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N4264BSQ
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le 09 Juin 2011
Les assurances de groupe n'en finissent pas d'alimenter le contentieux du droit des assurances de personnes. L'un des aspects revenant de manière régulière, depuis quelques temps, s'entend de la mise en oeuvre des protections sociales promises par les employeurs à leurs assurés, par le biais de tels contrats. Et la baisse des prestations sociales offertes par la sécurité sociale et autres mutuelles explique qu'en cas de maladie ou d'invalidité les assurés se crispent s'ils constatent une mauvaise application, voire une absence de reconnaissance des droits issus des engagements pris par les souscripteurs, employeurs. Dans l'immense majorité des hypothèses, les tensions naissent lors de changement d'employeur : l'interrogation porte soit sur celui tenu d'exécuter les prestations promises, soit sur l'étendue exacte de ces dernières.
Et, dans le cadre de cette chronique, nous avons déjà eu l'occasion, dans le passé, d'évoquer ces questions. Telle est une nouvelle fois le cadre du litige d'origine. En revanche, le changement essentiel provient de la solution retenue par la Cour de cassation non pas sur le plan du respect des règles en vigueur, mais quant à la méthode retenue pour évaluer le préjudice subi par l'assuré et donc la sanction mise en oeuvre à l'encontre de l'employeur, souscripteur. Pour la petite histoire, dans le cas présent, les parties n'étaient pas inconnues de la communauté des juristes en général et pas seulement privatistes. Il s'agissait d'une aide de cuisine appartenant à une institution dont le nom a fait souffrir quelques générations d'étudiants de deuxième année : Notre-Dame du Kreisker.
Concrètement, une salariée avait été employée par un employeur ayant souscrit un contrat d'assurance de groupe par laquelle il permettait à son salarié de bénéficier d'un régime de prévoyance lui offrant 90 % de son salaire brut jusqu'à sa retraite en cas d'invalidité permanente. Pour une raison inconnue, sans incidence, ce salarié avait été embauché par une autre société qui, elle-même, disposait d'une assurance de groupe se révélant moins favorable que le premier. Placé en invalidité, il n'avait pas reçu de son nouvel employeur la garantie figurant dans le contrat souscrit par le premier employeur à laquelle il estimait pouvoir prétendre. Il avait donc intenté une action en vue d'obtenir les sommes correspondantes.
La formulation de son argumentaire n'est pas traditionnel en droit des assurances, plus connue du droit du travail, et n'apparaît donc pas forcément la mieux choisie, encore que.... En effet, le salarié, s'appuyant sur l'article 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L5011E4D), argue du fait qu'il avait "pu légitimement croire" bénéficier du maintien de cet avantage en raison de l'absence d'information, sur ce point, de son nouvel employeur. En d'autres termes, cet employé reproche à son employeur seulement son absence de respect de devoir d'information en tant que souscripteur du contrat d'assurance de groupe pour son entreprise, silence qui l'a induit en erreur.
Par ailleurs, le salarié reproche à la cour d'appel de s'être contentée de lui allouer des dommages-intérêts sur le fondement de la perte de chance, sur laquelle lui-même avait, sans doute, fondé son action, et non l'intégralité de sommes qu'il estimait représenter son entier préjudice effectif. La Cour de cassation commence par répondre sur ce point en rappelant ce qu'est une indemnisation fondée sur la perte de chance. Par définition, celle-ci consiste en une probabilité, un pourcentage du préjudice donc une partie de celui-ci et non son intégralité. La Cour de cassation revient donc sur ces fondamentaux et assène qu'"une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée".
Notre Haute juridiction poursuit en indiquant que la cour d'appel avait bien sanctionné l'employeur de manière effective, en raison du non-respect de l'information prévue à l'article 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, puisque des indemnités lui avaient été octroyées. Or, le dommage subi se limitait à la perte de chance, pour l'assuré, de pouvoir souscrire, par lui-même, un autre contrat d'assurance, supplémentaire et donc comportant les garanties manquantes dans le nouveau contrat d'assurance par rapport au premier. Pour plusieurs raisons, cette solution appelle une appréciation plutôt positive. La première s'entend de la nécessité de ne pas laisser se développer un contentieux qui deviendrait systématique de la part d'assurés peu scrupuleux.
La solution est surtout conforme aux règles du droit commun et au régime de la perte de chance. Et si d'aucuns émettaient une quelconque réserve, de pure équité, elle ne résisterait pas à l'analyse. En effet, une comparaison s'impose avec les hypothèses où une véritable hésitation est permise entre l'application d'un premier contrat d'assurance de groupe et un second proposé par un nouvel employeur alors que les faits se sont produits au cours du premier contrat de travail et que la révélation et la demande s'effectuent au cours de la seconde relation de travail. Toutefois, ces circonstances ne sauraient être assimilées à la présente affaire pour une raison simple cette fois : le salarié a pu négocier les termes de son contrat de travail lequel comporte certes le salaire, mais aussi tous les avantages sociaux parmi lesquels figure l'éventuelle assurance de groupe. Et l'on sort donc du droit des contrats d'assurance pour revenir au droit des obligations en général.
Certes le salarié a pu ignorer que cet avantage social ne le "suivait" pas ; encore qu'il sache demander quels sont les oeuvres sociales de l'entreprise, l'arbre de Noël et les offres de vacances à prix promotionnel ; toutefois, la loi doit être respectée. Au-delà de ces considérations de faits purs, en droit, ne pas en tenir compte de la rupture intervenue entre les deux contrats de travail, le premier et le second reviendrait à outrepasser la fonction de la législation, déjà spécifique, propre aux contrats d'assurance, en lui faisant jouer un rôle qu'aucun droit ne peut avoir, sans compter la violation des règles de base de droit des obligations. Les accords conclus entre un souscripteur et une entreprise ne sauraient été étendus à l'infini, en dehors de leur cadre contractuel et donc des parties concernées.
Du côté du droit des assurances de groupe, la Cour de cassation n'estime pas indispensable de considérer ces aspects comme devant entraîner une protection supérieure encore à ce qu'elle est, lors de la conclusion d'un contrat de travail, puisque le futur salarié se trouve en présence de son cocontractant pour l'interroger sur les termes de leur accord, l'apprécier et le refuser. Il incombe à chaque salarié potentiel de négocier les conditions de son contrat de travail puisqu'il n'est pas placé dans les mêmes conditions restrictives que l'adhérent, déjà présent dans l'entreprise, lors de la souscription d'un contrat d'assurance de groupe dont il ne peut pas discuter les termes et les clauses, encore qu'il faille relativiser ces différences plus théoriques que pratiques.
Ceci étant dit, il demeure que, depuis quelques mois, le sentiment ne peut manquer d'être indiqué : celui que la Cour de cassation commence à marquer un pas dans le sens d'une protection des adhérents plus mesurée, moins automatique et généralisée, en fonction de leurs exigences croissantes et parfois exagérées.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen
Décidément, l'article L. 132-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9839HE7) fait couler beaucoup d'encre tant du côté de la Cour de cassation, que de la doctrine souvent critique depuis l'arrêt du 7 mars 2006 (1), devenu célèbre pour les spécialistes du droit des assurances vie. Une nouvelle fois, ce texte constitue la substance essentielle d'une position déterminante de la part de la première chambre civile, le 18 mai 2011, qui, si elle ne constitue pas, d'un point de vue formel, un arrêt de principe, en prend néanmoins l'allure. Par ailleurs, et incidemment, puisque là ne se situe pas, a priori, le coeur de l'arrêt, ce dernier atteste de l'absence de nette distinction entre les contrats d'assurance vie et les contrats de capitalisation. Ceux-ci avaient déjà donné lieu à un non moins célèbre arrêt "Leroux" du 18 juillet 2000 (Cass. civ. 1, 18 juillet 2000, n° 97-21.535 N° Lexbase : A0303AUR), lequel, pourtant, prenait le soin de marquer la différence existant entre ces deux accords de volonté, certes proches. La faute, ici, à l'article L. 132-5-1 du Code des assurances lui-même qui énonce que "toute personne qui a signé une proposition ou un contrat d'assurance sur la vie ou un contrat de capitalisation".
En l'espèce, une femme avait souscrit tant des contrats de capitalisation pour elle-même, ainsi que pour l'un de ses fils, mineur, prénommé Antoine, en juillet 2000, que des assurances vie pour elle comme deux autres de ses enfants : Aurélie et Simon. Quelques jours plus tard, cette même assurée opte pour trois nouveaux contrats de capitalisation supplémentaires dont elle a décidé, six mois plus tard, de donner la nue-propriété à ses trois enfants. Au total, neuf contrats auraient été conclus, et cette femme procède au rachat de sept d'entre eux. Ce qui retient surtout l'attention du juriste, c'est qu'elle a renoncé aux deux contrats non rachetés, y compris donc celui souscrit au nom de son fils Antoine, mineur. Or, la Cour de cassation décide que la renonciation à un contrat d'assurance vie s'analyse en un acte d'administration ; par conséquent, la mère de l'enfant mineur pouvait renoncer au contrat d'assurance, seule, en sa qualité d'administratrice légale de son fils mineur, sans autorisation du juge des tutelles.
On se souvient l'origine des débats sur la faculté de renonciation accordée au souscripteur : les vicissitudes de la lecture de l'article L. 132-5-1. Plus encore, après les premières interprétations issues des libellés initiaux de ce texte, diverses réformes législatives modifient celui-ci prêtant ainsi le flanc à des hésitations sur son sens exact. Pour faire court, après tant d'échanges, de débats et d'hésitations, disons que la Cour de cassation ne se contente pas, pour que les exigences de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances soient satisfaites, d'une information au travers du seul contrat d'assurance, c'est-à-dire des conditions générales, mais exige aussi une note d'information autonome, distincte. L'assureur doit donc pouvoir apporter la preuve que deux documents ont été remis, de manière effective, au souscripteur. Inutile d'indiquer qu'en pratique ne sont pas exclues des hypothèses d'application incomplète de cette double obligation que la version actuelle de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, issue de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 (N° Lexbase : L5277HDS), ne laisse pas supposer à qui n'a pas pris le soin de scruter une jurisprudence absconse.
Là ne se situait toutefois pas l'enjeu dans le cas présent, une nouvelle difficulté étant survenue au sein de ce magma déjà complexe. L'interrogation portait sur le titulaire du droit à renonciation au contrat. En d'autres termes, ce droit est-il un droit personnel, au sens de l'article L. 132-9, alinéa 2, du Code des assurances (N° Lexbase : L7215IC9), à l'instar du droit de modification de la désignation d'un ou de tiers bénéficiaires. Et l'on sait que par droit personnel, le droit des assurances emploie cette expression dans un sens strict, précis et rigoureux, c'est-à-dire celui qui n'appartient à personne d'autre que son titulaire lui-même, et pas même à ses représentants légaux et encore moins à ses créanciers éventuels.
Concrètement, l'une des questions soulevées dans cet arrêt, même si elle n'apparaît pas comme telle de prime abord, s'entendait des effets de la décision du souscripteur de donner en nue-propriété le contrat souscrit. Une telle décision entraîne t-elle le transfert immédiat et définitif de cette propriété ? Ou bien, demeurait-elle virtuelle, tant que l'acceptation de ce droit par le titulaire ne s'était pas produite ? Selon qu'il est considéré comme tiers bénéficiaire ou non, la réponse diffère. Et, dans le cas présent, l'absence de dissociation de la situation des contrats d'assurance vie et des contrats de capitalisation laisse perplexe. La Cour de cassation ne s'attache pas à cet aspect pourtant essentiel. Car, la réponse n'est pas immédiate et évidente. En effet, dans cette espèce, la Cour de cassation ne précise pas clairement que l'opération réalisée par la souscriptrice consistait à avoir prévu, dans la clause de désignation du tiers bénéficiaire, que le bénéfice octroyé consistait dans la nue-propriété. Si, dans le cadre d'un contrat d'assurance vie, il est permis de le présumer, dans le cas d'un contrat de capitalisation, la même déduction ne s'impose pas nécessairement, sans autre argument.
Plus encore, l'interrogation majeure portait sur la nature juridique de l'acte de renonciation au contrat d'assurance. S'agissant d'un mineur, une représentation simple suffisait-elle pour solliciter cette renonciation, ou bien exigeait-elle l'assentiment du juge des tutelles ? En considérant que cette demande constituait un acte d'administration et non un acte de disposition, la Cour de cassation tranche de manière à la fois surprenante et compréhensible. Le raisonnement de notre Haute juridiction mérite d'être approuvé si l'on s'attache au libellé de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, puisque celui-ci accorde la faculté de renonciation à toute personne physique.
En revanche, la solution de la Cour de cassation étonne au regard de la méfiance dont elle a fait preuve, ces derniers temps, en matière notamment de modification de la désignation bénéficiaire, à l'égard de tout représentant quel qu'il soit, vis-à-vis certes d'un majeur protégé (2). Sans doute, la renonciation ne porte-t-elle pas sur les mêmes aspects. Pour autant, la renonciation constitue aussi un acte juridique important, pouvant engendrer des pertes financières si elle intervient à une période où les places boursières enregistrent des performances exceptionnelles. Plus encore, la Cour de cassation, comme la désignation ou la modification du tiers bénéficiaire, l'analyse comme un droit personnel ne pouvant être exercé, même par un avocat, sans un mandat spécial.
Mais, en l'espèce, l'enfant mineur n'était pas devenu souscripteur à la place de sa mère, celle-ci lui eût-elle donné la nue-propriété du contrat d'assurance, constat qui n'est d'ailleurs pas sans conséquences juridiques. Si la notion de droit personnel s'entend de manière stricte, celle de souscripteur ne saurait davantage être étendue. Encore n'est-ce pas la seule leçon à retenir...
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen
Voici un arrêt à cheval sur le droit des assurances et sur la procédure civile dont la publication au Bulletin nous semble utile.
En effet, en cas de sinistre, le rôle de l'expertise, amiable ou au besoin judiciaire, est crucial en matière d'assurance. Il est parfois nécessaire de recourir au juge, saisi sur requêtes ou en référés, pour désigner l'expert. En pareille hypothèse, l'article L. 114-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L0076AA3) dispose : "la prescription [biennale posée par l'article L. 114-1 du même code N° Lexbase : L2640HWP] est interrompue par une des causes ordinaires d'interruption de la prescription et par la désignation d'experts à la suite d'un sinistre".
Au-delà de la désignation même de l'expert, amiable (3) ou judiciaire, dont l'effet interruptif est expressément posé dans le code, y-a-t-il lieu de considérer l'ordonnance qui impose un changement d'expert comme douée elle-même d'un tel effet interruptif de la prescription biennale ? Au contraire, faut-il considérer qu'elle ne constitue qu'un accessoire de l'ordonnance primitive seule douée d'effet interruptif ?
La question est d'un intérêt pratique certain dès lors que, comme en attestent les faits de cette espèce, sitôt la désignation de l'expert ordonnée, le cours de prescription, interrompu, reprend "sa course". Sans doute le délai de deux ans devrait-il suffire à régler le problème ou, à défaut, à saisir le juge du fond. Toutefois, comme le montre l'arrêt examiné, il se peut que l'assignation soit délivrée par l'une ou l'autre des parties (ici l'assureur), plus de deux ans après l'ordonnance primitive.
En l'espèce, la désignation d'un expert médical a eu lieu par ordonnance de référé le 17 juin 2003 ; l'assuré ayant déménagé, le juge chargé du contrôle des expertises a, par ordonnance du 16 octobre 2003, ordonné le changement d'expert et prorogé le délai imparti ; que le rapport d'expertise ayant été déposé le 16 février 2004, l'assureur a, le 19 août 2005, assigné l'assuré en nullité du contrat d'assurance pour fausse déclaration intentionnelle.
Dans un tel cas de figure, si l'ordonnance modificatrice est dotée d'un effet interruptif propre, l'assureur peut valablement agir, tandis que si elle n'en est point dotée, toute action postérieure au 17 juin 2005 doit être tenue pour prescrite.
La solution donnée par la deuxième chambre civile, bien placée pour statuer sur des questions à la confluence des deux matières dont elle est spécialiste, est sans ambiguïté. Elle énonce qu'il "résulte de" l'article L. 114-2 du Code des assurances que "l'ordonnance de changement d'expert a un effet interruptif du délai biennal".
On reconnaîtra, à l'emploi de la formule "il résulte de", que la Cour de cassation opère par interprétation, par déduction logique. Selon elle, si le code n'envisage que la désignation même d'experts à la suite d'un sinistre, la modification n'est qu'une variante. Il est difficile de critiquer l'analyse, car la modification n'est jamais qu'une nouvelle désignation, destinée à conduire à une nouvelle expertise.
On notera que, pour fonder ce raisonnement, les Hauts magistrats le tirent du principe général selon lequel "toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise ordonnée par une précédente décision judiciaire a un effet interruptif du délai à l'égard de toutes les parties". Cette solution, énoncée d'abord par la première chambre civile de la Cour de cassation en 2001 (4), a été ultérieurement confirmée en plusieurs occasions (5).
Forte de cette règle générale, la deuxième chambre civile en déduit "qu'il en est de même [d'une] ordonnance [...] en changement d'expert [rendue] obligatoire" par le changement de domicile de l'assuré.
Il est difficile de ne pas l'en approuver car cette lecture ne contrevient nullement à la lettre de l'article L. 114-2 du Code des assurances et est conforme à son esprit.
Il était néanmoins utile d'affirmer la solution avec quelque solennité car certains juges du fond ont parfois opté pour un raisonnement différent. On citera en ce sens une décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 25 octobre 2007 (première chambre civile, n° 06/05983), qui a considéré que, "une ordonnance de changement d'expert qui, par définition, est une simple mesure d'administration judiciaire non prévue comme un acte interruptif de prescription par l'article 2244 du Code civil ([LXB=L7178IA4])" n'a pas un tel effet.
Un tel raisonnement tire l'effet interruptif du seul comportement des parties et considère sans effet un changement d'expert, qualifié de "mesure d'administration judiciaire".
L'analyse n'est pas convaincante car elle omet totalement les causes interruptives propres au droit des assurances, pourtant parfaitement énoncées à l'article L. 114-2 du Code des assurances. Le droit spécial ajoute ici aux "causes ordinaires" de d'interruption de la prescription. Il est donc mal venu de se concentrer sur le seul droit commun de la prescription, dont on sait, par ailleurs, qu'il a été profondément remanié par la réforme du 17 juin 2008 (6)...
A ce titre, on n'oubliera pas que le nouvel article 2239 du Code civil (N° Lexbase : L7224IAS) suspend (et non interrompt) la prescription "lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès" et que, dans ce cas, "le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée".
Il reste que l'articulation entre ce nouvel article 2239 du Code civil et l'article L. 114-2 du Code des assurances, entre le droit commun de la prescription et le droit spécial de l'assurance, reste à préciser en jurisprudence.
Pour lors, on tiendra l'arrêt examiné, rendu à propos d'une expertise antérieure à la réforme de la prescription, pour un signe de la volonté d'éviter le "couperet" de la courte prescription (biennale) en assurance. Cette volonté de promouvoir une plus grande efficacité du droit d'agir en assurance passera également, nous semble-t-il, par une interprétation large de l'article 2239 du Code civil à l'assurance, sans voir dans l'article L 114-2 susvisé un obstacle...
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences en droit privé, Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit privé)
La mise en oeuvre des sanctions de la déclaration inexacte, qu'il s'agisse de la nullité en cas de déclaration inexacte avec mauvaise foi (C. ass., L. 113-8 N° Lexbase : L0064AAM) ou sans (C. ass., L. 113-9 N° Lexbase : L0065AAN), est toujours plus délicate.
Il s'agit alors de déterminer si la fausse déclaration impacte l'un seulement des risques, sans remettre en cause la garantie au titre des autres risques, soit remet en cause la police en son entier.
Depuis un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 janvier 1996 (7) il est bien établi : "qu'il résulte de [l'article L. 113-8 du Code des assurances] qu'en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de l'assuré à l'occasion de la souscription d'une police garantissant plusieurs risques distincts, l'appréciation de la portée, en ce qui concerne l'assureur, de cette réticence ou fausse déclaration, doit se faire par rapport à chaque risque en litige, mais indépendamment des circonstances du sinistre".
En outre, l'arrêt reconnaissait aux juges du fond un pouvoir souverain pour décider quels risques avaient été influencés par la déclaration inexacte.
Depuis, par diverses formules, la Cour de cassation reprend l'attendu susvisé ou des variantes plus sobres, telles que celles consistant à constater que la "fausse déclaration a modifié l'appréciation de l'assureur quant à l'ensemble de la police", ou encore que "l'assuré avait faussé l'appréciation de tous les risques couverts par la police". En dernier lieu, un arrêt du 2 avril 2009 approuve ainsi les juges du fond d'avoir décidé que la fausse déclaration sur l'identité du conducteur (la trop classique déclaration du père alors qu'il s'agit du fils inexpérimenté), avait faussé l'appréciation de l'assureur du risque au titre du vol, dès lors "que le véhicule en cause modèle sport de couleur jaune était de nature à susciter la convoitise, du moins, attirer l'attention des malfaiteurs [et que] le jeune [conducteur] ne disposait pas de la même expérience de conduite que son père".
Il est aussi des décisions pour reconnaître que la fausse déclaration, non intentionnelle, ce qui change beaucoup (L. 113-9 plutôt que L. 113-8), d'un risque est sans influence sur la garantie d'un autre risque de la police. Ainsi d'un arrêt du 8 juillet 1997 (8) qui a jugé : "que la déclaration inexacte [...] afférente aux risques locatifs [est sans incidence sur] la réparation de son préjudice professionnel et pour la perte de la valeur de son fonds de commerce".
Enfin, lorsque la Haute juridiction constate que les juges du fond ont retenu la nullité de la police multirisque dans son ensemble sans motiver cet effet transversal, la Cour de cassation censure pour manque de base légale. C'est à ce dernier genre qu'appartient l'arrêt du 12 mai 2011 examiné.
En l'espèce, le contrat d'assurance automobile souscrit garantit les risques responsabilité civile, défense pénale et recours, vol, incendie, dommages tous accidents, bris de glace et objets contenus dans le véhicule ; après déclaration du vol de son véhicule par l'assuré, l'assureur, puis les juges du fond, ont constaté que cet assuré avait, dixit l'arrêt, "maquillé un sinistre [... et] omis d'indiquer qu'il avait fait l'objet d'une mesure de suspension de son permis de conduire", parmi une liste encore plus longue de tromperies volontaires.
La Cour de cassation censure au motif que, "en se déterminant ainsi, sans rechercher si la fausse déclaration retenue avait été de nature à changer l'objet du risque ou à en modifier l'opinion pour l'assureur pour chacun des risques garantis en litige alors que le contrat d'assurance garantissait plusieurs risques distincts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé".
La formule s'appuie sur la lettre de l'article L. 113-8 du Code des assurances et rappelle le caractère alternatif de l'incidence de la fausse déclaration, qui bouleverse soit radicalement l'objet du risque, soit fausse l'opinion que l'assureur s'était faite des divers risques couverts dans la multirisque.
S'agissant de mesurer, en l'espèce, l'impact des diverses omissions volontaires (suspension de permis) et "maquillages" de l'assuré quant aux sinistres de responsabilité civile ou bris de glace auto, sur le risque, distinct, de vol, il appartiendra à l'assureur de démontrer, in concreto, que son opinion sur la couverture du vol en a été nécessairement modifiée.
On songera peut-être qu'on ne voit pas en quoi le risque de vol de véhicule serait, objectivement, modifié par ces omissions ou travestissements de sinistres matériels antérieurs. Cela n'en rend pas le véhicule plus attractif pour les voleurs. Il n'en demeure pas moins que le risque d'un "faux vol" organisé avec la complicité de l'assuré est, dans de telles circonstances, hautement probable. L'assureur ne devrait donc pas avoir de difficulté à convaincre le juge du fond qu'il n'aurait jamais couvert un tel assuré, pour aucun des risques, s'il avait connu les manipulations auxquelles il s'est déjà livré avant comme après conclusion du contrat litigieux.
La personnalité de l'assuré impacte hautement le contrat d'extrême bonne foi que constitue le contrat d'assurance. L'effet "transversal" de la nullité devrait donc être légitimement reconnu dans de telles circonstances.
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences en droit privé, Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)
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