Réf. : Cass. civ. 2, 8 mars 2018, n° 16-22.391, F-P+B (N° Lexbase : A6623XGE)
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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes
le 05 Avril 2018
Cette décision est parfaitement justifiée en droit. L'article 174 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L5731IM9) fixe clairement la compétence du taxateur : "les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats ne peuvent être réglées qu'en recourant à la procédure prévue aux articles suivants".
Le juge taxateur n'a donc pas compétence pour apprécier une éventuelle faute de l'avocat ni pour statuer sur l'existence d'un mandat. Mais que doit-il faire si ces questions sont posées ?
Pour ce qui est de l'existence d'un mandat, la Cour de cassation répond qu'il faut faire trancher la question par la juridiction compétente et surseoir à statuer dans cette attente.
Le taxateur aurait pu fixer le montant des honoraires et préciser dans sa décision que la question de l'existence d'un mandat devait être soumise à la juridiction compétente. C'est habituellement ce que faisaient les juridictions. Mais cette solution présentait un inconvénient. Le débiteur d'honoraires peu averti, pouvait croire qu'il était condamné et pouvait payer sans engager de nouvelle procédure. Il pouvait aussi se décourager devant l'obligation d'avoir à saisir une nouvelle juridiction. En statuant comme elle l'a fait, la Cour de cassation a pris la décision de protéger davantage le débiteur d'honoraires. En l'absence de certitude sur l'existence d'un mandat, c'est le créancier qui devra prendre l'initiative de faire trancher cette question avant de pouvoir faire taxer ses honoraires et il devra veiller à faire diligence pour éviter une prescription.
Il y a là une évolution. Dans une affaire voisine, la Cour de cassation avait considéré que lorsque des conseils étaient demandés pour le compte d'un tiers, le juge taxateur pouvait parfaitement fixer le montant de l'honoraire sans attendre que l'identité du débiteur (mandataire ou tiers) soit déterminée (Cass. civ. 2, 26 juin 2008, n° 06-11.227, FS-P+B N° Lexbase : A3596D93 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2708E43, D. 2008, AJ, 2007).
Si la décision nous parait justifiée en droit, elle permet cependant de souligner, une fois de plus, que la procédure en matière de taxation est trop complexe et inadaptée.
Cette procédure est trop complexe dans la mesure où elle conduit dans certains cas à mener de front deux procédures pour régler un seul problème : une procédure pour faire évaluer le montant des honoraires dus et une procédure pour faire juger s'il existe bien un mandat, si le débiteur est bien celui qui est recherché ou si l'avocat a commis une faute et engagé sa responsabilité ce qui pourrait justifier une demande de dommages-intérêts ou une exception d'inexécution.
Cette obligation d'engager deux procédures est très dissuasive car le justiciable ne comprend pas le mécanisme qui lui est opposé et a donc le sentiment de ne pas être entendu. Elle conduit à asphyxier la justice de demandes pour des montants qui sont souvent relativement faibles.
A l'heure où on se plaint constamment de la pauvreté des moyens de la justice, il nous semble que cette procédure devrait être modifiée. Les contestations devraient être examinées dans le cadre d'une médiation sous l'égide du Bâtonnier ou de son délégataire et en cas d'échec, le bâtonnier devrait recevoir compétence pour trancher l'ensemble des difficultés et pas seulement pour évaluer le montant des honoraires. Sa décision serait ensuite susceptible d'appel devant une juridiction de droit commun.
Cette solution ne permettrait plus de confier la médiation au médiateur de la consommation ce qui est prévu depuis l'ordonnance 2015-1033 du 20 août 2015, relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (N° Lexbase : L3397KGW) car il faut, dans l'intérêt de tous, que toutes les questions de droit puissent être tranchées rapidement en cas d'échec de la médiation.
Il nous semble qu'un tel système permettrait à la fois de dialoguer et d'expliquer et qu'il permettrait d'éviter une multiplication de procédures inutiles.
Mais le système actuel n'est pas seulement complexe et inadapté, il est aussi injuste. Il est exigé aujourd'hui que les avocats rédigent des conventions d'honoraires pour informer leurs clients du coût de leur prestation. Or, cet exercice est souvent redoutable car un avocat ne peut pas toujours percevoir par avance quelle sera l'importance de ses diligences. Y aura-t-il des incidents ? Le client devra-t-il venir une fois ou dix fois en rendez-vous ? Téléphonera-t-il tous les jours ? Ecrira-t-il un courriel quotidien ?
Or, d'un côté on oblige les avocats à faire des conventions (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC, modifiant l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ), qui se contentent souvent de déterminer un taux horaire et n'ont donc pas beaucoup de lisibilité, mais de l'autre et, même lorsque la convention porte sur un montant forfaitaire, on donne pouvoir au taxateur de réduire le montant des honoraires demandés même s'ils sont conformes à la convention.
Pourquoi imposer une convention si celle ce peut être modifiée au gré de l'humeur du taxateur ?
Il nous paraîtrait beaucoup plus logique de s'en tenir au droit commun des contrats et de ne permettre au juge de modifier les termes du contrat qu'en cas de vice du consentement ou d'abus.
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