La lettre juridique n°460 du 3 novembre 2011 : Santé

[Jurisprudence] Un pas de plus vers la plénitude de l'obligation de sécurité de résultat

Réf. : Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-68.272, FS-P+B (N° Lexbase : A8752HYS)

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N8506BST

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 03 Novembre 2011

Comme elle le fit en 2010 (1), c'est à nouveau à l'occasion d'une affaire de harcèlement moral que la Chambre sociale de la Cour de cassation, par un important arrêt rendu le 19 octobre 2011, apporte une nouvelle pierre à l'édifice de l'obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur (I). Il semble bien, en effet, qu'il ne soit plus désormais possible pour l'employeur de s'exonérer de sa responsabilité en cas de manquement à l'obligation de sécurité, notamment en cas de harcèlement, qu'en démontrant l'existence d'un cas de force majeure (II). Si l'on peut considérer que la position de la Chambre sociale, consistant à pousser à ses limites la logique de l'obligation de résultat, est justifiée par les objectifs à atteindre, on peut demeurer plus mesuré quant à l'appréciation faite de l'auteur du harcèlement qui paraît, dans cette espèce, somme toute un peu restrictive (III).
Résumé

L'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, et l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité. Il doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés.

Commentaire

I - Manquement à l'obligation de sécurité et harcèlement du fait d'un tiers à l'entreprise

Un salarié avait été engagé comme concierge par un syndicat de copropriétaires. A l'occasion de ses fonctions, le salarié fut victime d'insultes de la part du président du conseil syndical, lequel n'avait pas la qualité de préposé du syndic. Face à de tels comportements, le syndic avait rappelé solennellement qu'il était seul habilité à contrôler et critiquer le travail des employés de la copropriété et avait signifié cette règle au président du conseil syndical en lui précisant que de nouveaux écarts de langage ne seraient pas tolérés. S'estimant victime de harcèlement moral, le salarié saisit une juridiction prud'homale d'une demande en dommages et intérêts.

La cour d'appel statuant sur cette affaire débouta le salarié de ses demandes. Elle jugea, d'abord, que l'employeur ne peut être tenu responsable de faits de harcèlement moral qu'à la condition qu'il soit l'auteur de ces comportements ou que l'auteur du harcèlement soit l'un de ses préposés. Elle ajouta, ensuite, que l'employeur avait pris toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la situation de harcèlement en enjoignant le président du conseil syndical de cesser ses écarts de langage.

Cette décision est cassée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 19 octobre 2011, au visa des articles L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P), L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K), L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L1450H9L) du Code du travail.

Par un chapeau très solennel, la Chambre sociale dispose, d'abord, que "l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, et que l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité". Elle poursuit en énonçant que l'employeur "doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés".

Presque mécaniquement, la Chambre sociale conclut que "le président du conseil syndical avait exercé une autorité de fait sur le gardien" et que "les mesures prises par la suite pour mettre fin à son mandat n'exonéraient pas l'employeur des conséquences des faits de harcèlement", si bien que l'arrêt d'appel devait être cassé pour violation de la loi.

Cette décision doit être diversement appréciée selon que l'on s'intéresse au domaine de l'obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur qui s'étend vraisemblablement ou au régime juridique du harcèlement moral qui, au contraire, semble subir une restriction que la loi ne prévoit pas.

II - L'extension de l'intensité de l'obligation de sécurité de l'employeur

  • L'obligation de sécurité à la charge de l'employeur

L'employeur est tenu, à l'égard de ses salariés, à une obligation de sécurité de résultat. Consacrée par la jurisprudence comme obligation accessoire au contrat de travail (2), cette obligation s'est progressivement étoffée, d'abord en étant imposée par le législateur (3) et, surtout, en faisant l'objet d'ajustements jurisprudentiels. La Chambre sociale de la Cour de cassation a progressivement haussé son niveau d'exigence à l'égard de l'employeur pour lui imposer, en 2010, une obligation dont l'intensité s'apparente de plus en plus à une véritable obligation de résultat (4).

Avec le développement des problématiques liées aux risques psychosociaux, le harcèlement est un terrain fertile au développement de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'obligation de sécurité de résultat. Ainsi les dernières évolutions de 2010 ont déjà été prononcées au regard de situations de violences physiques et psychologiques. L'idée portée tant par l'article L. 4121-1 que par l'article L. 1152-4 du Code du travail est que le salarié ne doit en aucun cas subir d'atteintes à sa santé en raison d'actes de harcèlement. L'employeur, quand bien même il aurait pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou pour mettre fin à une situation de harcèlement, sera donc responsable des préjudices subis par la victime.

C'est à nouveau à propos d'un cas de harcèlement que la définition apportée par la Chambre sociale de l'obligation de sécurité fait un pas en avant.

  • Le renforcement de l'obligation de sécurité de résultat

Après les arrêts du 3 février 2010 par lesquels la Chambre sociale de la Cour de cassation posait, pour la première fois, l'impossibilité pour l'employeur de s'exonérer de sa responsabilité en cas de manquement à cette obligation lorsqu'il avait pris toutes les mesures pour prévenir l'atteinte à la sécurité du salarié, plusieurs auteurs s'étaient interrogés sur la portée de la décision (5).

En effet, avant cette date, l'employeur disposait de deux moyens pour s'exonérer de toute responsabilité en cas de manquement à l'obligation de sécurité. Il n'était responsable qu'à la condition que le salarié parvienne à "prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver". Si l'absence de mesures prises pour éviter le danger n'était plus une cause exonératoire depuis l'hiver 2010, on s'interrogeait toujours sur le fait de savoir si la conscience du danger qu'avait ou qu'aurait dû avoir l'employeur était encore un élément décisif de sa responsabilité.

A dire vrai, la décision sous examen ne répond pas clairement à cette interrogation. Plus encore, c'est le fait que la cour d'appel ait débouté le salarié du fait que l'employeur avait pris certaines mesures à l'égard du président du conseil syndical qui semblait avoir justifié la cassation. Pour autant, tout permet de penser qu'un pas a été franchi. En effet, la généralité de la formule selon laquelle l'employeur ne peut s'exonérer de sa responsabilité en démontrant l'absence de faute de sa part est caractéristique d'une obligation de résultat dans toute sa plénitude. La motivation de la Chambre sociale va bien plus loin que celle utilisée en février 2010 qui visait expressément les mesures prises par l'employeur. Si l'on s'en tient à la théorie classique héritée de Demogue (6), seule la force majeure devrait donc aujourd'hui permettre à l'employeur de s'exonérer de sa responsabilité.

Comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner (7), il nous semble que cette évolution est tout à fait inévitable tant il n'est plus admissible, au XXIème siècle, qu'il soit porté atteinte à la santé des salariés du fait de leur travail. L'évolution jurisprudentielle est d'autant plus souhaitable que le législateur paraît, en la matière, bien trop timoré, comme en témoigne la récente réforme de la médecine du travail qui comporte, en germe, de nombreux ferments de dilution de la responsabilité des employeurs en la matière (8).

Bien entendu, la mesure est sévère pour les employeurs, cela ne peut être nié. Pour autant, elle devrait avoir pour effet salutaire d'inculquer dans les écoles de management une véritable culture de protection de la santé des salariés dont on ne peut plus aujourd'hui faire l'économie. Il sera toujours temps, le jour où comportements et mentalités auront évolué, de revenir à une application plus modérée de cette règle.

Vigoureuse mais indispensable, la position de la Chambre sociale en matière d'obligation de sécurité doit donc être saluée. La solution adoptée en matière de harcèlement paraît plus discutable en ce qu'elle introduit dans le raisonnement du juge un élément qui ne semble pas ressortir des textes en la matière.

III - Les interrogations quant à l'auteur du harcèlement moral

  • L'auteur du harcèlement moral : les textes

En matière de harcèlement moral, comme d'ailleurs de harcèlement sexuel, l'identification de l'auteur du harcèlement ne semble plus avoir aujourd'hui grande importance : que les comportements de harcèlement aient été commis par l'employeur ou par l'un de ses subordonnés, la qualification de harcèlement et les conséquences qui en découlent pourront être retenues.

Cela n'a pas toujours été aussi simple. En effet, les premières manifestations du harcèlement en droit français en 1992 faisaient la part belle au lien d'autorité. Si l'article L. 1153-1 du Code du travail vise les comportements adoptés par "toute personne", il en allait différemment en 1992 puisque la loi imposait la preuve de l'existence d'un "abus d'autorité", ce qui impliquait que le harcèlement ne pouvait provenir que d'une personne hiérarchiquement supérieure au salarié harcelé.

S'agissant du harcèlement moral, la définition actuelle issue de la loi de 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9) ne fait aucune référence, même implicite, à l'auteur du harcèlement : le texte est résolument centré sur la victime qui ne doit pas subir d'agissements de harcèlement. Cette absence de précision pourrait laisser penser que l'auteur du harcèlement n'est pas nécessairement l'employeur, ni l'un de ses collaborateurs ni même un salarié de l'entreprise. Ce sentiment est cependant atténué par le texte de l'article L. 1152-5 (N° Lexbase : L0732H9Y) qui dispose que "tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire", ce qui laisse supposer qu'à l'exception de l'employeur, seul un salarié peut se rendre coupable de harcèlement moral.

D'autres textes se sont intéressés à la qualification de harcèlement. Ainsi, l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail définit le harcèlement comme la situation dans laquelle "un ou plusieurs salariés font l'objet d'abus, de menaces et d'humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail" (9). L'article L. 1152-1 du Code du travail n'offre aucune indication sur l'auteur du harcèlement. Enfin, l'article 1er, alinéa 3, de la loi du 27 mai 2008 (loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L8986H39), qui assimile discrimination et harcèlement, les définit comme "tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant". Aucun de ces textes ne comporte donc de précision sur l'auteur du harcèlement.

L'avènement du harcèlement managérial (10) a, en outre, confirmé la tendance à la dilution d'une responsabilité personnelle dans le cadre du harcèlement puisqu'un employeur peut aujourd'hui être responsable des conséquences d'un harcèlement moral lié à des méthodes de management trop agressives, sans pour autant qu'un salarié auteur du harcèlement soit clairement identifié. Qui que soit l'auteur du harcèlement, cette situation ne devait pas se produire puisque l'employeur a l'obligation de prévenir la survenance de situations de harcèlement moral dans l'entreprise, comme le lui impose l'article L. 1152-4 du Code du travail.

L'interprétation des textes comme les évolutions jurisprudentielles en matière de harcèlement moral laissaient donc penser que, peu à peu, l'identification de l'auteur du harcèlement perdrait, comme pour le harcèlement sexuel, toute importance. Cela n'est pourtant pas le cas, comme en témoigne l'affaire commentée qui exige un lien d'autorité de fait ou de droit.

  • Le harcèlement du fait d'un tiers à l'entreprise

Faut-il exclure la responsabilité de l'employeur lorsque l'auteur du harcèlement est un tiers à l'entreprise ?

Bien sûr, la situation statistiquement la plus fréquente mettra en cause l'employeur ou l'un de ses subordonnés. Il est d'ailleurs significatif de constater que la doctrine la plus autorisée dans ce domaine ne semble pas envisager que l'auteur du harcèlement puisse être une autre personne que l'employeur ou l'un de ses subordonnés (11). Pourtant, comme le démontre l'affaire sous examen, le harcèlement peut être infligé par d'autres personnes que l'employeur ou le salarié. Les conditions de travail peuvent être dégradées par des clients de l'entreprise, par des salariés mis à disposition par d'autres entreprises, par des fournisseurs ou des partenaires commerciaux, etc.. A partir du moment où le législateur ne s'intéresse pas à la qualité de l'auteur du harcèlement, on peut se demander pour quelle raison le juge distingue là où la loi ne le fait pas...

Bien heureusement, la position de la Chambre sociale n'est pas absolue puisqu'elle permet tout de même que l'employeur soit responsable de situations de harcèlement dans lesquelles aucun de ses salariés n'est impliqué, à condition qu'il exerce sur l'auteur une autorité "de fait ou de droit". Le harcèlement commis par des salariés mis à disposition devrait très probablement entrer dans cette catégorie, de la même manière que celui infligé par des personnes placées dans l'entreprise sans être subordonnées à l'employeur tels que, par exemples, des stagiaires. L'immense majorité des situations devrait donc être couverte si bien qu'en pratique, la solution est opportune... à défaut d'être solidement justifiée en droit.


(1) Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN) ; JCP éd. G, 2010, 321, note J. Mouly ; JCP éd. S, 2010, 1125, note C. Leborgne-Ingelaere ; RDT, 2010, p. 303, note M. Véricel.
(2) Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0773AYB), Dr. soc., 2002, p. 445, note A. Lyon-Caen ; RTDCiv., 2002, p. 310, note P. Jourdain ; D., 2002, p. 2696, note X. Prétot ; RJS, 2002, chr. p. 495, note P. Morvan.
(3) C. trav., art. L. 4121-1 (N° Lexbase : L1448H9I).
(4) Cass. soc., 3 février 2010, préc..
(5) V. en part. J. Mouly, préc., et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, préc..
(6) Sur laquelle, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil - Les obligations, Dalloz, 10ème édition, 2009, p. 582.
(7) V. nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, préc..
(8) Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011, relative à l'organisation de la médecine du travail (N° Lexbase : L8028IQE) et nos obs., Loi relative à l'organisation de la médecine du travail, Lexbase Hebdo n° 451 du 1er septembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7359BSD). D'une manière générale sur la réforme, v. également, M. Caron, P.-Y. Verkindt, La réforme de la médecine du travail n'est plus (tout à fait) un serpent de mer..., JCP éd. S, 2011, 1421.
(9) Sur cet accord, v. Ch. Willmann, L'ANI sur le harcèlement et la violence au travail du 26 mars 2010, Lexbase Hebdo n° 409 du 23 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0959BQL) ; RDT, 2010 p. 428, note P. Adam.
(10) Sur ce concept, v. en dernier lieu Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616, F-P+B (N° Lexbase : A1528HCL) et les obs. de Ch. Radé, Le harcèlement managérial de nouveau sanctionné, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7668BRG).
(11) V. Ch. Radé, Discriminations et inégalités de traitement dans l'entreprise, éd. Liaisons, 2011, pp. 178-179 qui n'envisage que la responsabilité de l'employeur ou du salarié et semble, par là, ne pas envisager l'hypothèse que l'auteur du harcèlement soit une tierce personne.

Décision

Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-68.272, FS-P+B (N° Lexbase : A8752HYS)

Cassation partielle, CA Paris, 22ème ch., sect. C, 26 mars 2009, n° 06/14017 (N° Lexbase : A5407EEY)

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P), L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K), L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L1450H9L)

Mots-clés : obligation de sécurité de l'employeur, obligation de résultat, exonération, harcèlement moral, auteur du harcèlement, tiers à l'entreprise

Liens base : ; (N° Lexbase : E3145ETN)

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