La lettre juridique n°460 du 3 novembre 2011 : Sociétés

[Jurisprudence] Exécution forcée des pactes d'actionnaires : l'audace du tribunal de commerce de Paris

Réf. : T. com. Paris, ord. référé, 3 août 2011, n° 2011052610 (N° Lexbase : A5940HYN)

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

le 03 Novembre 2011

En retenant le principe d'une réparation en nature, par l'exécution forcée des engagements violés, en présence d'un pacte d'actionnaires comportant notamment une clause d'équilibre dans la composition du comité de surveillance de la société concernée, le président du tribunal de commerce de Paris, par l'ordonnance de référé en date du 3 août 2011 (sur cette décision, voir aussi F.-X. Lucas, Editorial, Exécution forcée des pactes : les bonnes lectures du TC de Paris, Bull. Joly, 2011, p. 745), a certainement fait preuve d'une audace remarquable. Ramenés à l'essentiel, les faits illustrent bien une pratique devenue assez familière dans le droit des sociétés, ce qui accentue la portée de la décision prise par le tribunal de commerce de Paris. On ne pourra pas tenter de minimiser l'importance de la position adoptée en invoquant le caractère très particulier du cas de figure. Le capital d'une société par actions simplifiée était réparti entre un actionnaire majoritaire et divers autres actionnaires, personnes morales et personnes physiques. Un pacte d'actionnaires avait été conclu entre eux, aux termes duquel il était prévu que le comité de surveillance est composé de cinq membres nommés et révoqués librement par les associés de la société statuant à la majorité simple parmi les candidats présentés selon les principes suivants : trois membres seront nommés parmi les candidats présentés par l'actionnaire majoritaire et deux membres parmi les candidats présentés par le principal actionnaire minoritaire. Lors d'une assemblée générale tenue le 27 juin 2011, la nomination de deux des membres du comité de surveillance ne s'était pas effectuée selon les prévisions du pacte d'actionnaires et les deux personnes nommées ne figuraient pas parmi les candidats présentés par le principal actionnaire minoritaire. Ce dernier saisit alors le président du tribunal de commerce de Paris, en référé, d'une demande tendant à constater la violation du pacte d'actionnaires et d'ordonner les mesures requises pour que les stipulations dudit pacte soient respectées. C'est en faisant droit à cette demande que l'ordonnance de référé ici rapportée retient l'attention. La position adoptée, fondée sur une argumentation détaillée sans doute peu habituelle pour cette catégorie de décision de justice, est spectaculaire. Alors même qu'elle s'inscrit dans un contexte jurisprudentiel peu favorable à l'exécution forcée des engagements contractuels (I), il s'agit bien d'une position de principe fermement en faveur de ce mode de sanction de la violation d'un pacte d'actionnaires (II) et qui n'hésite pas à retenir une mise en oeuvre contraignante du respect de l'engagement pris (III).

I - Un contexte jurisprudentiel peu favorable à l'exécution forcée

A - L'hostilité générale de la Cour de cassation à la réparation en nature de la violation d'une obligation de faire

On ne peut manquer d'observer que la présente décision du tribunal de commerce de Paris intervient alors que la Cour de cassation a réaffirmé récemment, en présence d'une promesse unilatérale de vente d'immeuble, son hostilité à ce que la réalisation forcée de la vente puisse être ordonnée à titre de sanction de la rétractation par le promettant de son consentement à la vente, exprimée antérieurement à la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse (Cass. civ. 3, 11 mai 2011, n° 10-12.875, FS-P+B N° Lexbase : A1164HRK) ; JCP éd. E, 2011, 1670, note Y. Paclot ; Bull. Joly, 2011, p. 652, note D. Mazeaud).

Cette position de principe en faveur du seul octroi de dommages et intérêts pour sanctionner le non-respect de l'engagement de vendre pris par l'auteur de la promesse apparaît, malgré les fortes critiques qu'elle suscite de la part de la doctrine, d'autant plus solidement implantée au sein de la Cour de cassation que la Chambre commerciale l'a faite sienne, par arrêt en date du 13 septembre 2011 (Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-19.526, F-D N° Lexbase : A7535HXD) à propos d'une promesse unilatérale de cession d'actions. La même orientation jurisprudentielle se retrouve également à propos de la réparation du salarié, bénéficiaire d'options de souscription d'actions ou d'un plan d'attribution gratuite d'actions, privé du droit de lever les options par suite de son licenciement. Alors même que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, la perte du bénéfice de l'offre de souscription des titres n'est réparée, le cas échéant, que par l'octroi de dommages et intérêts, et ce bien que la perte de la qualité de salarié qui conditionne l'exercice de l'option résulte d'une décision de licenciement injustifiée prise par la société employeur. La réparation en nature, consistant à laisser le salarié libre d'exercer son droit d'option nonobstant l'effet de son licenciement, est traditionnellement écartée par la Chambre sociale de la Cour de cassation au profit d'une réparation par équivalent financier (v. not., Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-40.027, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4508DDC ; Rev. sociétés, 2005, p. 396, note B. Saintourens ; JCP éd. E, 2005, 131, n° 4, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; adde, G. Auzero, Stock-options et licenciement sans cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 137, du 7 octobre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3011AB7).

B - L'incertitude particulière relative à la sanction de la violation d'un pacte d'actionnaires

Si la question relative à la détermination de la sanction idoine de la violation d'un pacte d'actionnaires alimente depuis quelques temps déjà la littérature juridique (v. not., E. Brochier, L'exécution en nature des pactes d'actionnaires : observations d'un praticien, RDC, 2005, p. 125 ; Dossier L'effectivité des pactes d'actionnaires, sous la direction de F.-X. Lucas et D. Martin, Bull. Joly, 2011, p. 614), l'état de la jurisprudence sur ce point suscite encore, à notre avis, bien des interrogations.

Certes, à plusieurs reprises, des juridictions du fond ont opté pour l'exécution forcée d'un pacte d'actionnaires lorsque l'un des signataires n'a pas respecté l'engagement pris. Ainsi en a-t-il été jugé à propos d'un pacte stipulant une clause d'offre alternative (T. com. Paris, 17 octobre 2006, Bull. Joly, 2007, p. 72, note F.-X. Lucas, Dr. sociétés, 2007, n° 137, obs. H. Hovasse ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 15 décembre 2006, n° 06/18133 N° Lexbase : A0202DUZ, Bull. Joly, 2007, p. 479, note F.-X. Lucas) ou d'un pacte comportant une promesse de voter en faveur d'une augmentation de capital (CA Paris, 5ème ch., sect. C, 30 juin 1995, n° 93/27606 N° Lexbase : A1518AUR ; Dr. sociétés, 1995, n° 198, obs. D. Vidal ; JCP éd. E, 1996, II, 795, note J.-J. Daigre) ou encore d'un pacte de sortie conjointe (CA Versailles, 12ème ch., sect. 1, 14 octobre 2004, n° 03/04586 N° Lexbase : A7560DNC ; Rev. sociétés, 2005, p. 472, note I. Urbain-Parléani). Récemment encore, un arrêt très remarqué de la cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 14ème ch., 27 juillet 2010, n° 10/00559 N° Lexbase : A4674E7A ; Rev. sociétés, 2011, p. 90, note A. Couret ; RTDCom., 2011, p. 134, obs. P. Le Cannu et B. Dondéro ; Bull. Joly, 2011, p. 986, note P. Mousseron ; sur cet arrêt, voir aussi, Quand la cour d'appel de Versailles renforce l'efficacité des pactes d'actionnaires - Questions à Maître Bruno Cavalié et Antoine Hontebeyrie, Lexbase Hebdo n° 414 du 28 octobre 2010 - édition privée, N° Lexbase : N4362BQM) avait suscité l'attention en reconnaissant, au titre de sanction de la violation d'une clause de stand still figurant dans un pacte d'actionnaires, au créancier de la clause le droit d'obtenir la cession forcée de la moitié des actions achetées par l'autre partie au pacte, en violation de son engagement.

Mais rien ne permet de dire que ce mode de sanction de la violation par l'un des signataires d'un pacte d'actionnaires de l'engagement pris trouve le même accueil devant la Cour de cassation. On peut ainsi remarquer que l'arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 27 juillet 2010 précité a été cassé (Cass. com. 24 mai 2011, n° 10-24.869, F-P+B (N° Lexbase : A8716HSM), J.-B. Lenhof, Article 1134 versus article 1143 du Code civil dans la réparation en nature du préjudice résultant de la violation d'un pacte d'actionnaires, Lexbase Hebdo n° 258 du 7 juillet 2011 - édition affaires N° Lexbase : N6802BSQ ; Rev. sociétés, 2011, p. 482, note A. Gaudemet ; JCP éd. E, 2011, 1698, note R. Mortier) en des termes qui ne laissent guère d'espoir pour une position de principe en faveur de l'exécution forcée du pacte violé (voir les commentaires précités). Par ailleurs, il n'y a pas, à notre connaissance, un arrêt de la Haute juridiction affirmant clairement que le non-respect d'un pacte d'actionnaire doive se traduire par l'exécution forcée de l'engagement violé. La condamnation à des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice subi par le cosignataire du pacte paraît bien encore aujourd'hui la sanction la plus probable.

Dans un tel contexte jurisprudentiel, l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris apparaît donc bien audacieuse.

II - Une position de principe fermement en faveur de l'exécution forcée

A - L'exécution forcée du pacte et le droit des contrats

L'ordonnance ici commentée s'enracine fortement dans le droit des contrats et vient fonder la sanction d'une réparation en nature de la violation du pacte tant sur le terrain de l'autonomie de la volonté que sur celui de la force obligatoire des contrats.

Le président du tribunal de commerce de Paris met bien en avant qu'il s'agit ici "d'obliger un actionnaire à agir en appliquant l'engagement qu'il a contracté", pour reprendre les termes figurant dans son ordonnance. En se soumettant, par sa signature, aux obligations contenues dans le pacte, l'actionnaire exprime bien son consentement. Sous réserve de l'existence d'un vice du consentement (erreur, dol, violence), non invoqué en l'espèce, c'est bien par l'effet de l'expression de sa volonté que l'actionnaire se trouve tenu des obligations contenues dans le pacte. Pour s'en tenir à l'illustration fournie par l'espèce, l'obligation de nommer les membres du comité de surveillance selon les stipulations précises prévues au pacte est définitive. Le consentement de chacun des actionnaires est donné, au titre de l'autonomie de la volonté. Il ne reste plus alors aux signataires qu'à s'exécuter, au titre de la force obligatoire des contrats. L'engagement pris ne comporte pas une clause tacite permettant à l'un des signataires de s'en libérer moyennant le versement de dommages et intérêts à l'autre partie. La force obligatoire d'un contrat ne saurait être entendue comme incluant la faculté de changer d'avis. Cette conception des engagements pris dans un pacte d'actionnaires tranche évidemment avec celle qui prévalait, aux yeux de ce même tribunal de commerce de Paris, il y a vingt ans (V. T. com. Paris, 12 février 1991, Bull. Joly, 1991, p. 592) lorsqu'il était admis que quels que soient les engagements qu'ai pu prendre un associé dans un pacte, il demeurait libre de ne pas les respecter lors de la prise d'une décision collective et qu'il n'était pas du pouvoir du juge de le forcer à s'y tenir. Avec la décision ici examinée, le premier juge consulaire de Paris adopte une approche rigoureuse des engagements pris, tant d'un point de vue juridique que d'un point de vue moral. Il n'est pas mauvais que le bon sens se retrouve dans la règle de droit et l'on perçoit, entre les lignes de l'ordonnance du président du tribunal de commerce, le souci du magistrat de se placer sous ce double critère. En outre, on ne saurait minimiser le signal donné par un juge éminent issu lui-même du monde du commerce en faveur du respect de la parole donnée, facteur de sécurité dans les relations d'affaires.

B - L'exécution forcée du pacte et le droit des sociétés

Sur le point en discussion, le pacte d'actionnaires constituait une convention de vote dès lors que les signataires du pacte s'engageaient à nommer les membres du comité de surveillance selon la clé de répartition des postes établie. Pour imposer à l'un des signataires le respect de l'engagement pris, encore fallait-il que la validité du pacte, en ce qu'il constituait une restriction à la liberté de vote, ne soit pas mise en cause. L'ordonnance de référé ici commentée envisage bien cet aspect de la question, même si c'est de manière un peu indirecte.

Sans qu'il soit requis de rappeler les éléments du débat relatif à la licéité des conventions de vote, on sait que la jurisprudence retient la validité des conventions qui aménagent le droit de vote dès lors qu'elles sont limitées quant à leur champ d'application, conformes à l'intérêt social et exemptes de toute fraude aux dispositions d'ordre public (v. not., M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, 24ème éd. LexisNexis manuel, n° 699). Alors même que les défendeurs n'invoquaient pas l'illicéité de la convention en cause, le juge des référés prend soin de relever qu'il n'était pas contesté que la nomination au comité de surveillance de la société de deux personnes présentées par le principal actionnaire minoritaire répondait à l'intérêt de la société elle-même, compte tenu du souci légitime de cet actionnaire d'être tenu informé des délibérations de cet organe et plus généralement du fonctionnement de la société. En outre, dès lors que l'actionnaire majoritaire était assuré, par l'effet du pacte, de disposer de trois personnes représentant ses intérêts au sein de ce même organe, cet équilibre dans la composition du comité de surveillance pouvait justifier la restriction conventionnelle à l'exercice du droit de vote, acceptée par les signataires.

On ajoutera que ladite convention de vote avait bien un objet limité, ne supprimant pas la liberté dans l'exercice du droit de vote pour les autres questions relevant des décisions collectives.

En définitive, au regard du droit des contrats comme du droit des sociétés, l'ordonnance prise par le président du tribunal de commerce de Paris apparaît fermement argumentée et de nature à sécuriser les pactes d'actionnaires en ce qu'elle prend appui sur le respect de l'engagement pris. Si cette décision peut contribuer à alimenter la discussion sur l'effectivité des pactes d'actionnaires, elle aura au moins le mérite de replacer le débat sur l'essentiel.

III - Une mise en oeuvre contraignante du respect du pacte d'actionnaires

Dès lors que le président du tribunal de commerce de Paris entendait assurer l'effectivité du pacte d'actionnaires, il lui fallait se prononcer sur les moyens à mettre en oeuvre. Faisant droit aux demandes formulées par l'auteur de la saisine, le juge procède en deux temps au moyen d'injonctions complémentaires visant, d'une part, à effacer les décisions adoptées, en violation du pacte d'actionnaires, lors de l'assemblée des associés et, d'autre part, à ce que soient prises celles qui auraient dû l'être en application dudit pacte.

A - Effacer ce qui a été fait en violation du pacte

Puisque la nomination des membres du comité de surveillance avait été effectuée lors d'une assemblée générale, le juge des référés ordonne donc la convocation d'une nouvelle assemblée afin que soit effacée la décision violant le pacte d'actionnaire.

Il est intéressant de noter que le juge ne prononce pas la nullité de la décision de nomination contestée. On sait que, s'agissant d'une décision ne modifiant pas les statuts, la nullité ne pourrait résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre deuxième du Code de commerce relatif aux sociétés commerciales ou "des lois qui régissent les contrats", selon les dispositions de l'article L. 235-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL). Si la première catégorie de cas de nullité n'a bien sûr rien à voir avec la question de la violation du pacte d'actionnaires, la seconde, fondée sur le droit des contrats, plus ouverte en principe, n'apparaît pas non plus d'un recours très assuré. Les hypothèses de nullité d'une décision prise par un organe de la société visent essentiellement l'illicéité de l'objet, de la cause ou les vices du consentement, sans pertinence ici. La fraude aux droits des associés pourrait en revanche être envisagée. Des précédents jurisprudentiels existent (voir not., Cass. com., 6 juillet 1983, n° 82-12.910 N° Lexbase : A3729AG9, Bull. civ. IV, n° 206 ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 25 novembre 2008, n° 06/18340 N° Lexbase : A7400EBP ; RJDA, 2009, n° 236) et l'application à une décision adoptée en violation d'un engagement contractuel pris vis-à-vis des associés ne serait pas inimaginable.

Pour autant, l'ordonnance examinée s'en tient à l'injonction de convocation d'une nouvelle assemblée des associés, qui devra se tenir dans un délai de vingt jours après la signification de l'ordonnance (sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant ladite signification). Au cours de cette assemblée, puisqu'il s'agit d'effacer ce qui a été irrégulièrement fait, injonction est faite aux actionnaires défendeurs de révoquer les deux membres du comité de sélection qui avaient été nommés, lors de la précédente assemblée, alors que leur nomination n'était pas le résultat de la mise en oeuvre des prévisions du pacte d'actionnaire.

B - Effectuer ce qui devait être fait en exécution du pacte

Poursuivant son objectif d'assurer l'effectivité du pacte d'actionnaires, le juge des référés ordonne ensuite à l'actionnaire majoritaire de nommer deux membres du comité de surveillance de la société choisis parmi les candidats présentés par le principal actionnaire minoritaire, se référant ainsi aux termes mêmes du pacte. On observe ici le recours à une position qui tranche avec ce qui est habituellement admis pour les pouvoirs du juge dans le fonctionnement interne d'une société. Ainsi, le parallèle peut être fait avec la sanction de l'abus de minorité. Lorsqu'un tel abus est retenu par le juge, il n'impose pas au minoritaire fautif de voter, lors d'une prochaine assemblée, dans un sens déterminé. Le juge ne peut que désigner un mandataire aux fins de représenter l'associé minoritaire lors d'une nouvelle assemblée et de voter en son nom "dans le sens des décisions conforme à l'intérêt social, mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires", selon les termes utilisés par la Cour de cassation dans l'arrêt "Flandin" (Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-14.685 N° Lexbase : A5690ABD ; JCP éd. E, 1993, II, 448, note A. Viandier) qui constitue encore aujourd'hui la référence en la matière. Ici, le tribunal de commerce de Paris choisit un raccourci dont on ne peut cacher l'efficacité. Il ordonne directement à l'actionnaire concerné d'exercer son droit de vote selon les prévisions figurant au pacte. La différence apparaît alors nettement entre la sanction de l'abus de minorité et celle de la violation d'un pacte d'associé. Cette position suscitera sans doute des discussions voire des réserves. Elle apparaît toutefois justifiée. Lorsqu'il s'agit d'une hypothèse relevant de l'abus de minorité, par exemple à propos du refus de voter une augmentation du capital, le juge ne saurait imposer à l'associé minoritaire de voter, lors de l'assemblée à venir, en faveur de cette opération. Il ne peut substituer son appréciation à celle de l'associé lui-même. Le mandataire judiciaire aura justement à analyser les éléments en présence pour, en lieu et place du minoritaire, exprimer son vote dans un sens qui, tout ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime du minoritaire, soit conforme à l'intérêt social (selon le montant de l'augmentation et les conditions de souscription des titres). Lorsqu'il s'agit de la mise en oeuvre de stipulations précises d'un pacte d'actionnaires, chaque signataire a déjà, lors de l'acceptation du pacte, apprécié ses intérêts et donc exprimé son consentement. Le juge peut alors le contraindre à respecter les termes de son propre engagement. C'est bien le moins que l'on pourrait attendre de la justice.

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