Le Quotidien du 27 décembre 2019 : Droit pénal des affaires

[Brèves] Caractérisation du délit de blocage et de retrait de la provision d’un chèque et conditions de l’action civile du créancier porteur

Réf. : Cass. crim., 18 décembre 2019, n° 18-85.535, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4657Z8Y)

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[Brèves] Caractérisation du délit de blocage et de retrait de la provision d’un chèque et conditions de l’action civile du créancier porteur. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/55681555-0
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par June Perot

le 22 Janvier 2020

► Il résulte des articles L. 163-9 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9864DYY), 2 (N° Lexbase : L9908IQZ) et 3 (N° Lexbase : L9886IQ9) du Code de procédure pénale, que l’action civile, en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre, ne peut être dirigée que contre le débiteur lui-même ;

en conséquence, en déclarant le gérant d’une société entièrement responsable du préjudice subi par la société créancière, la cour d’appel, sous couvert de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice particulier causé par l’infraction de délit de blocage d’un chèque, a ordonné le remboursement d’une créance contractuelle préexistante, dont la seule débitrice est la société ; la cassation est donc encourue.

C’est ainsi que se prononce la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 décembre 2019 (Cass. crim., 18 décembre 2019, n° 18-85.535, FS-P+B+I N° Lexbase : A4657Z8Y ; v. déjà en ce sens : Cass. crim., 22 septembre 2015, n° 14-83.787, F-P+B N° Lexbase : A8281NPE).

Résumé des faits. Le dirigeant d’une entreprise a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir, avec l’intention de porter atteinte aux droits de la société APU avec laquelle il est en relation contractuelle, fait défense à son établissement bancaire de payer quatre chèques pour un montant total de 115 400 euros, ainsi que d’avoir retiré tout ou partie de la provision de son compte après avoir émis ces chèques. Les premiers juges l’ont déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende. L’article L. 163-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3527APC) incrimine en effet « le fait pour toute personne d'effectuer après l'émission d'un chèque, dans l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui, le retrait de tout ou partie de la provision, par transfert, virement ou quelque moyen que ce soit, ou de faire dans les mêmes conditions défense au tiré de payer ».

Le tribunal a par ailleurs reçu la constitution de partie civile de la société APU et a condamné le prévenu à lui payer la somme de 115 400 euros en réparation du préjudice matériel, soit le montant exact de la créance contractuelle due par la société dirigée par le prévenu. Celui-ci, le ministère public et la partie civile ont interjeté appel du jugement.

En cause d’appel. Pour confirmer le jugement sur la culpabilité, l’arrêt relève que le dirigeant a émis divers chèques au profit de la société APU dans le cadre de leurs relations professionnelles, destinés à couvrir la réalisation des prestations que celle-ci devait effectuer et qu’à la suite d’une détérioration des relations entre les parties, le prévenu a dans un premier temps fait défense à sa banque de régler les chèques émis, puis a dans un second temps retiré les provisions de ces chèques pour faire échec au paiement, et ce au mépris des droits de la bénéficiaire de ces instruments de paiement.

Selon les juges, le prévenu a sciemment formé opposition au paiement des chèques en raison d’un différend avec la société APU, sachant qu’en agissant ainsi les chèques ne seraient pas honorés, sans qu’aucune des circonstances le permettant, prévues par l’article L. 131-35 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4089IAP), ne soit caractérisée. Il résulte de ce texte que l'opposition au paiement par chèque n’est admise « qu'en cas de perte, de vol ou d'utilisation frauduleuse du chèque, de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires du porteur ».

Ils énoncent encore qu’en retirant la provision du compte de la société émettrice, qui était pourtant in bonis, le prévenu a volontairement porté atteinte aux droits de la société APU, afin qu’elle ne soit pas payée des chèques émis, alors qu’en sa qualité d’homme d’affaires et de dirigeant de sociétés habitué au moyens de paiement, il ne pouvait ignorer qu’en agissant ainsi il portait atteinte aux droits de la société APU, nés de leurs relations contractuelles. Enfin, selon les juges, le prévenu ne peut sérieusement soutenir que les chèques n’auraient été remis qu’en garantie et non en paiement, et qu’il s’est ainsi rendu coupable des deux délits qui lui sont reprochés.

S’agissant de la réparation du préjudice, l’arrêt retient qu’il convient de confirmer les dispositions du jugement sur le préjudice matériel subi par la société APU, s’élevant à 115 400 euros correspondant au montant des quatre chèques dont le prévenu s’est attaché à empêcher le paiement. Prononçant sur l’appel incident de la société APU, les juges ajoutent que la partie civile sollicite les intérêts au taux légal à compter de la date de présentation des chèques mais qu’il y a néanmoins lieu de retenir comme point de départ des intérêts la date de la décision retenant la culpabilité du prévenu, soit en l’espèce, compte tenu de sa confirmation sur ce point, celle du jugement entrepris.

Un pourvoi est formé par le dirigeant.

Caractérisation du délit. La Haute juridiction approuve la cour d’appel qui, procédant de son appréciation souveraine, et dès lors que le demandeur ne démontrait pas, ni même n’alléguait, que la créance de la bénéficiaire des chèques était manifestement infondée, ce dont il se déduit que l’intéressé a eu l’intention de porter atteinte aux droits de la bénéficiaire des chèques remis en paiement de cette créance, a justifié sa décision. Le dol spécial requis par le texte est effectivement qualifié en ce que le créancier de l’obligation contractuelle avait toute légitimité pour obtenir le paiement.

Réparation du préjudice matériel. C’est sur ce point que l’arrêt est censuré : la Chambre criminelle rappelle que « l’action civile, en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre, ne peut être dirigée que contre le débiteur lui-même ». Ainsi, le gérant, auteur du délit mais non débiteur de l'obligation en cause, ne pouvait être condamné au paiement du montant des chèques émis, la seule débitrice au titre du chèque étant la société émettrice des chèques (cf. l’Ouvrage « Droit bancaire », Les délits relatifs au chèque (N° Lexbase : E0831AGU et L'action civile du porteur N° Lexbase : E2321AG3).

Portée ? Reste la question de savoir quel préjudice personnel et direct est alors subi par la société créancière du fait des agissements du gérant de la société débitrice ?

On peut estimer qu’il s’agit de la perte de chance d’obtenir le paiement de la créance en raison de la disparition de la provision, ainsi que des frais afférents à la mise en recouvrement de l’obligation (voies d’exécution et éventuellement action en justice).

Au-delà, on peut pareillement tirer la conclusion que la poursuite pénale aurait dû être également intentée contre la personne morale débitrice par le jeu de l’article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY), et ce, afin que l’action civile concerne en outre le vrai débiteur des obligations contractuelles. Action publique envisageable si le délit a bel et bien été commis par le gérant, organe de la personne morale, pour le compte de celle-ci (cf. l’Ouvrage « Droit pénal général », S. Detraz, La commission d'une infraction pour le compte de la personne morale N° Lexbase : E1513GAB).

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