La lettre juridique n°443 du 9 juin 2011 : Propriété

[Questions à...] La cathédrale de Nice, propriété de l'Etat russe - Questions à Maître Alain Confino, avocat au barreau de Paris

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N4301BS4

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 09 Juin 2011

Par un arrêt rendu le 19 mai 2011, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé, faisant suite au jugement rendu par le TGI de Nice le 20 janvier 2010 (1), que la prestigieuse cathédrale Saint-Nicolas de Nice était bien la propriété de l'Etat de Fédération de Russie, et non de l'association cultuelle orthodoxe qui occupait l'édifice depuis 80 ans (CA Aix-en-Provence, 1ère ch., sect. B, 19 mai 2011, n° 10/01453 N° Lexbase : A0785HSU). Plus précisément, la cour d'appel a retenu que l'Etat de la Fédération de Russie était fondé à reprendre possession, à la suite de l'arrivée du terme du bail emphytéotique du 9 janvier 1909, survenue le 31 décembre 2007, du bien immobilier objet de ce bail, comprenant l'édifice dit "Cathédrale russe orthodoxe de Nice" boulevard Tsarevitch à Nice et le terrain alentour, ainsi que tous objets incorporés à celle-ci, et notamment l'iconostase, dont il est propriétaire. Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Alain Confino, avocat au barreau de Paris, qui est en charge des intérêts de l'Etat de Fédération de Russie dans cette affaire, et qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Quel est l'apport de la décision en droit de la propriété ?

Alain Confino : Le jugement rendu par le TGI de Nice le 20 janvier 2010, qui avait déjà reconnu la qualité de propriétaire à l'Etat de la Fédération de Russie, a été salué par les commentateurs comme une décision particulièrement intéressante et détaillée dans sa motivation en droit comme en fait. Dans le prolongement de ce jugement, les magistrats de la première chambre de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ont fait une application claire et classique des règles applicables en droit de la propriété immobilière.

Les deux questions principales examinées dans cette affaire concernaient, d'une part, la demande de reconnaissance du droit de propriété de l'Etat de la Fédération de Russie, ce qui supposait la démonstration, que nous avons faite, de ce qu'il avait acquis la qualité de bailleur emphytéotique du terrain sur lequel est édifiée la cathédrale (et d'ailleurs de l'édifice lui-même, qui était déjà construit lorsqu'il a été livré à l'Eglise russe) et donc de propriétaire régulier et légitime des constructions se trouvant sur ce terrain et de leur contenu, et, d'autre part, la prétention de l'association cultuelle à la propriété du bien au titre de la prescription acquisitive.

S'agissant de la revendication de la propriété par l'association au titre de la prescription acquisitive, la cour a procédé à une application classique des règles posées par l'article 2229 du Code civil (N° Lexbase : L7214IAG), dans sa rédaction applicable au litige, aux termes duquel "pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire".

En fait, l'argumentation même de l'association dans cette affaire, qui n'a cessé d'évoluer et de se contredire tout au long de la procédure, démontrait son absence de bonne foi, puisqu'elle soutenait par exemple devant la cour qu'elle n'avait jamais été preneuse à bail et donc toujours été propriétaire, alors même qu'elle s'était prévalue devant le juge des référés du tribunal de Nice, en 2006, de sa qualité d'emphytéote.

Mais nous avons démontré que l'association s'était effectivement toujours comportée comme étant aux droits et obligations de l'emphytéote et qu'elle avait ainsi toujours eu la qualité de détenteur précaire du terrain en raison de l'existence du bail emphytéotique. Elle n'avait donc jamais pu prescrire, puisqu'aux termes de l'article 2266 du Code civil (N° Lexbase : L7191IAL), "ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit. Ainsi, le locataire, le dépositaire, l'usufruitier et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire ne peuvent le prescrire".

En tout état de cause, l'association n'avait jamais pu prescrire à défaut de possession utile du terrain. En effet, dès lors que la preuve avait été abondamment rapportée de ce que l'association s'était elle-même prévalue du bail emphytéotique tant au début de sa prétendue possession en 1924-1925, qu'après la fin de sa prétendue possession en 2006, il est très clair que, non seulement elle ne pouvait invoquer un quelconque animus domini quant au terrain, mais encore que ces faits établissaient avec une toute particulière évidence le vice d'équivoque qui avait entaché de tout temps sa prétendue possession.

C'est ainsi que la cour d'appel conclut très nettement, après avoir constaté qu'aucun titre semblant conférer sans ambiguïté la propriété à l'association n'était intervenu pendant le temps du bail emphytéotique, qu'"il ne peut être dit que l'association cultuelle a possédé de manière non équivoque, en tant que propriétaire. La propriété est imprescriptible et ne se perd pas par le non usage. Ce non usage résultait non seulement du désintérêt que la Russie, en ses diverses formes étatiques, a semblé éprouver pendant plusieurs décennies à l'égard de la cathédrale russe de Nice, mais correspondait aussi juridiquement à l'exécution du bail emphytéotique".

Lexbase : L'association cultuelle orthodoxe envisage un pourvoi en cassation, revendiquant le fait que le tsar avait acquis l'édifice sur ses propres deniers et non sur ceux du trésor impérial. Par conséquent, l'Etat russe, héritier de l'empire, ne serait pas fondé à réclamer la propriété d'un bien privé, qui plus est religieux. Que pensez-vous de ces arguments ?

Alain Confino : Les preuves du droit de propriété de la Fédération de Russie sur la cathédrale de Nice, sur son terrain et sur son contenu ont aussi été amplement rapportées.

Tout d'abord, tous les éléments que nous avons versés aux débats démontrent que le terrain appartenait à l'Etat dès son acquisition par l'Empereur Alexandre II en 1865. Ensuite, en 1908, Nicolas II a confirmé officiellement, par oukase (ordonnance), que le terrain n'était pas un bien privé mais un bien d'Etat et que le propriétaire du terrain était le Cabinet impérial, organe d'Etat. Le bail emphytéotique conclu en 1909 l'a été par la Cour impériale, c'est-à-dire par l'Etat. Enfin, le caractère étatique de la propriété du terrain a été ultérieurement confirmé très clairement et officiellement par des documents que nous avons rassemblés au terme d'un très important travail de recherche dans les archives départementales à Nice et dans les archives d'Etat en Russie. En particulier, nous avons démontré, contrairement à ce qui était prétendu par l'association, que c'est le Gouvernement impérial qui, par les fonds du Trésor, a octroyé le financement sans lequel l'achèvement de l'édifice n'aurait pas été possible.

Ensuite, la propriété étatique du terrain a été régulièrement et légitimement transférée à la Fédération de Russie par une succession d'actes d'Etat. En effet, après l'abdication de Nicolas II et le renoncement de son frère le grand-duc Michel, le Gouvernement provisoire légitime de février 1917 a placé les biens du Cabinet sous la gestion du ministère des Finances et réorganisé les propriétés d'Etat dont il était titulaire. Or, la Fédération de Russie vient légalement et légitimement aux droits de l'Empire Russe. D'abord parce que l'URSS a succédé à l'Empire, ainsi que notre pays l'a proclamé officiellement par des actes d'Etat (notamment l'acte de reconnaissance du gouvernement de l'URSS par le président Herriot en 1924) et par des accords internationaux (entre autres, l'accord de 1997 sur le règlement des contentieux entre la France et la Russie, qui était audacieusement invoqué par l'association cultuelle elle-même pour tenter de soutenir que la Russie aurait renoncé à la propriété de la cathédrale de Nice). Ensuite parce que la Fédération de Russie est, de façon incontestée, l'Etat continuateur de l'URSS. C'est ainsi que la Fédération de Russie, d'étape en étape, est venue aux droits de la Cour impériale, bailleur emphytéotique. Et j'ajouterai qu'elle a reçu le soutien officiel des représentants actuels des deux branches de la famille impériale, qui ont ainsi donné à sa démarche une légitimité morale incontestable.

Lexbase : Quelles sont les conséquences pratiques de cette décision concernant la gestion de l'édifice ?

Alain Confino : J'ai pu entendre après le prononcé de l'arrêt que si la cour a reconnu à l'Etat la qualité de seul propriétaire de la cathédrale, elle ne lui en aurait pas pour autant attribué la jouissance. Je ne m'étendrai pas sur un tel commentaire dont, sur le seul plan juridique, je laisse à chacun de vos lecteurs le soin d'apprécier l'originalité... La décision ne comporte aucune ambiguïté : elle proclame que "l'Etat de la Fédération de Russie est fondé à reprendre possession, à la suite de l'arrivée du terme du bail emphytéotique du 9 janvier 1909, survenue le 31 décembre 2007, du bien immobilier objet de ce bail, comprenant l'édifice dit 'Cathédrale russe orthodoxe de Nice' boulevard Tsarevitch à Nice et le terrain alentour, tel que décrit dans le bail emphytéotique, ainsi que tous objets incorporés à celle-ci, et notamment l'iconostase, dont il est propriétaire". J'ajoute que l'association cultuelle a été déboutée de toutes ses demandes. Et que la cour a estimé que l'établissement des comptes depuis le 31 décembre 2007 était en l'état une question prématurée mais qui sera examinée à la suite de la reprise des lieux. Cela ne peut pas être plus clair.

C'est l'administration russe qui décidera à présent des suites civiles pratiques de cette décision qui est en cours de signification.


(1) TGI Nice, 20 janvier 2010, 2ème ch., n° 06/06437 (N° Lexbase : A7939ERH).

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