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par Wyssam Mansour, Avocat à la cour, LPA-CGR Avocats
le 17 Avril 2019
La vie d’une start-up, qui plus est en phase d’amorçage, nécessite de la souplesse. L’une des étapes de son évolution est, sauf exception, la levée de fonds. La première d’entre elles (le pré-seed ou le seed) a souvent lieu par l’investissement de personnes physiques «business angels». Lorsqu’à l’issue d’échanges sur le projet, les fondateurs tombent d’accord avec un investisseur, la rapidité du processus est alors essentielle.
A cette fin, la pratique a souvent recours, et les fondateurs en ayant vent en sont demandeurs, au BSA (bon de souscription autonome) dit «AIR» (accord d’investissement rapide), instrument clé en main conçu par l’incubateur TheFamily -s’inspirant de l’outre-Atlantique «Simple Agreement for Future Equity» d’Ycombinator- permettant d’obtenir un financement rapide en repoussant à plus tard certaines phases requises lors d’un investissement classique en capital, notamment la question de valorisation de la société et les discussions relatives au pacte d’associés. Cet instrument a l’avantage d’être clé en mains, désormais réputé sur le marché et disponible en open source. Il ne va toutefois pas sans poser certains inconvénients et n’est par ailleurs pas exclusif.
I - Le BSA AIR
A - Le mécanisme
Le BSA AIR fonctionne en substance de la façon suivante. La société, par l’intermédiaire de la collectivité de ses associés, émet un bon de souscription unique à un prix de souscription égal au montant de l’investissement. L’investissement est ainsi réalisé mais aucune action n’est émise et l’investisseur n’est pas encore associé de la société.
Le BSA AIR donnera à son titulaire le droit de souscrire, à la valeur nominale, un nombre d’actions qui sera déterminé conformément à une formule, fonction de l’intervention d’un évènement ultérieur (par exemple un nouveau tour de financement, une opération entraînant un changement de contrôle de la société, une fusion ou une introduction en bourse).
Cet évènement ultérieur permet d’établir une valorisation de la société, toutefois encadrée par une valorisation plancher (floor) et une valorisation plafond (cap) établies dans le contrat d’émission de BSA AIR. Cette valorisation permettra d’établir un prix par action, à partir duquel sera déterminé le nombre d’actions auquel donnera droit l’exercice du BSA AIR, selon la formule suivante :
(Montant de l’investissement) / (Prix par Action – Valeur Nominale)
Les discussions relatives aux droits et obligations respectives des fondateurs et des investisseurs consistent en un cours résumé des principales stipulations qui figureront dans un pacte d’associés dont la rédaction est reportée à plus tard.
B - Les problématiques
Toutefois, ce mécanisme pose plusieurs problématiques pour les fondateurs comme pour les investisseurs.
Dès l’émission du BSA AIR, les fondateurs devront veiller à ce que la société se conforme aux dispositions des articles L. 228-98 (N° Lexbase : L8952I3X) et suivants du Code de commerce relatifs à la protection des porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital, désormais applicables. Le respect de ces dispositions, sanctionnées par la nullité des délibérations prises en violation [1], peut être assez contre-intuitif par rapport à un recours au BSA AIR motivé par un souci de rapidité et l’absence de «besoin de négocier une documentation juridique fastidieuse».
Il est à première vue confortable d’être en mesure d’éviter de se poser cette question et de se reposer sur l’évènement ultérieur. Toutefois, s’interroger sur la valorisation plancher et surtout sur la valorisation plafond réintroduit cette discussion, qui n’est dès pas nécessairement plus simple ou rapide. En outre, contrairement à ce que mentionne TheFamily [2], la valorisation plafond ne protège pas les fondateurs du risque de dilution mais l’investisseur face à une valorisation trop élevée de la société. Ainsi, en cas de réussite du projet, les fondateurs se verront appliquer un plafond auquel s’ajoutera une décote de 20 %. L’exercice du BSA AIR peut également être source d’incompréhensions pour l’investisseur, qui pourrait être surpris de devoir à nouveau reverser du nominal alors qu’il aura souscrit un BSA à un prix égal au montant total de l’investissement attendu.
Quand bien même l’investisseur ne serait pas encore associé de la société, il a d’ores et déjà procédé à un investissement qu’il n’est plus en mesure de remettre en cause et il est légitime qu’il bénéficie d’un droit de regard portant sur l’utilisation de son investissement ou les transferts de titres, au-delà des «simples» règles du Code de commerce relatives à la protection des porteurs de VMDAC ou de l’ajustement de valorisation attaché au BSA AIR. Ce dernier est-il cessible ? Est-ce que le porteur bénéficie d’un droit de préemption ou de sortie conjointe en cas de transfert de titres ? Qu’en est-il en cas de départ des fondateurs dans l’intervalle ? Il est bien entendu possible de traiter ces quelques questions -parmi d’autres- lors de l’émission du BSA AIR. Cela revient toutefois à entrer dans ces considérations que le recours au BSA AIR avait précisément pour objectif de retarder.
II - Des mécanismes alternatifs d’investissements rapides
Alternativement au BSA AIR, le recours aux mécanismes traditionnels permettent, au cas par cas, de procéder à une levée de fonds rapide et de répondre à une éventuelle problématique de valorisation à affiner. Ces mécanismes nécessitent bien entendu de l’anticipation et du conseil.
Dans cette hypothèse, la nécessité d’obtenir une décision collective des associés -avec toutes les contraintes que cela implique- peut être chronophage. Cela peut être anticipé par la délégation au président, par les associés de la société, de leur compétence pour décider d’une augmentation de capital. Les associés doivent fixer la durée de cette délégation qui sera au maximum de dix-huit ou vingt-six mois, selon le cas, et peuvent décider de supprimer le droit préférentiel de souscription des associés, au profit de catégories de personnes, laissant le soin au président de désigner précisément le ou les bénéficiaire(s) de cette suppression. Sur la base de cette délégation, le président peut décider seul et sans attendre, de procéder à une augmentation de capital par signature d’un procès-verbal de décision du président, signature d’un bulletin de souscription et versement des fonds par l’investisseur.
Lorsqu’une augmentation de capital classique est décidée par la collectivité des associés, ou par le président sur délégation de compétence de l’assemblée générale comme évoqué ci-dessus, l’une des formalités chronophages est la contrainte de dépôt des fonds correspondants aux souscriptions des actions nouvelles auprès d’un établissement de crédit [3]. En effets, les processus internes des banques et leurs diverses contraintes règlementaires entraînent souvent des délais pour la création du compte spécial dans un premier temps, puis au stade de la libération des fonds dans un second temps. Le recours à la CARPA (Caisse des Règlements Pécuniaires des Avocats) permet d’accélérer substantiellement la procédure. Pour créer un compte, la CARPA aura besoin d’un extrait Kbis de la société et du texte des résolutions détaillant l’opération. Cette création peut intervenir dans la journée si le conseil en fait la demande. Une fois les fonds versés, la CARPA demandera la copie du bulletin de souscription signé et celle de la carte d’identité du souscripteur personne physique ou de l’extrait Kbis du souscripteur personne morale. Une nouvelle fois, la libération peut alors intervenir dans des délais très courts. Le recours à la CARPA permet en outre une fluidité des échanges entre le conseil, en charge de la documentation, et le dépositaire des fonds, et décharge le dirigeant du travail d’intermédiaire.
Il est de plus en plus fréquent que des fondateurs avertis, anticipant l’arrivée prochaine d’investisseurs business angels en seed ou pré-seed concluent un pacte d’associés prévoyant, outre leurs obligations en tant que fondateurs, les droits et obligations usuels d’investisseurs en cas de transferts de titres (les sempiternels préemption, droits et obligations de sortie conjointe et non-dilution) et sur la gouvernance, quand bien même aucun investisseur ne serait alors signataire de ce pacte. Ces droits et obligations seraient, dans un premier temps, inactives jusqu’au jour où le premier investisseur adhérera au pacte en qualité de premier membre du «Groupe Investisseur».
Lorsque l’investisseur est d’ores et déjà associé de la société, ledit investisseur peut alors procéder, dans un premier temps, à l’apport en compte courant de ladite somme, avec pour seul formalisme la signature d’une convention d’avance en compte courant, stipulant éventuellement un intérêt, mais surtout précisant que le remboursement des fonds versés interviendra par compensation avec la créance de libération d’actions à émettre à l’occasion d’une prochaine augmentation de capital, laquelle nécessitera le respect du formalisme prévu par l’article L. 225-146 du Code de commerce (N° Lexbase : L6017AIP), notamment un certificat du commissaire au compte ou d’un notaire confirmant la libération des actions par compensation.
Dans le cadre de la mise en œuvre d’une augmentation de capital classique et de doute quant à la valorisation liée à la rapidité du processus d’investissement, il demeure possible pour l’investisseur et les fondateurs de convenir contractuellement d’un mécanisme de ratchet contractuel simple et abordable par lequel les fondateurs s’engageraient à céder des actions à l’investisseur, à la valeur nominale, pour compenser une éventuelle baisse de valorisation qui résulterait d’un nouveau tour de financement.
[1] C. com., art. L. 228-104 (N° Lexbase : L8347GQ9).
[2] Cf. site internet TheFamily.
[3] C. com., art. L. 225-5 (N° Lexbase : L5876AIH) et R. 225-6 (N° Lexbase : L0169IDM) applicables sur renvoi des articles L. 225-144 (N° Lexbase : L6015AIM) et R. 225-129 (N° Lexbase : L0264HZS).
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