La lettre juridique n°763 du 29 novembre 2018 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Les difficultés suscitées par la déclaration et l’admission de la créance d’intérêts au titre d’un prêt

Réf. : Cass. com., 7 novembre 2018, n° 17-22.194, F-P+B (N° Lexbase : A6754YKD)

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N6559BX9

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[Jurisprudence] Les difficultés suscitées par la déclaration et l’admission de la créance d’intérêts au titre d’un prêt. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/48914212-jurisprudence-les-difficultes-suscitees-par-la-declaration-et-ladmission-de-la-creance-dinterets-au-
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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université Côte d'Azur, Co-directrice du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre du CERDP (EA 1201), Avocate au barreau de Nice

le 28 Novembre 2018

Déclaration de créance / Admission de créance / Prêt / Créance d'intérêts / Montant des intérêts dont le cours n’est pas arrêté 

La déclaration [1] et l’admission de la créance d’intérêts au titre d’un prêt suscitent des difficultés dont a connaissance, de façon récurrente, la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Un récent arrêt, rendu le 7 novembre 2018, en est encore le témoignage.

 

Dans l’espèce ayant donné lieu à cette décision publiée au Bulletin, une société avait fait l’objet d’une procédure de sauvegarde ayant débouché sur l’arrêté d’un plan. Une banque avait déclaré au passif une créance au titre d’un prêt à concurrence d’une somme totale comprenant un montant échu et un montant à échoir, lequel incluait le montant du capital restant dû et des intérêts contractuels à échoir pour un montant déjà calculé. Cette créance avait été admise au passif pour un certain montant à titre échu, pour un autre à titre à échoir, cette créance à échoir incluant celle des intérêts contractuels, en l’occurrence la «coquette» somme de 352 838,62 euros.

 

La société débitrice et le commissaire à l’exécution du plan reprochaient aux juges du fond [2] d’avoir admis ainsi la créance de la banque et arguaient, au soutien de leur pourvoi, que l’impossibilité de connaître, au jour de la déclaration de créance, le montant des intérêts dont le cours n’est pas arrêté, qui ne pourra être connu qu’au jour de l’arrêt du cours des intérêts, fait obstacle à la possibilité pour le juge-commissaire de liquider la créance correspondante lors de sa décision d’admission. Selon le pourvoi, en ce cas, le juge-commissaire peut seulement admettre le montant des échéances impayées avant l’ouverture de la procédure ainsi que celui du capital restant à échoir, en précisant les modalités de calcul des intérêts restant à courir au taux contractuel sans pouvoir immédiatement en fixer le montant. Il était également soutenu dans le pourvoi qu’en se bornant à fixer la créance au titre des intérêts à échoir sans réserver la possibilité d’une modification ultérieure de ce montant, en fonction d’événements susceptibles d’influer sur le cours des intérêts restant à payer, la cour d’appel aurait violé les articles L. 622-25 (N° Lexbase : L3745HBC) et R. 622-23 (N° Lexbase : L0895HZ8) du Code de commerce.

 

La Chambre commerciale rejette cependant le pourvoi au motif «que l’article R. 622-23 du Code de commerce exige l’indication des modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté que dans le cas où leur montant ne peut être calculé au jour de la déclaration de la créance ; que la déclaration litigieuse incluant le montant, déjà calculé, des intérêts à échoir, la cour d’appel, qui n’avait, dans sa décision d’admission, ni à préciser les modalités de calcul de la créance d’intérêt à échoir, ni à réserver la possibilité d’une modification ultérieure du montant de cette créance en raison d’événements susceptibles d’influer sur le cours des intérêts, n’a pas méconnu les exigences des articles L. 622-25 et R. 622-23, 2° du Code de commerce».

 

Il nous semble cependant que cette absence de méconnaissance des exigences des articles L. 622-25 et R. 622-23, 2° est sujette à discussion et que la position ici adoptée par la Chambre commerciale prête le flanc à la critique.

 

Rappelons que l’article L. 622-25 énonce que «la déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances». Cette disposition n’a pas vocation à concerner spécifiquement le contrat de prêt mais toutes les créances à échoir comme le serait, par exemple, une créance de prix d’une vente à crédit dont l’échéance serait postérieure au jugement d’ouverture. Cependant, en matière de prêt, il faut corréler cette disposition avec l’article R. 622-23 qui énonce que «outre les indications prévues à l’article L. 622-25, la déclaration de créance contient : […] 2° Les modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté». Il nous semble donc que, dans toutes les hypothèses où le cours des intérêts n’est pas arrêté, le créancier devrait -même si ce n’est pas une exigence de la Cour de cassation [3]- indiquer les modalités de calcul des intérêts dont le montant, ainsi que le précise le 2° de l’article R. 622-23, devra être ultérieurement arrêté.

 

Si la procédure est une liquidation judiciaire, la date à laquelle ces intérêts devront être arrêtés est marquée par la date des répartitions liquidatives.

Si la procédure débouche sur un plan de redressement ou de sauvegarde, le montant des intérêts devra être calculé au moment du versement de chaque dividende du plan. En pratique, ce montant sera calculé par le commissaire à l’exécution du plan mais, pour respecter la lettre de l’article R. 622-23, ce montant, puisqu’il devra être «arrêté», devrait, en cas de discussion, être fixé par le juge.

 

S’il n’est pas procédé de la sorte, c’est-à-dire si, comme dans l’espèce rapportée, la créance d’intérêt est intégrée dans les sommes à échoir et admise au passif, une difficulté surgit car, contrairement à ce que semble considérer l’arrêt 7 novembre 2018, le montant définitif des intérêts ne peut pas être calculé au jour de la déclaration de créance. En effet, comme nous l’avions précédemment relevé [4], tout au plus est-il possible, au jour de la déclaration de créance, de calculer le montant des intérêts comme si le prêt allait mener son cours sans subir la déchéance du terme, ni connaître un allongement de sa durée de remboursement. En pratique, tel sera rarement le cas. En effet, il subira le plus souvent la déchéance du terme du fait du prononcé de la liquidation (C. com., art. L. 643-1, al. 1er N° Lexbase : L3504ICR), de sorte que le capital devenu échu ne produira plus d’intérêts autres que les intérêts moratoires. L’admission du créancier au titre des échéances à échoir intégrant à la fois capital et intérêts se traduirait ainsi en un avantage indu pour le créancier.

 

A l’inverse, si la procédure débouche sur un plan de sauvegarde ou de redressement prévoyant le remboursement du créancier sur une durée supérieure à la durée du prêt contractuellement prévue, le créancier sera pénalisé s’il est admis pour le montant des échéances à échoir car cela signifiera que le montant des intérêts qu’il percevra sera plafonné au montant des intérêts calculés sur la durée du prêt initialement prévue. Il faut en outre ajouter que si le plan est résolu et qu’est ouverte une procédure de liquidation judiciaire, le créancier serait au contraire avantagé. En effet, il serait, sous réserve de la déduction des dividendes déjà perçus, admis au passif de la seconde procédure pour le montant admis au passif de la première procédure, lequel serait trop élevé puisqu’il correspondrait aux échéances incorporant capital et intérêts jusqu’au terme contractuel du prêt alors que les intérêts ne devraient être calculés que jusqu’à la date des répartitions liquidatives.

 

Il ne nous semble donc pas opportun que la créance d’intérêts soit admise en étant incorporée dans les échéances à échoir. La juste méthode consiste semble-t-il à admettre le capital en faisant mention du taux (ou du mode de calcul) des intérêts lesquels, dans les prévisions de l’article R. 622-23, 2°, seraient ultérieurement arrêtés.

 

Cela se justifie également au regard de la nature de la créance d’intérêts. Rappelons que la créance d’intérêts, accessoire de la créance de capital, est considérée comme une créance antérieure au jugement d’ouverture dès lors que la créance de remboursement du capital est née avant jugement d’ouverture [5]. Cependant, cette créance d’intérêts est née sous condition résolutoire d’absence de remboursement anticipé du prêt (en l’occurrence, celle intervenue dans le cadre des répartitions de la procédure de liquidation ayant emporté déchéance du terme). Puisqu’il est impossible pour le juge-commissaire d’admettre une créance conditionnelle, il ne devrait donc admettre que le montant des intérêts échus au jour du jugement d’ouverture et, parallèlement, mentionner dans son ordonnance d’admission les modalités de calcul des intérêts dont le montant sera ultérieurement arrêté.

 

Dans son arrêt du 28 février 2018 [6], la Chambre commerciale avait jugé que «si aucun texte n’oblige le créancier à distinguer, dans la déclaration de créance, le montant des intérêts à échoir du montant du capital restant dû, il est loisible au juge commissaire d’admettre la créance d’intérêt de manière distincte et de substituer à leur montant déclaré les modalités de calcul qui résulte du contrat de prêt». Il serait préférable, à notre sens, que cette façon de procéder ne soit pas une simple liberté -empreinte d’arbitraire, alors que les conséquences peuvent être lourdes- mais une obligation pour le juge-commissaire. 

 

[1] Sur la question V. not. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 10ème éd., 2019/220, n° 668.412 et s..

[2] CA Pau, 30 mars 2017, n° 16/02117 (N° Lexbase : A4430USU).

[3] Cass. com., 5 mai 2015, n° 14-13.213, F-P+B (N° Lexbase : A7070NHC) ; Gaz. Pal., 21 juillet 2015, n° 200, p. 22, note P.-M. Le Corre ; JCP éd. E, 2015, 1339, note B. Brignon ; Rev. sociétés, 2015, 547, note L.-C. Henry ; RTDCom., 2015, 582, n° 1, note A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2016, comm. 5, note F. Legrand et M.-N. Legrand.

[4] Nos obs., Lexbase, éd. aff.,  2018, n° 546 (N° Lexbase : N3218BXH), sous Cass. com., 28 février 2018, n° 16-24.867, F-P+B+I (N° Lexbase : A6545XE7).

[5] CA Paris, 15ème ch., sect. B, 4 octobre 2007, n° 05/05227.

[6] Cass. com., 28 février 2018, n° 16-24.867, F-P+B+I, préc. ; Act. proc. coll., 2018, comm. 100, note Rubellin ; nos obs., préc..

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