Réf. : Cass. soc., 29 juin 2017, deux arrêts, n° 15-21. 008 (N° Lexbase : A1625WLR) et n° 16-12.007 (N° Lexbase : A1626WLS), FS-P+B+R+I
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 20 Juillet 2017
Résumé
Il n'y a pas de violation du principe d'égalité de traitement lorsque deux procédures de licenciement économique collectif ont été successivement engagées dans l'entreprise accompagnées de PSE distincts, le salarié licencié dans le cadre de la première procédure n'étant pas dans une situation identique à celle des salariés licenciés dans le cadre de la seconde procédure au cours de laquelle a été élaboré, après information et consultation des institutions représentatives du personnel, le plan prévoyant les avantages revendiqués. |
I - Des droits distincts pour des plans distincts
Contexte. Le PSE doit respecter l'ordre public et à ce titre le principe d'égalité de traitement. Depuis 2001, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait indiqué que "si un PSE peut contenir des mesures réservées à certains salariés, c'est à la condition que tous les salariés de l'entreprise, placés dans une situation identique au regard de l'avantage en cause, puissent bénéficier de cet avantage, à moins qu'une différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes, et que les règles déterminant les conditions d'attribution de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables" (1).
Jusqu'à présent, les contentieux avaient été initiés par des salariés concernés par un seul et même plan, et qui contestaient les restrictions mises au bénéfice de certains avantages dans le plan lui-même. Mais, jamais encore, la Cour de cassation n'avait eu à se prononcer sur le sort de salariés relevant de plans différents, adoptés successivement dans la même entreprise, dans une période rapprochée, et qui se plaignaient de n'avoir pas bénéficié des avantages de l'autre plan. C'est tout l'intérêt de ces deux arrêts, fortement médiatisés, qui conduisent à rendre les plans presque totalement étanches l'un à l'autre.
Première affaire (n° 15-21.008). Un salarié du laboratoire Fabre, licencié le 7 juin 2010 dans le cadre d'un PSE adopté courant 2009, avait contesté le bien-fondé de son licenciement, et demandé la condamnation de son employeur à lui verser une indemnité pour violation du principe d'égalité de traitement, en se prévalant d'une différence injustifiée de montant de l'indemnité complémentaire et de la durée du congé de reclassement prévus dans un autre plan adopté quatre jours après avoir reçu sa lettre de licenciement.
La cour d'appel de Montpellier lui avait donné raison et lui avait accordé plus de quarante mille euros au titre de la violation du principe d'égalité de traitement (2). Elle avait considéré que "la différence de traitement entre les salariés relevant du PSE arrêté en 2010 et ceux qui avaient fait l'objet d'un licenciement dans le cadre du plan de l'année précédente ne repose sur aucune raison objective et étrangère à toute discrimination prohibée" et que, "pour justifier ces différences de traitement d'un plan par rapport à l'autre, il n'est allégué aucune difficulté particulière de reclassement professionnel, ni de niveau de qualification différent des salariés concernés ou d'une dégradation de la situation de l'emploi [...]. Le seul fait de procéder à une réorganisation de l'entreprise en deux licenciements collectifs avec négociation de plans de sauvegarde de l'emploi ne constitu[ant] pas une raison objective justifiant une différence de traitement".
Seconde affaire (n° 16-12.007). Il s'agissait, ici, de soixante-neuf salariés licenciés en janvier 2006 par la société Géodis logistics ouest dans le cadre d'un PSE adopté en décembre 2005, à la suite d'une réduction significative des prestations confiées par son principal donneur d'ordre courant 2005, et qui prévoyait la suppression de deux cent vingt-quatre postes sur deux cent quatre-vingt-cinq dans son établissement situé à Saint-Berthevin. A la suite de la rupture définitive des relations commerciales avec ce même donneur d'ordre, la fermeture du site avait été décidée, entraînant la mise en place d'une nouvelle procédure de licenciement économique collectif emportant la suppression de cinquante-sept nouveaux postes de travail sur les soixante-quatre restant sur le site, et l'adoption d'un PSE, le 10 avril 2007, prévoyant, notamment, une indemnité spécifique de fermeture de site de 12 030 euros au bénéfice de l'ensemble des salariés visés par cette seconde procédure.
S'estimant lésés par le fait qu'une telle indemnité n'avait pas été prévue par le PSE du 16 décembre 2005 dont ils avaient bénéficié, les soixante-neuf licenciés de la première vague ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir notamment le paiement d'une telle indemnité, sur le fondement du principe d'égalité de traitement.
Ils ont également obtenu gain de cause auprès de la cour d'appel d'Angers (3). Pour cette dernière, en effet, "la circonstance que le second PSE et la procédure de licenciement collectif pour motif économique qu'il accompagnait se soient inscrits dans le cadre d'une fermeture du site de Saint-Berthevin alors que le premier PSE et la première procédure de licenciement collectif pour motif économique se sont inscrits dans le cadre de la suppression d'un grand nombre d'emplois au sein de cet établissement ne suffit pas, en soi, à caractériser une différence de situation propre à justifier le versement de l'indemnité litigieuse aux seuls salariés licenciés en 2007". Par ailleurs, la cour a considéré "qu'au regard de l'avantage en cause, les salariés concernés par le premier PSE et licenciés en 2006 étaient placés dans une situation identique à ceux concernés par le second PSE et licenciés en 2007" et que "la rupture anticipée du contrat du 7 septembre 2005, la fermeture du site, les possibilités de reclassement et de nouvel emploi, ne constituent pas des raisons objectives et pertinentes propres à justifier la différence de traitement litigieuse caractérisée par le versement aux seuls salariés licenciés en 2007 d'une indemnité de rupture anticipée de contrat et de fermeture de site".
Une double cassation pour un même motif. Dans les deux affaires, les deux arrêts d'appel sont cassés de manière absolument identique, au visa du principe d'égalité de traitement, la Haute juridiction considérant que les salariés ne se trouvaient pas dans la même situation selon qu'ils relevaient de l'un ou l'autre des plans considérés.
Dans les deux cas, les magistrats du fond sont cassés pour "fausse application" du principe d'égalité de traitement, c'est-à-dire pour en avoir fait une application inexacte "au regard de leurs constations". Dans ces deux affaires, en effet, les salariés du premier PSE réclamaient les avantages conférés aux licenciés du second, et les juges avaient considéré que tous les salariés concernés par ces deux plans se trouvaient dans la même situation (perte d'emploi) au regard des avantages en cause (indemnité complémentaire et durée de congé de reclassement pour les deux plans du laboratoires Fabre, et indemnité de perte d'emploi dans l'affaire Géodis). Les deux cours d'appel n'avaient pas considéré que la situation des salariés était différente selon qu'ils avaient été licenciés lors de la première vague ou de la seconde, ce qui n'est pas du goût de la Cour de cassation qui considère le contraire.
II - La volonté de ne pas accabler les entreprises en difficultés
Une double cassation discutable. Le moins que l'on puisse dire est que l'argumentation retenue par la Haute juridiction ne convainc guère.
Dans la première affaire qui concernait le laboratoire Fabre, aucun élément (notamment dans l'arrêt d'appel) ne permettait de dire que les salariés se seraient trouvés dans des situations différentes, alors que tous perdaient leur emploi dans le cadre de l'un ou l'autre plan. On aurait pu admettre que les droits accordés aux salariés dans les différents plans n'avaient pas le même objet, ce qui rendait une comparaison avantage par avantage délicate, mais que précisément la variété des droits conférés les plaçaient dans une situation différente au regard des avantages concernés. Mais rien de tel ne ressortait de l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, et la lecture de la décision ne met en lumière aucune donnée distinctive tirée des caractéristiques des salariés, qu'il s'agisse de leur âge, leur ancienneté (4), leur statut (5) ou leurs fonctions.
Dans la seconde affaire, c'est l'entreprise qui ne se trouvait pas dans la même situation économique, puisque le premier plan faisait suite à une très importante baisse des commandes du principal fournisseur d'activité de l'entreprise, alors que le second faisait suite à la rupture définitive des relations commerciales avec celui-ci et à la fermeture du site. Mais, pour les salariés, et au regard des avantages en cause, rien ne semblait devoir justifier la différence de traitement.
Alors pourquoi avoir cassé et donné raison aux entreprises ?
Deux explications, l'une propre au principe d'égalité de traitement, l'autre propre au régime des PSE, peuvent être avancées.
Des différences de traitement justifiables, mais autrement. On sait qu'il y a deux manières de "justifier" une différence de traitement, soit en amont, en considérant que les demandeurs ne sont pas dans la même situation que les autres personnes avec lesquelles ils se comparent (ce qui était le cas ici), soit en aval du raisonnement, en établissant que les différences de traitement sont justifiées.
La seconde manière de justifier est, de notre point de vue, préférable, dans la mesure où elle élargit le spectre des motifs admissibles, notamment à la situation de l'entreprise, à sa taille, à sa situation économique et financière, à son appartenance à un groupe ou une UES, voire à des éléments extérieurs tenant au coût de la vie locale (6), à l'évolution du contexte économique et social, ou encore au comportement de tiers (dans l'affaire Géodis, le principal client de l'entreprise avait cessé toute commande).
La lecture de la note explicative qui accompagne ces deux arrêts, et qui préfigure le commentaire au rapport annuel, montre bien, selon nous, la confusion entretenue entre situation des salariés (données personnelles) et situation de l'entreprise, et donc entre ces deux manières de justifier la différence de traitement : "en effet, dans une même entreprise, la succession dans le temps de procédures de licenciement économique collectif implique, de fait, une évolution du contexte économique et social ayant donné lieu à ces procédures. Les PSE, établis par l'employeur dans le cadre de ces procédures successives en fonction des besoins des salariés concernés par chacune des procédures et des moyens de l'entreprise ou du groupe évalués au moment de leur élaboration, et soumis à chaque fois à la consultation des institutions représentatives du personnel qui peuvent en demander l'amélioration, répondent à des circonstances particulières et présentent nécessairement un équilibre qui leur est propre. Aussi, d'une procédure de licenciement économique collectif à une autre dans une même entreprise, les salariés licenciés ne sont pas placés dans une situation identique propre à leur permettre de revendiquer les avantages d'un PSE élaboré dans le cadre d'une procédure qui ne les a pas concernés".
Au final, cette confusion n'est pas véritablement problématique, dans la mesure où elle ne change en rien la conclusion du raisonnement : les différences entre les plans ne sont pas remises en cause et les salariés sont déboutés de leurs demandes. Mais, il nous semble qu'elle affaiblit la solution, en la rendant moins compréhensible, et qu'elle pourrait donc susciter un vague de résistance devant les juridictions du fond, tant il semble incompréhensible, précisément du point de vue des salariés, de considérer que la perte d'emploi lors d'un premier plan serait moins grave que lors d'un second.
Des différences de traitement présumées justifiées ? Reste une autre justification, tirée de ce qu'on pourrait appeler l'autonomie des PSE. Il s'agirait de raisonner, ici, comme la Cour de cassation le fait depuis janvier 2015 en matière de différences de traitement résultant de l'application d'un (7) ou plusieurs accords collectifs (8), où ces dernières sont présumées être justifiées, sauf à démontrer un hypothétique détournement de pouvoirs des parties à l'accord.
On s'est évidemment interrogé sur la portée de ces décisions s'agissant d'un PSE "négocié", car leur légitimité semble supérieure encore à celle des accords de droit commun (9) puisque depuis 2013, leur validité est subordonnée à un accord ayant recueilli la signature d'un ou de plusieurs syndicats ayant obtenu au moins la moitié des suffrages exprimés en faveur des organisations reconnues représentatives à l'issu des dernières élections professionnelles (10).
Mais qu'en est-il pour les plans adoptés dans le cadre d'une élaboration unilatérale par l'employeur dans le respect de la procédure d'information/consultation ad hoc du comité d'entreprise ? Dans cette hypothèse, il semble difficile de défendre l'idée d'une autonomie comparable du plan, dans la mesure où les mesures arrêtées dans le plan de reclassement (ou dans le plan de départ volontaire) sont uniquement contrôlées par l'autorité administrative qui en vérifie la légalité, et donc, à ce titre, le respect du principe d'égalité de traitement (11). Il semble donc logique de laisser au juge (administratif) le soin de vérifier que l'employeur a bien respecté l'égalité entre les salariés, tout comme d'ailleurs le juge judiciaire continue de vérifier la légitimité des différences de traitement résultant d'actes unilatéraux ou de pratiques d'entreprises, depuis 2015.
On pourrait tout de même être tenté de lire dans ces deux décisions la volonté du juge ne pas se substituer aux acteurs pour imposer "sa" vision du "juste", et de se contenter de sanctionner les comportements manifestement abusifs. Fondée sur les valeurs de la démocratie sociale depuis 2015, cette modestie du contrôle du juge, singulièrement du juge de cassation, doit être saluée, surtout lorsque le législateur a fait le choix de confier des prérogatives à l'administration pour gérer avec les entreprises ses phases délicates de règlement des difficultés économiques. Il faudra voir, maintenant, comment le Conseil d'Etat statuera s'agissant de plans adoptés après l'entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi ([LXB=L0394IXUi]).
(1) Cass. soc., 10 juillet 2001, n° 99-40.987, publié (N° Lexbase : A1731AUN) ; Dr. soc., 2001, p. 1012, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 12 juillet 2010, n° 09-15.182, FS-P+B (N° Lexbase : A6782E4X).
(2) CA Montpellier, 6 mai 2015, n° 12/02135 (N° Lexbase : A7331NHY).
(3) CA Angers, 17 décembre 2015, n° 13/02031 (N° Lexbase : A9163NZE).
(4) Cass. soc., 28 octobre 2015, n° 14-16.115, FS-P+B (N° Lexbase : A5287NUD).
(5) Cass. soc., 16 décembre 2015, n° 14-11.294, FS-P+B (N° Lexbase : A8705NZG) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 639, 2016 (N° Lexbase : N0779BWR).
(6) Cass. soc., 14 septembre 2016, n° 15-11.386, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7920RZD) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 670, 2016 (N° Lexbase : N4436BW9).
(7) Cass. soc., 27 janvier 2015, trois arrêts, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3401NA9), n° 13-25.437, FS-P+B (N° Lexbase : A6934NA3) et n° 13-14.773, FS-P+B (N° Lexbase : A7024NAE) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 600, 2015 (N° Lexbase : N5806BUL) ; Dr. soc., 2015, p. 237, étude A. Fabre ; RDT, 2015, p. 339, obs. E. Peskine.
(8) Cass. soc., 3 novembre 2016, n° 15-18.844, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4697SCX).
(9) Sauf en matière de durée du travail et de congés où l'exigence d'un accord majoritaire (plus de 50 %, ou de 30 % avec ratification par la majorité des salariés) s'applique depuis le 1er janvier 2017 ; loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C), art. 21, IX.
(10) C. trav., art. L. 1233-24-1 (N° Lexbase : L0630IXM).
(11) En toute hypothèse c'est le juge administratif qui doit apprécier le respect de ce principe pour les plans élaborés depuis la loi de sécurisation de l'emploi, ce qui n'était pas le cas ici.
Décisions
1/ Cass. soc., 29 juin 2017, n° 15-21. 008, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1625WLR) Cassation (CA Montpellier, 6 mai 2015, n° 12/02135 N° Lexbase : A7331NHY) 2/ Cass. soc., 29 juin 2017, n° 16-12.007, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1626WLS) Cassation (CA Angers, deux arrêts, 17 décembre 2015, n° 13/01983 N° Lexbase : A9181NZ3 et n° 13/02031 N° Lexbase : A9163NZE) Textes concernés : Néant. Mots clés : principe d'égalité de traitement ; procédures de licenciement économique collectif ; PSE successifs. Lien base : (N° Lexbase : E9336ESL). |
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