La lettre juridique n°443 du 9 juin 2011 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Taxe professionnelle : avant 2008, les membres n'exerçant pas d'activité en France d'un groupement de professionnels libéraux étaient-ils imposables ?

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 3 mai 2011, n° 341349, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7668HPP)

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par Frédéric Cauvin, Collaborateur, Landwell & Associés

le 09 Juin 2011

La taxe professionnelle était l'un des quatre impôts directs perçus par les collectivités territoriales. Reconnue pour être un impôt extrêmement lourd et complexe, exclusivement supporté par les entreprises installées en France, la taxe professionnelle était due chaque année par les personnes exerçant à titre habituel une activité professionnelle non salariée. Elle était assise, pour la généralité des contribuables, sur la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière et sur la valeur locative des biens et équipements mobiliers. Toutefois, un régime particulier était applicable aux titulaires de revenus non commerciaux, imposés sur leurs recettes. Avec sa myriade de taux, ses stratifications et ses compensations issues de palliatifs à répétition, la taxe professionnelle était devenue un impôt incompréhensible et décrié de toute part. Fortement pénalisante, notamment pour les entreprises industrielles, la taxe professionnelle avait fait l'objet de nombreux aménagements plus ou moins opportuns, au fil des ans, qui ont permis d'en réduire la charge mais qui ont fait de l'Etat le premier contributeur de la taxe par le jeu de diverses compensations, dégrèvements ou réductions. La loi de finances pour 2010 (loi n° 2009-1673 N° Lexbase : L1816IGD) a mis fin à cette lente agonie en supprimant la taxe professionnelle et en la remplaçant par deux nouvelles taxes, la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Toutefois, la taxe professionnelle continuera encore longtemps à faire parler d'elle, comme en témoigne une récente décision du Conseil d'Etat en date du 3 mai 2011. En l'espèce, un associé d'un cabinet d'avocats organisé sous forme d'un partnership de droit britannique disposant de bureaux en France a été imposé à la taxe professionnelle au titre de l'année 2006, sur le fondement de l'article 1476 du Code général des impôts (N° Lexbase : L6789HWD). Ce contribuable, non résident français, et n'exerçant aucune activité professionnelle en France a contesté cette imposition et n'a pas hésité à faire valoir ses droits devant les juges administratifs.

Après avoir obtenu la décharge de cette cotisation de taxe professionnelle devant le tribunal administratif de Paris en 2009, confirmée devant la cour administrative d'appel de Paris en 2010 (CAA Paris, 7ème ch., 4 juin 2010, n° 09PA05432, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2122E3Y), c'est devant le Conseil d'Etat que l'intéressé a dû, de nouveau, défendre ses positions face à une administration fiscale déterminée.

On s'étonnera et on se réjouira de la relative célérité avec laquelle cette affaire est arrivée jusqu'à la Haute assemblée, la question étant de savoir si un avocat non domicilié en France, membre d'un groupement de professions libérales organisé sous forme d'un "Limited Liability Partnership" (LLP) de droit britannique, ayant des bureaux à Paris, pouvait être assujetti à la taxe professionnelle alors même qu'il n'exerçait aucune activité en France. Le Conseil d'Etat a répondu par la négative à cette question, refoulant par là même les prétentions de l'administration.

Pourtant, bien que cette bataille ait pu sembler vaine, il est intéressant de revenir sur le raisonnement "juridique" déployé de la part de l'administration fiscale, avant d'analyser la position retenue par la Haute juridiction.

I - La position de l'administration fiscale : une position dénuée de sens, mais remplie d'intérêts

Me X, avocat, associé d'un cabinet d'avocats de droit britannique (LLP) disposant de bureaux en France, s'est vu imposer à la taxe professionnelle en France, au titre de l'année 2006, par l'administration fiscale, sur le fondement de l'article 1476 du Code général des impôts.

A - Le partnership et la taxe professionnelle

Dans la nébuleuse des sociétés de personnes, le "Limited Liability Partnership" est une entité de droit anglais dont la nature et l'objet sont purement civils. Cette structure est employée par les professions qui se voient interdire par la loi le recours à d'autres formes de sociétés. Tel est, par exemple, le cas de la profession d'avocat. Cette structure, qui n'a pas de personnalité juridique, pourrait éventuellement se rapprocher du type de société française qu'est la société en nom collectif ou encore de l'association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle (AARPI).

En matière de taxe professionnelle, le deuxième alinéa de l'article 1476 du CGI pose le principe que, pour les groupements réunissant des membres de professions libérales (à l'exception de ceux qui ont opté pour leur assujettissement à l'impôt sur les sociétés), l'imposition est établie séparément au nom de chacun des membres. En contrepartie, aucune imposition n'est réclamée au groupement.

Ainsi, chaque membre est redevable de la taxe professionnelle sur une base incluant une fraction des éléments imposables qui correspond à ses droits dans le groupement. La base d'imposition de chaque membre est déterminée de manière différente selon que l'intéressé emploie ou non moins de cinq salariés.

Si l'associé emploie moins de cinq salariés, sa base d'imposition à la taxe professionnelle est égale à la somme de :

- la valeur locative des locaux dont il dispose à titre personnel ;

- la quote-part de la valeur locative des locaux communs obtenue en divisant la valeur locative totale par le nombre d'associés ;

- d'une fraction de ses recettes personnelles pour la fraction imposable (la fraction des recettes est fixée à 6 %).

Si l'associé emploie au moins cinq salariés, sa base d'imposition est égale à la somme des valeurs locatives des locaux et matériels dans les conditions de droit commun. Si les recettes de l'associé sont supérieures à 61 000 euros, il est, en outre, imposé sur la valeur locative des équipements et biens mobiliers dont il a la disposition personnelle et sur une quote-part de la valeur des immobilisations de même nature mises en commun.

Ce principe bien plus complexe qu'il n'y parait, auquel le législateur est très attaché, est justifié par le souci d'assurer l'égalité entre les membres de professions libérales qui exercent à titre individuel et ceux qui sont regroupés au sein d'une société. Reconnaître au groupement la qualité de redevable de la taxe professionnelle en lieu et place de ses membres irait à l'encontre de ce principe. Bien des débats ont animé la question et notamment la notion de "groupement" qui pose un véritable problème d'interprétation mais le Conseil d'Etat s'est prononcé nettement à plusieurs occasions en faveur de la thèse de la pleine transparence fiscale des sociétés et groupements de personnes (CE, 26 juin 1985, n° 43551 N° Lexbase : A2993AMS ; CE, 26 juin 1989, n° 83980 N° Lexbase : A0776AQS, CE, 8 juillet 1992, n° 92731 N° Lexbase : A8964ARG).

B - Un parallèle inopportun avec le régime fiscal propre à l'impôt sur le revenu (IR)

Au cas d'espèce, l'administration fiscale a, par assimilation en matière d'IR avec la situation des associés de sociétés de personnes qui supportent personnellement l'impôt, considéré que Me X était redevable de la taxe professionnelle dès lors qu'il était associé à la clôture de l'exercice de référence, quel que soit son lieu de résidence ou sa participation aux résultats de la structure française.

Le régime fiscal des sociétés de personnes, inscrit entre autres à l'article 8 du Code général des impôts (N° Lexbase : L2311IB9), consiste à imposer personnellement les associés à raison des résultats réalisés par la société, proportionnellement aux droits qu'ils détiennent dans les bénéfices sociaux. En d'autres termes, les résultats des sociétés de personnes, qu'ils soient ou non distribués, sont directement imposables au nom de chacun des associés. Peu importe alors le lieu de résidence ou encore l'existence d'une activité réelle au sein de la société par les associés. Cette translucidité ou semi-transparence (pour plus de précisions sur ces notions, se reporter à l'ouvrage du Professeur Cozian : "Un sac d'embrouilles" : le régime fiscal des sociétés de personnes relevant de l'impôt sur le revenu) aboutit également à l'absence totale d'imposition au niveau de la personne morale.

Ainsi, par transposition des règles applicables en matière d'IR, l'administration fiscale estimait que les membres d'un groupement réunissant des professions libérales devaient acquitter personnellement la taxe professionnelle, à hauteur de leurs droits respectifs dans le groupement. L'absence de domiciliation en France, et l'inexistence d'activité professionnelle en France, n'étant pas, à ses yeux, des obstacles susceptibles de mettre à mal ses prétentions.

Et pourtant, l'argumentaire est fragile, puisqu'il aboutit à détourner l'article 1476 du CGI de son champ d'application initialement prévu par le législateur. Plus précisément, en 2006, l'article 1476 du CGI était rédigé comme suit : "La taxe professionnelle est établie au nom des personnes qui exercent l'activité imposable, dans les conditions prévues en matière de contributions directes, sous les mêmes sanctions ou recours.

Pour les sociétés civiles professionnelles, les sociétés civiles de moyens et les groupements réunissant des membres de professions libérales, l'imposition est établie au nom de chacun des membres [cf. Annexe II, art. 310 HP et 310 HQ]. Toutefois, ces dispositions ne s'appliquent pas aux sociétés civiles professionnelles, à compter de l'année qui suit celle où elles sont, pour la première fois, assujetties à l'impôt sur les sociétés".

Ainsi, comme le souligne le rapporteur public K. Weidenfeld dans ses conclusions rendues devant les juges de première instance (TA Paris, 29 avril 2009, n° 0714730 N° Lexbase : A8986ERA), selon l'administration, il y a lieu de s'interroger sur le sujet fiscal de la taxe professionnelle. Par analogie avec les règles applicables à l'IR pour lequel les sociétés de personnes sont translucides, la taxe professionnelle doit être établie au nom de tous ses membres, qu'ils exercent ou non une activité en France.

L'administration fiscale, malgré ses efforts pour transposer la notion de translucidité propre à l'IR à la taxe professionnelle commet une erreur d'interprétation. En effet, au regard de la taxe professionnelle, les sociétés dotées de la personnalité morale sont, en principe, opaques, en conséquence, personnellement passibles de la taxe professionnelle. Celles qui ne sont pas dotées de la personnalité morale sont transparentes, la taxe professionnelle est établie au nom des associés connus des tiers. Ce principe souffre d'une exception pour les membres de professions libérales qui sont imposables en leur nom que l'organisation ait ou non la personnalité morale.

L'interprétation de l'administration est que l'article 1476 du CGI définit le groupement en tant que "sujet" de la taxe professionnelle et l'alinéa 2 dudit article précise simplement les modalités d'application pour l'établissement de la taxe. Pour autant, cette interprétation ne saurait lui permettre d'imposer les associés n'exerçant aucune activité en France, en contradiction évidente avec les dispositions combinées des articles 1447 (N° Lexbase : L0048HMQ), 1448 (N° Lexbase : L0050HMS) et 1473 (N° Lexbase : L0224HMA) du CGI qui disposent que seuls les membres des groupements de professions libérales exerçant leur activité en France peuvent être soumis à la taxe professionnelle.

En effet, les conditions d'assujettissement à la taxe professionnelle doivent s'apprécier au niveau de chacun des membres du groupement. Dès lors qu'il est constant que Me X n'exerce pas son activité en France, il n'entre pas dans le champ d'application de la taxe professionnelle.

C - Une position défendue par l'administration fiscale eu égard aux retombées financières

La volonté de l'administration peut paraître surprenante, l'enjeu financier du litige s'élève à 1 237 euros. Pourtant, derrière cette affaire, se cachent des nombreux dossiers similaires en attente de jugement devant les différentes juridictions administratives. Et ce ne pourrait être que l'arbre qui cache une forêt bien plus vaste. En effet, combien de partnerships de droit anglo-saxons exercent une activité en France ? Et combien d'entre eux comprennent de nombreux membres exerçant uniquement hors de France ? L'enjeu est donc ici plus important qu'il n'y paraît.

II - La solution du Conseil d'Etat ou l'épilogue heureux pour le contribuable

Le Conseil d'Etat confirme utilement que les dispositions des articles 1447, 1448 et 1473 du CGI, d'une part, et le deuxième alinéa de l'article 1476, d'autre part, prévoient que les membres des groupements de professions libérales sont personnellement redevables de la taxe professionnelle dès lors qu'ils exercent une activité professionnelle en France à titre habituel et que ces conditions doivent être appréciées au niveau de ce dernier.

Il est également intéressant de noter que le Conseil d'Etat rappelle clairement que l'objet du second alinéa de l'article 1476 du CGI "était d'assurer la transparence fiscale des groupements constitués pour l'exercice de professions libérales" écartant par là même toute forme d'assimilation avec les règles applicables à l'IR développée par l'administration. La taxe professionnelle est régie par ses propres textes et l'essence de cette taxe est d'être un impôt local perçu par les collectivités territoriales, par conséquent indissociable du lieu d'exercice de l'activité.

Soulignons enfin, que cette question ne présente plus qu'un intérêt historique. A compter des impositions établies au titre de 2008, les nouvelles dispositions du deuxième alinéa de l'article 1476 du CGI, issues de l'article 48 de la loi du 25 décembre 2007 (loi n° 2007-1824 N° Lexbase : L5527H9L), prévoient expressément que les membres de groupements n'exerçant pas leur activité en France ne peuvent être imposés à la taxe professionnelle.

Au fond, il n'est peut être pas extravagant de penser que cette nouvelle rédaction ait pu laisser concevoir une interprétation différence du texte dans sa version antérieure. Une "brèche" dans laquelle l'administration a tenté allègrement de s'enfoncer.

III - La question est-elle toujours d'actualité avec la CET ?

Pour conclure, alors que s'est engagée une réforme de la fiscalité des sociétés des personnes tendant vers une plus grande transparence, nous pouvons constater qu'à l'inverse, la remplaçante de la taxe professionnelle tend vers une opacité de ce type de société.

En effet, dans sa version définitive, la réforme de la taxe professionnelle prévoyait initialement un régime particulier pour les membres des professions libérales plus ou moins comparable à celui qui existait en matière de taxe professionnelle. Ce régime a été censuré, le 29 décembre 2009, par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2009-599 DC N° Lexbase : A9026EPY) et cette décision avait entraîné un effet d'aubaine pour les membres des professions libérales d'autant plus important que les groupements étaient considérés comme fiscalement transparents pour l'imposition à la CET. L'application du régime de droit commun aux titulaires de bénéfices non commerciaux pour la CET due au titre de 2010 et en particulier pour la CVAE (sous réserve des dispositions particulières en matière de détermination de la valeur ajoutée), a conduit à une véritable "dilution" du chiffre d'affaires et de la valeur ajoutée entre chaque membre qui échappait, dès lors, pratiquement intégralement à la CVAE du fait de la progressivité du taux d'imposition applicable.

L'article 108, I de la loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 N° Lexbase : L9901INZ) met fin à la transparence fiscale des sociétés civiles professionnelles, des sociétés civiles de moyens et des groupements réunissant des membres de professions libérales à compter du 1er janvier 2011. Bien qu'une incertitude concernant le redevable de la taxe persiste s'agissant des groupements non dotés de la personnalité morale, que reste t-il de cette volonté du législateur tant défendue d'assurer l'égalité entre les membres de professions libérales qui exercent à titre individuel et ceux qui sont regroupés au sein d'une société garantie par la transparence fiscale des groupements ? Il est certain que les modalités d'imposition à la nouvelle taxe professionnelle des membres des groupements de professions libérales seront encore problématiques et sujets de nombreuses discussions et interprétations.

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