acte professionnel au profit d'un client avec lequel il a été mis en relation" (CA Agen, 5 octobre 1994, SA F. c/ Bâtonnier du conseil de l'Ordre des avocats du barreau d'Agen).

Hormis les quelques dispositions susvisées du RIN, qui ne concernent que l'ancien collaborateur, aucun texte ne définit les règles de validité des clauses de non-concurrence entre avocats.

Si la cause est entendue s'agissant des anciens collaborateurs, la question est donc plus délicate quand il s'agit de la cession d'un cabinet, où l'obligation de non-concurrence est une condition déterminante de l'équilibre économique et juridique de la cession.

L'arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 reconnaît la licéité d'une telle clause, à condition que celle-ci soit limitée dans le temps et dans l'espace, et proportionnée à sa finalité.

Cette décision est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, relative aux clauses de non-concurrence entre professionnels (cf. Cass. civ. 1, 16 novembre 2004, n° 01-17.356 N° Lexbase : A9399DDH : à propos d'orthophonistes ; Cass. civ. 1, 28 mars 2008, n° 07-12.454 N° Lexbase : A6119D7R : à propos d'angiologues).

En l'espèce, la clause très large selon laquelle le cédant avocat "s'interdisait toute forme d'exercice de la profession d'avocat qui viendrait en concurrence du cessionnaire, sans limitation de temps, ni de lieu" était de toute évidence nulle et de nul effet...

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