Réf. : Cass. crim., 11 septembre 2019, deux arrêts, n° 18-81.067 (N° Lexbase : A9082ZMC) et n° 18-82.430, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9084ZME)
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par June Perot
le 18 Septembre 2019
► Il appartient au juge répressif d’appliquer l’article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4679LAK) en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole ; en conséquence, celui-ci n’est pas compétent pour apprécier la validité d’une telle réserve.
C’est ainsi que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 11 septembre 2019 (Cass. crim., 11 septembre 2019, deux arrêts, n° 18-81.067 N° Lexbase : A9082ZMC et n° 18-82.430, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9084ZME, v. également la note explicative fournie par la Cour).
L’argumentation des requérants soulevait une question : le juge répressif a-t-il compétence pour apprécier la validité de la réserve émise par la France lors de la ratification du protocole n° 7, qui limite l’application du principe ne bis in idem aux infractions pénales ?
La Chambre criminelle répond par la négative. Ces deux arrêts s’inscrivent dans la droite ligne de la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Aux termes de celle-ci, l’article 4 du protocole n° 7, compte tenu de la réserve, n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Cass. crim., 20 juin 1996, n° 94-85.796 N° Lexbase : A2863CIU, Cass. crim., 4 juin 1998, n° 97-80.620 N° Lexbase : A0504CGR). Pour la première fois, est adoptée une motivation dite enrichie (§§ 16 à 23 de l’arrêt n° 18-81.067, §§ 11 à 18 de l’arrêt n° 18-82.430) qui rappelle la jurisprudence précitée et aussi celle relative à l’office du juge judiciaire en matière de traités internationaux qui est de les interpréter et de les appliquer, les déclarations unilatérales faites par un Etat quand il signe ou ratifie un traité, par lesquelles il entend exclure ou modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à l’Etat s’incorporant aux conventions internationales.
Elle expose aussi en quoi, contrairement à ce qui était soutenu, ledit principe ne contredit pas la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle les Etats adhérents à la Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation (Ass. plén., 15 avril 2011, n° 10-17.049, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5043HN4).
Dans les deux affaires soumises à son examen, la Chambre criminelle déduit que sont inopérants les moyens qui font valoir une méconnaissance de l’article 4 du protocole n° 7 tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg qui conditionne tout cumul entre des poursuites fiscales et pénales à l’existence d’un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre ces deux procédures (§. 26 et §. 50 de l’arrêt n° 18-81.067).
A noter : s’agissant de la procédure, il est important de souligner que, lors de la mise en état contradictoire des pourvois, à la demande du parquet général près la Cour de cassation, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a fourni des éléments d’analyse et d’information. Il précise en particulier que le Gouvernement a invoqué la réserve française dans plusieurs requêtes actuellement pendantes devant la Cour européenne des droits de l’Homme. A cet égard, on peut observer que dans un arrêt récemment rendu par la CEDH, la France a fait le choix de ne pas mobiliser ladite réserve empêchant, de ce fait, la juridiction strasbourgeoise d’enfin se prononcer sur sa validité…(v. CEDH, 6 juin 2019, Req. 47342/14, Nodet c/ France N° Lexbase : A3061ZDQ et le commentaire de N. Catelan, Ne bis in idem et manipulation de cours : condamnation sans réserve du cumul de poursuites, Lexbase Pénal, juin 2019 N° Lexbase : N9495BXX).
Sur le fond, on peut remarquer que la Chambre criminelle, partageant l’analyse de l’avocat général, n’a pas suivi une des pistes possibles visant à juger, sans opposer la réserve émise par la France, que les sanctions pourraient, en l’espèce, se cumuler sans méconnaître la règle ne bis in idem en raison de l’existence d’un lien matériel et temporel suffisant entre les procédures pénale et fiscale. Enfin, ces décisions présentent une cohérence avec la position du Conseil d’Etat qui a récemment jugé qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier la validité des réserves (CE Ass., 12 octobre 2018, n° 408567, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3433YGA).
Toutefois la Chambre criminelle ne se prononce ici expressément que sur une réserve émise en marge de la CESDH ou de ses protocoles, et non, de manière générale, sur toutes les réserves.
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