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N4206BSL
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Aussi, mal en a pris à ce professeur d'anglais qui, lors d'une journée "portes ouvertes" organisée au sein de l'entreprise qui l'employait, pensa faire montre de panache, en portant un tee-shirt sur lequel était inscrite une sentence mettant en cause l'intégrité des dirigeants avant de l'accrocher aux grilles entourant l'entreprise, comparant, notamment, le management de l'entreprise à une "République bananière".
Les juges ne pourront être d'aucun secours au mutin "en-tee-shirté", cet acte de sédition et de contestation publiques étant constitutif d'une faute grave. Telle est l'onction d'un arrêt rendu, le 9 mars 2011, par la cour d'appel de Versailles. Aussi, le licenciement du cynique plaisantin, bien qu'expéditif, est validé. Le fondement d'une telle curée ? L'obligation générale de loyauté qui interdit au salarié de se livrer à des agissements préjudiciables à l'entreprise, sous peine d'un licenciement immédiat justifié afin que le trublion ou son action ne nuise pas au bon fonctionnement de la société.
La démonstration paraît implacable tant il est, sans doute, impossible de tolérer, au sein d'une entreprise, un comportement ouvertement séditieux et provocateur ; mais, si la provocation, par étymologie, appelle une réaction, cette dernière doit-elle être la sanction suprême du salarié, son licenciement ? Dans tous les cas, une telle approche n'est pas conforme aux canons du management ; et l'employeur, qui ne peut que constater la rupture de loyauté du salarié et le licencier, rompt avec "l'art de gérer les affaires du ménage", à manager sans ménagement.
En effet, aux origines du management, il y a la gestion de ses biens et de sa domesticité ; et le mariage avec l'économie, c'est-à-dire "les lois de la gestion domestique" en grec ancien, ne pouvait qu'être légitime. Toutefois, la comparaison avec la maisonnée s'arrête là ; car, "la parabole du fils prodigue" n'est pas celle des plus enseignée dans les écoles de commerce, et le management de Folett, comme celui de Drucker, après le paternalisme de Schneider, s'il introduit le facteur humain dans la réflexion managériale et la conduite de l'organisation de l'entreprise, rappelle que l'équilibre des intérêts des parties (employeur et salariés) repose sur la loyauté... totale, absolue, fidèle.
C'est bien la foi dans le projet d'entreprise et les hommes qui le conduisent qui est exigée de la part des salariés par les cadres dirigeants ; et, l'acte de rébellion quel qu'il soit, qu'il s'agisse, ici, d'un tee-shirt de la discorde ou, il y a peu, d'une onomatopée sur Facebook, encourt l'exclusion de ce que d'aucuns voudraient faire passer pour une famille, à force de culture d'entreprise et d'esprit corporate, quand l'entreprise n'est "que" la conjugaison des compétences, des investissements et des motivations dans l'accomplissement d'un projet commun.
La métaphore familiale est facile, mais elle est fausse, voire dangereuse. Nous avons pu, à nouveau, le constater à travers le désarroi de certains salariés dont l'ultime acte de rébellion fut celui du suicide. Les entreprises touchées par un tel "châtiment" sont-elles plus inhumaines pour autant ? Sans doute rappellent-elles, sur le terrain de l'accident du travail comme sur celui de la loyauté salariale, que l'on ne choisit pas sa famille, mais l'on choisit ses collaborateurs. Le lien salarial est fragile et sécable, en dehors même de toute faute de compétence ou de toute restructuration économique : la cour d'appel de Versailles vient d'en faire à nouveau la démonstration ; démonstration qu'il ne suffit pas de suivre les prescriptions de Fayol pour être un bon manager.
Déterminer la stratégie d'entreprise, l'organisation ad hoc, assurer la direction, la coordination et le contrôle constituent le socle de l'encadrement managérial. Mais pour qu'il y ait loyauté, il faut qu'il y ait adhésion à un système de cohésion et de cohérence, une culture : capital immatériel de l'entreprise. Et, cette adhésion, seul le leadership du manager peut l'assurer. C'est l'exercice d'une influence positive, la formation, la communication et la motivation qui entraînent l'adhésion.
D'aucuns requièrent une perspicacité (poser les bonnes questions) ; une sensibilité (ménager la susceptibilité) ; une vision de l'avenir (une organisation adaptée aux besoins futurs) ; une certaine souplesse (faculté d'adaptation) ; une aptitude à amener les salariés à se concentrer sur un objectif (canaliser les efforts individuels) ; et de la patience. C'est assurément tout cela qui limitera la rébellion pour cause de sentiment d'injustice, au sein de l'entreprise, et qui favorisera, surtout, la loyauté dans l'exécution du contrat de travail. L'adhésion des salariés, bien que Sartre eût pu la comparer à l'ostréiculture, n'est pas le signe d'une aliénation ; mais la caractéristique intrinsèque de l'entreprise : le mythe selon lequel les entrepreneurs, actionnaires, dirigeants et salariés, se "tiennent les mains" pour prendre un risque, relever un défi, oser un objectif.
Tout cela paraît relever, si ce n'est du poncif, du moins d'un voeu pieux. Pourtant, c'est toute l'économie général du droit social qui est contenue dans cette obligation de loyauté réciproque vers laquelle tend la négociation collective, l'obligation de sécurité de l'employeur, le respect de la vie privée face à la vie professionnelle, la lutte contre les discriminations, le formalisme de la rupture, l'évaluation des compétences à travers la période d'essai, etc., pour mieux corriger les insuffisances d'un management dont l'objectif est, sans doute et par trop, passé de la croissance et du développement de l'entreprise, à la seule rentabilité.
Comme dans toute communauté, l'entreprise a des devoirs, mais également des droits : celui de la loyauté de ses salariés est certainement la valeur immatérielle avec laquelle elle ne doit jamais tempérer... mais qu'elle doit assurément susciter et être légitime, au-delà de la seule légalité, à revendiquer.
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