La lettre juridique n°443 du 9 juin 2011 : Sociétés

[Jurisprudence] L'article 1900 du Code civil ne s'applique pas aux comptes courants d'associés

Réf. : Cass. com., 10 mai 2011, n° 10-18.749, F-P+B (N° Lexbase : A1093HRW)

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N4222BS8

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 09 Juin 2011

Véritable outil au service de la gestion d'une entreprise, les apports en compte courant d'associés remportent un franc succès en raison de leur grande souplesse d'utilisation et des nombreux avantages qu'ils présentent. Ainsi, face à des besoins momentanés de trésorerie, excédant les ressources en capitaux permanents, les associés peuvent consentir des "prêts" à la société, qui aura alors la possibilité de déduire les intérêts versés aux associés de ses bénéfices imposables. Au-delà, cet "apport" provisoire de fonds à la société pourra même lui permettre d'accroître sa capacité d'endettement puisque, dans certaines circonstances, les banques vont considérer les apports en comptes courants d'associés comme des quasi-fonds propres soit, notamment, qu'ils contiennent une convention de blocage (1), soit qu'une cession d'antériorité de créances (2) est prévue. Si les apports en comptes courants peuvent, parfois, apparaître comme un substitut à un capital insuffisant, ils ne sauraient, pour autant, être assimilés à des apports de capital et connaissent, de la sorte, un régime distinct de celui des apports en société. En effet, juridiquement ces avances sont considérées comme des prêts productifs d'intérêts (4). Prenant acte de cette qualification, c'est fort logiquement les dispositions du Code civil relatives au prêt de consommation (C. civ., art. 1892 N° Lexbase : L2109ABQ et s.) qu'alléguait une société pour un obtenir un délai de remboursement dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 10 mai 2011. En l'espèce, rien d'original : l'actionnaire d'une société a demandé que celle-ci soit condamnée à lui rembourser le montant des sommes inscrites au crédit de son compte courant d'associé. La cour d'appel de Poitiers (CA Poitiers, 23 mars 2010) ayant accueilli cette demande, la société forme un pourvoir en cassation. Elle faisait valoir devant le juge du droit que lorsqu'un prêt d'argent a été consenti sans qu'un terme ait été fixé, il appartient au juge, saisi d'une demande de remboursement de fixer, eu égard aux circonstances, et notamment à la commune intention des parties, la date du terme de l'engagement, lequel doit être postérieur à la demande en justice. Au cas d'espèce, selon elle, en se bornant à lui refuser d'accorder un "délais supplémentaire" pour procéder au remboursement du compte courant d'associé quand il leur appartenait en toute hypothèse de fixer le terme du prêt dès lors qu'ils avaient repoussé l'existence d'une convention de blocage des fonds, de sorte que le prêt était à durée indéterminée, les juges du fond auraient violé l'article 1900 du Code civil (N° Lexbase : L2118AB3).

La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de la société et énonce, pour la première fois à notre connaissance, en guise de principe, que les dispositions de l'article 1900 du Code civil, qui offrent au juge la possibilité de fixer un terme pour la restitution d'un prêt, ne sont pas applicables au compte courant d'associé, dont la caractéristique essentielle, en l'absence de convention particulière ou statutaire le régissant, est d'être remboursable à tout moment.

La Cour régulatrice rappelle ainsi de façon très claire la position bien établie selon laquelle les comptes courants d'associés sont par principe remboursables à tout moment (I). Cette caractéristique fondamentale justifie, à elle seule, d'écarter l'application de l'article 1900 du Code civil (II).

I - Les avances en comptes courants d'associés : un "prêt" remboursable à tout moment

Dans l'arrêt du 12 mai 2011 la Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que les comptes courants d'associés sont, en l'absence de convention particulière ou statutaire les régissant, remboursables à tout moment. Ce principe est connu et bien établi en jurisprudence, la Cour de cassation ayant fréquemment l'occasion de le rappeler (5). La jurisprudence en a tiré un certain nombre de conséquences. Ainsi, il a été jugé que la décision d'assemblée qui en impose le blocage, laquelle entraîne une augmentation des engagements des associés ne peut être opposée à l'associé ayant effectué l'apport en compte courant, dès lors qu'elle n'a pas été prise à l'unanimité (6). Au contraire, l'associé titulaire d'un compte d'associé pouvant accepter d'assortir la créance qu'il détient sur la société des limites qu'il juge opportunes, en votant une résolution, adoptée à l'unanimité, aux termes de laquelle "l'assemblée générale des associés convient, jusqu'à nouvelle décision contraire, que les comptes courants d'associés ne seront pas rémunérés et que le solde de ces comptes courants après affectation du résultat sera maintenu dans la société tant que la trésorerie de celle-ci n'en permettra pas le remboursement", la société n'a fait que limiter l'exercice d'un droit dont elle était titulaire (7). La Haute juridiction a pu, en outre, retenir que commet un abus de droit la société dont l'assemblée générale a pris une délibération prévoyant le remboursement limité des comptes courants d'associés après que l'un d'eux ait obtenu un jugement ordonnant le remboursement de son compte (8).

Le principe du droit au remboursement immédiat a même conduit la cour d'appel de Paris à retenir que la société ne pouvait opposer ses difficultés financières à l'associé (9). A fortiori, dans le cadre de la liquidation d'une société due à sa dissolution suite à la décision des associés, tout créancier titulaire d'un compte courant d'associé est en droit d'en obtenir le remboursement (10)

Comme tout principe, il souffre quelques exceptions ; ainsi, la validité de la demande de remboursement à tout moment n'exclut pas que l'associé puisse être tenu pour fautif lorsque cette demande est faite abusivement. La cour d'appel de Paris a ainsi retenu que les actionnaires majoritaires et les administrateurs d'une société commettent une faute en se faisant rembourser par le liquidateur amiable leurs comptes courants alors qu'ils avaient connaissance que la créance d'un tiers n'avait pas été prise en compte lors de la clôture de la liquidation. Dans ces conditions, ils doivent être tenus in solidum à rembourser au créancier des dommages-intérêts d'un montant égal à celui de la dette de la société à son égard (11). Les limites au remboursement immédiat se manifesteront tout particulièrement si la société fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, puisque l'associé, en sa qualité de créancier social, sera soumis aux contraintes de la procédure collective et devra notamment déclarer sa créance (12). Enfin, si le remboursement, pouvant être demandé à tout moment, ne tombe pas, par principe, sous le coup des nullités de la période suspecte de l'article L. 632-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8851IN7) (13), il pourra être attaqué sur le fondement de l'article L. 632-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3422ICQ) sur la nullité des paiements pour dettes échues, si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements, étant précisé que la qualité d'associé ne suffit pas, par elle-même, à démontrer qu'il dispose de tous les éléments d'appréciation de la situation réelle de la société (14). Au contraire, en sa qualité de dirigeant, le gérant, qui connaissait nécessairement les difficultés de la société, et en a profité pour solder son compte courant au détriment des autres associés, doit être condamné au remboursement au profit de la procédure collective (15).

Enfin, et comme le précise l'arrêt rapporté, le principe du remboursement immédiat ne jouera pas si la convention de compte courant ou les statuts prévoient le blocage des sommes

II - Les avances en comptes courants d'associés : un "prêt" auquel l'article 1900 du Code civil ne peut s'appliquer

Selon l'article 1900 du Code civil, inséré dans une section relative aux obligations du prêteur, "s'il n'a pas été fixé de terme pour la restitution, le juge peut accorder à l'emprunteur un délai suivant les circonstances". Il en résulte ainsi que lorsqu'un prêt d'argent a été consenti sans qu'un terme ait été fixé, il appartient au juge, saisi d'une demande de remboursement, de fixer, eu égard aux circonstances et, notamment, à la commune intention des parties, la date du terme de l'engagement, qui doit se situer à une date postérieure à la demande en justice (16). Cette faculté, reconnue au juge, de fixer le terme du prêt permet de palier les insuffisances d'un contrat qui, par principe, est un contrat à terme (C. civ., art. 1899 N° Lexbase : L2117ABZ : "le prêteur ne peut demander les choses prêtées avant le terme convenu").
Or, si les avances en comptes courants sont considérées comme des prêts productifs d'intérêts, elles n'en revêtent pas tous les caractères. D'ailleurs, les apports en compte courant, comme nous l'avons vu précédemment, sont par principe remboursables à tout moment, et ne se parent de la qualité de contrat à terme que si et seulement si les statuts de la société concernée ou bien la convention de compte courant, elle-même, le prévoit. Ajoutons que le blocage étant l'exception, il doit être expressément stipulé.
On l'aura compris, la convention de compte courant n'étant pas, par principe, un contrat à terme, le juge ne saurait intervenir pour fixer le terme de la restitution : l'article 1900 du Code civil ne peut donc jouer dans de telles circonstances. La solution retenue par la Cour de cassation doit ainsi être pleinement approuvée ; elle ne souffre, à notre sens, aucune critique.

Toutefois, si l'intervention du juge ne peut trouver de base légale dans les dispositions de l'article 1900 du Code civil, il semblerait que la société et ses conseils eut été peut-être plus inspirés à agir sur le fondement de l'article 1244-1 du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW) -les faits ne permettent pas de trancher cette question-. Rappelons, en effet, qu'en application de ce texte, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et des besoins du créancier, accorder des délais de paiement dans la limite de deux ans. Dans ce cas, les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation (17) et doivent obligatoirement fixer la date à laquelle le débiteur devra se libérer (18). Ce texte est tout à fait applicable aux conventions de compte courant, puisque l'intervention du juge n'est nullement conditionnée par l'existence ou non d'un terme dans le contrat. La cour d'appel de Versailles a d'ailleurs statué en ce sens dans un arrêt du 2 avril 1999 (19).
Dès lors que la situation du débiteur, la société, apparaissait obérée et que le créancier, l'actionnaire, pouvait supporter des délais de grâce, la saisine du juge sur fondement de l'article 1244-1 du Code civile eut été plus judicieuse... encore que dans les faits rien ne nous permet de dire que tel était bien le cas !


(1) Clause, comme son nom l'indique, par laquelle les associés s'obligent, vis-à-vis de la société, à rendre ces sommes indisponibles pendant plusieurs années.
(2) Dispositif par lequel le titulaire d'un compte courant s'engage à n'exiger le remboursement des sommes qu'il a déposées, qu'une fois tous les autres créanciers désintéressés.
(3) Cass. civ. 3, 18 novembre 2009, n° 08-18.740, FS-P+B (N° Lexbase : A7472EN3) et nos obs La donation portant seulement sur des droits sociaux ne s'étend pas au solde créditeur du compte courant du donateur, Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N5803BMU).
(4) Cf. CA Paris, 3ème ch., sect. B, 15 avril 2005 (N° Lexbase : A0237DIM).
(5) Cass. com., 12 janvier 1993, n° 91-11.558, publié (N° Lexbase : A8445AGU), Bull Joly Sociétés, 1993, p. 336, note A. Couret ; Cass. com., 24 juin 1997, n° 95-20.056 (N° Lexbase : A4500AGR), Bull. Joly Sociétés, 1997, p. 871, note B. Saintourens ; Cass. civ. 3, 3 février 1999, n° 97-10.399 (N° Lexbase : A8096AGX), Bull Joly Sociétés, 1999 p. 577, note A. Couret ; sur la question cf. Le remboursement des comptes courants d'associés in l’Ouvrage "Droit des sociétés" (N° Lexbase : E0229AGL).
(6) Cass. com., 24 juin 1997, n° 95-20.056, préc. ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 5 mai 1995, n° 19450/93 (N° Lexbase : A9687C7W).
(7) Cass. com., 14 février 2006, n° 04-14.854, F-D (N° Lexbase : A1767DNR).
(8) Cass. com., 25 janvier 1982 (N° Lexbase : A6848AYB).
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 12 novembre 1991, n° 90/006539 (N° Lexbase : A9476A74) ; RTDCom., 1992, p. 820, obc. Champaud et Danet.
(10) Cass. com., 5 mars 1991, n° 89-21.381 (N° Lexbase : A2088AGG).
(11) CA Paris 12 février 1999, RJDA, 1999, n° 1212
(12) Cf. CA Versailles, 13ème ch., 3 novembre 1994, n° 8069/93 (N° Lexbase : A9520A7Q).
(13) Cf. CA Paris, 3ème ch., sect. C, 17 septembre 1999, n° 1998/03177 (N° Lexbase : A9380A7K).
(14) CA Paris, 3ème ch., sect. C, 17 septembre 1999, n° 1998/03177, préc..
(15) Cass. civ. 1, 6 novembre 1990, n° 89-14.988 (N° Lexbase : A2050AGZ).
(16) Cass civ. 1, 19 janvier 1983, n° 81-15.105, publié (N° Lexbase : A8571AHW).
(17) Cass civ. 2, 10 juin 1970, n° 68-13.565, publié (N° Lexbase : A9193CGL).
(18) Cass. civ. 2, 7 janvier 1998, n° 96-12.979, publié (N° Lexbase : A2661ACK).
(19) CA Versailles, 3ème ch., 2 avril 1999 ; RJDA, 1999, n° 788

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