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N3040BSE
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par Sophia Pillet - SGR Droit social
le 09 Juin 2011
Philippe Rouvillois : En effet, le contexte était très différent. On a constaté, depuis 1989, une véritable recrudescence de l'usage des drogues, et, notamment, des drogues dures dans la société en général. Il s'agit d'un enjeu qui touche donc toutes les formes du travail et doit être étendu à l'ensemble du monde professionnel, sans oublier la fonction publique.
Depuis 1989, de nouvelles contraintes internes et externes, notamment en matière de concurrence et de responsabilités, ont fait évoluer les enjeux liés au contrôle de l'usage de drogues au sein des entreprises. Les règles commerciales des marchés internationaux obligent, notamment, de nombreux chefs d'entreprise, à garantir l'absence totale de consommation de drogues chez leurs salariés. Le non-respect de cette clause, de plus en plus présente dans les contrats internationaux, peut alors en entraîner la rupture. En outre, cette exigence résulte également de la responsabilité juridique encourue par le chef d'entreprise en cas de dommage subi par le salarié ou par des tiers en raison de l'activité de l'entreprise, en cas d'accident de toute nature. En effet, le droit communautaire a créé une obligation générale de sécurité (2), transposée en droit social français au travers des articles L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L1450H9L) du Code du travail. Dorénavant, l'employeur est tenu d'une obligation de moyens renforcée, c'est-à-dire qu'elle implique un renversement de la charge de la preuve. Cette obligation de sécurité est un élément majeur qui justifie les mesures de détection de drogues sur le lieu de travail.
Enfin, nous sommes également allés au-delà de l'avis rendu par le CCNE en 1989, dans la mesure où nous avons élargi le champ d'application. En effet, ayant constaté que les risques restaient majoritairement liés à la consommation d'alcool, nous avons décidé d'englober ensemble une étude sur l'alcool, les produits illicites ainsi que les abus de médicaments psychotropes.
Lexbase : Dans l'avis que vous avez rendu, vous justifiez et recommandez le dépistage médical de l'usage des produits illicites pour "les postes et fonctions de sûreté et de sécurité". Comment identifiez-vous ces postes ?
Philippe Rouvillois : Sur le plan éthique, en formulant notre avis, nous avons dû concilier deux exigences majeures :
- respecter la liberté individuelle de chaque salarié ;
- obliger les personnes dépendantes à ne pas causer de torts aux tiers.
Dans un premier temps, nous avons considéré qu'une généralisation du dépistage banaliserait la transgression du devoir de respecter la liberté des personnes. Dans une autre mesure, nous avons volontairement écarté la notion de "postes à risque", utilisée par le Code de la santé publique, dans la mesure où cette notion ne fait référence qu'au danger potentiel pour celui qui l'exerce. Les postes et fonctions de sécurité et de sûreté sont donc des postes aux termes desquels toute erreur commise par un salarié peut entraîner un risque pour les tiers. Les métiers ayant un impact sur le public, comme contrôleurs aériens par exemple, sont donc directement visés par le qualificatif de poste de sûreté et de sécurité. Le CCNE recommande à toutes les entreprises et aux branches de recenser les postes de sûreté et de sécurité en concertation avec les organisations syndicales de salariés, les représentants des employeurs et la médecine du travail.
Cependant, seule une action au plan national peut aboutir.
Lexbase : Quelles sont les garanties juridiques offertes aux salariés ?
Philippe Rouvillois : Tout d'abord, il n'est pas question que le dépistage soit confié à une autre personne que le médecin du travail. En outre, le secret professionnel du médecin du travail doit rester garanti vis-à-vis du chef d'entreprise. Par ailleurs, il est primordial, face aux réformes en cours, de renforcer le rôle et les moyens du médecin du travail, et du service de santé au travail en général.
Dans une autre mesure, si le dépistage est retenu pour certaines fonctions, il doit alors être expressément prévu et son caractère systématique et/ou inopiné précisé dans le règlement intérieur et les contrats de travail.
L'entreprise doit avoir un véritable rôle de prévention et d'accompagnement et non de sanction. En effet, le lieu de travail ne doit pas être un lieu de stress mais doit devenir un lieu qui aide les gens à garder leur équilibre. La détection doit rester inséparable de la prévention. Nous avons découvert au travers de nos différentes études que plus les salariés se sentaient biens et épanouis au travail, et plus la consommation de drogue et d'alcool diminuait.
Lexbase : Pensez-vous que cet avis sera bien reçu par les pouvoirs publics ?
Philippe Rouvillois : L'avis a suscité un vif intérêt. Cependant, nous ne sommes qu'une organisation de réflexion, nous proposons des solutions, mais nous ne savons pas quelle sera la réaction des pouvoirs publics face à ce texte. Nous espérons cependant, évidemment que cet avis sera bien reçu par les pouvoirs publics et le grand public. Le plus important serait que le législateur intervienne pour obliger à une concertation entre les différents acteurs du monde de l'entreprise.
Nous nous sommes en tout cas fortement inspiré de ce qui se passait dans les autres pays, comme les Etats-Unis, par exemple, qui utilisent un système de détection des pratiques de toxicomanie très rigoureux, notamment dans le domaine du transport. La Belgique a également été un bon modèle. En effet, ils ont organisé une conférence nationale entre les représentants des employeurs, les représentants des salariés et les services de santé au travail pour réfléchir à une analyse commune et aboutir à un réel consensus.
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