Réf. : Cass. civ. 1, 3 février 2011, n° 08-14.402, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2358GRR)
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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au barreau de Montpellier
le 24 Mars 2011
Le droit de la consommation bouscule, en effet, en certaines hypothèses la conception classique du rapport contractuel et l'inscrit dans un rapport de masse : le contrat, d'adhésion, n'est plus envisagé de manière individuelle, considéré comme un échange de consentements entre les contractants, mais comme un rapport économique multiple où un certain nombre de personnes donnent leur consentement à un contrat proposé par une autre. Dans un but en quelque sorte prophylactique, le législateur a permis la mise en oeuvre d'actions préventives : si mieux vaut prévenir que guérir, mieux vaut retirer une clause abusive d'un modèle de contrat que réputer non écrite une clause présentée comme telle par un consommateur et maintenir de fait d'autres consommateurs dans un lien contractuel qu'ils considèrent à tort comme licite.
S'opposerait, alors, dans l'interprétation des rapports de consommation une conception singulière du droit des contrats, mais classique, où le contrat ne peut être envisagé que comme la rencontre de deux volontés spécifiques, et une conception plus complexe où le contrat est également considéré comme un modèle économique : dès lors, s'il existe une stipulation contractuelle contestable dans la première conception, la révision ne portera qu'au profit de celui qui a saisi le juge, alors que, dans la seconde, elle sera généralisée.
L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation ici commenté, en date du 3 février 2011, serait à classer dans la seconde conception, bien plus proche à notre sens de la volonté du législateur. L'arrêt est d'importance : au regard de sa publication bien sûr (FS-P+B+R+I), mais également de ses conséquences pratiques et des nécessités de réforme processuelle qu'il pourrait dévoiler. Deux questions étaient en l'occurrence posées, tant à la Cour de cassation qu'aux juridictions préalablement saisies : la clause litigieuse devait-elle être réputée non écrite et une association de consommateurs avait-elle, dans le cas d'espèce, qualité pour agir ? C'est sur la seconde question que l'arrêt ici commenté est le plus pertinent et la question de la licéité de la clause sera donc rapidement évoquée pour insister sur le rôle des associations de consommateurs dans la protection des intérêts de ces derniers. Car, dans cette affaire, l'action était engagée, par une association de consommateurs contre un organisme de représentation des professionnels du secteur (une association de type "loi 1901") mais qui n'était aucunement en relation avec les consommateurs.
1. L'illicéité de la clause d'interdiction d'animaux domestiques
Etait en cause dans cet arrêt une clause expressément interdite, non pas par les dispositions du Code de la consommation relatives aux clauses abusives, mais par l'article 10. I de la loi n° 70-598 du 9 juillet 1970 (modifiant et complétant la loi du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel N° Lexbase : L4772AGT). Cet article dispose que "est réputée non écrite toute stipulation tendant à interdire la détention d'un animal dans un local d'habitation dans la mesure où elle concerne un animal familier. Cette détention est toutefois subordonnée au fait que ledit animal ne cause aucun dégât à l'immeuble ni aucun trouble de jouissance aux occupants de celui-ci". L'action engagée visait la suppression d'une clause d'interdiction d'animaux domestiques dans des locations saisonnières. La cour d'appel avait admis le caractère illicite de cette clause, ce que contestaient évidemment les défendeurs à l'action. Selon le pourvoi, la loi de 1970 ne visait que les locaux d'habitation, à l'exclusion donc des locations saisonnières. La Cour de cassation rejette le moyen ici soulevé, considérant que "les dispositions impératives de l'article 10-1 de la loi du 9 juillet 1970 s'appliquent, par la généralité de leurs termes, aux locations saisonnières qui portent sur des contrats de location". La loi portait, certes, modification de la loi de 1948 sur les baux d'habitation, argument qui permettait de restreindre le champ d'application des dispositions de l'article 10-1, mais l'article en lui-même visait bien, dans une rédaction particulièrement large "un local d'habitation" et donc tout immeuble à louer pour un usage personnel. La question pourra in fine se poser d'une nouvelle extension du champ d'application de ces dispositions à d'autres logements temporaires, même si cette extension se révélerait plus audacieuse encore : on pourrait citer les mobil-homes, les cabanes et autres habitats démontables, ou bien encore les chambres d'hôtels (dans cette dernière hypothèse, le trouble des voisins de chambre justifierait, nous semble-t-il, néanmoins une interdiction).
Il convient d'ajouter ici que seules les dispositions de la loi de 1970 permettaient, en l'espèce, de réputer la clause non écrite, celle-ci ne pouvant, en effet, être qualifiée de clause abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation qui ne vise que les stipulations créant un déséquilibre significatif au détriment du consommateur. Or, tel n'était sans doute pas le cas ici, même si le consommateur se voyait imposer une restriction d'usage du bien qu'il louait.
2. La qualité à agir de l'association
Si la clause pouvait être réputée non écrite, était-il pour autant possible à une association de consommateurs d'engager une action en suppression de celle-ci ? En principe oui, puisque l'article L. 421-6 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6513ABT) dispose, depuis la loi "Royer" de 1973 (loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 N° Lexbase : L6622AGD), que les associations qualifiées (2) "peuvent agir devant la juridiction civile pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard des dispositions transposant les Directives mentionnées à l'article 1er de la Directive [98/27 du 19 mai 1998 N° Lexbase : L9967AUP] ; le juge peut à ce titre ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d'une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur". L'action est donc ouverte non seulement contre les clauses abusives au visa de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, mais également de toutes autres clauses simplement illicites visées par d'autre dispositions (y compris en dehors le Code de la consommation), comme ici la loi de 1970 précitée.
La cour d'appel de Grenoble avait partiellement reconnu la recevabilité de l'action engagée par l'association de consommateur, ce que contestait le pourvoi. Pour les demandeurs au pourvoi en effet (un organisme de représentation de professionnels), est "irrecevable la demande d'une association de consommateurs contre l'association éditrice d'un modèle de contrat de location saisonnière entre un non professionnel et un particulier comportant une clause prétendument illicite dès lors que cette association ne propose pas elle-même ce contrat aux consommateurs et n'est pas partie à ce contrat de location saisonnière". L'argument était intéressant, il a néanmoins été rejeté au regard des impératifs de protection des consommateurs et, nécessairement, de la rédaction on ne peut plus accueillante de l'article L. 421-6. L'argument du demandeur au pourvoi était que dans la mesure où il n'était pas partie aux contrats de location, il ne faisait que proposer des modèles de contrats aux loueurs professionnels qui eux étaient libres de reprendre la disposition critiquée ou de l'abandonner.
La cour d'appel l'avait suivi et retenu une conception très restrictive du professionnel estimant que seule l'entité économique qui retire un profit direct de son activité peut être ainsi qualifiée. La décision en cause considérait que ces "associations, ayant la qualité de professionnels participant à l'industrie du tourisme et des loisirs, n'effectuent aucune location et n'interviennent pas directement auprès des locataires et ajoute, par motifs adoptés, que l'absence de trace de leur intervention directe aux contrats de location saisonnière ne permet pas d'envisager que les consommateurs soient confrontés à ces associations en tant que victimes d'éventuels abus de leur part, faute de bénéficier de prestations effectives et rémunérées en tant que telles". En d'autres termes, à défaut d'intérêt direct à ces contrats, les associations professionnelles ne pourraient être assignées en justice en suppression des clauses incriminées.
Sur ce point précis, l'arrêt d'appel est cassé au vu du principe affirmé par la Cour de cassation dans le présent arrêt "l'action préventive en suppression de clauses abusives ouverte aux associations agréées de défense des consommateurs a vocation à s'appliquer aux modèles types de contrats destinés aux consommateurs et rédigés par des professionnels en vue d'une utilisation généralisé".
La possibilité de suppression d'une clause abusive dans un contrat-type n'a jamais été contestée, le Code de la consommation refusant depuis la loi "Royer" de ne considérer que les rapports singuliers de consommation. Une association de consommateurs a donc pu indiscutablement demander la suppression d'une clause réputée abusive dans un modèle de contrat présenté par un professionnel à ses futurs contractants. Toute autre est la question de la possibilité d'engager une action en suppression contre un rédacteur qui ne sera jamais le contractant du consommateur comme c'était le cas en l'espèce.
Une première jurisprudence de la Cour de cassation en 1999 semble, en revanche, avoir écarté cette possibilité en approuvant une cour d'appel qui avait "constaté que le contrat dont les clauses étaient critiquées avait été conclu entre des non-professionnels et que la société T., éditeur du modèle de contrat, n'avait elle-même conclu aucun contrat avec un consommateur, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'a pas ajouté aux conditions posées par la loi, a déclaré irrecevables les demandes formées par les associations et qui tendaient à la suppression de clauses dans le modèle édité par cette société" (3).
S'agit-il, pour autant, d'un revirement de jurisprudence important ? Il y a incontestablement deux différences importantes entre l'arrêt de 1999 et celui ici commenté : en 1999 l'association de consommateurs avait engagé une action contre une société d'édition qui proposait des modèles de contrat à tout un chacun, alors que dans ce dernier arrêt l'action visait un organisme de représentation des professionnels du secteur qui ne proposait ces clauses qu'à ses membres. L'éditeur n'avait donc qu'un lien bien indirect avec les consommateurs, alors que le lien de l'organisme du second arrêt était bien plus évident : il travaillait dans l'intérêt des professionnels contractants des consommateurs. Deuxième différence, les relations contractuelles qu'encadrait le modèle de contrat analysé en 1999 ne concernaient que des non-professionnels, ce qui excluait de droit la réglementation des clauses abusives qui nécessite pour trouver application la présence d'un professionnel.
La solution proposée par la Cour de cassation, en ce qu'elle ouvre les voies du contentieux, doit donc être approuvée. Elle permet, à la fois, bien évidemment une meilleure protection du consommateur mais aussi, de manière plus paradoxale, du professionnel dont les contrats peuvent être analysés plus en amont, avant même donc qu'ils ne soient proposés aux consommateurs. Car le pire, sans doute, pour le professionnel, n'est pas de voir un modèle de contrat révisé, mais bien d'être condamné à la révision d'un contrat déjà signé et en cours d'exécution.
Ce nouvel arrêt s'inscrit, par conséquent, dans un mouvement de renforcement de l'aspect préventif de l'article L. 421-6 du Code de la consommation. La Cour de cassation, généralisant la possibilité d'agir en justice contre tous les rédacteurs de clauses présentées comme abusives et présentées à des consommateurs, assure alors une action en amont, plus protectrice des consommateurs, ce dont il faut sans doute se réjouir.
L'action en cessation demeure néanmoins toujours limitée, même si le droit communautaire, transposé sur ce point en droit français en 2001 (ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 N° Lexbase : L2527ATR), a considérablement élargi son domaine (à l'origine cantonné aux seules clauses abusives). On n'échappera pas, sans aucun doute, à un nouvel élargissement des actions collectives et au débat sur l'introduction des "class actions", que vient de lancer la Commission européenne.
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