La lettre juridique n°424 du 20 janvier 2011 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Modalités de calcul du score électoral permettant de déterminer l'audience des organisations syndicales

Réf. : Cass. soc., 6 janvier 2011, deux arrêts, n° 10-17.653, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7331GNT) et n° 10-60.168, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7332GNU)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 24 Janvier 2011

Jusqu'à l'adoption de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), les élections professionnelles dans l'entreprise n'avaient d'autre objet que d'assurer la mise en place d'institutions représentatives du personnel. Depuis cette date, elles permettent, également, de mesurer l'audience électorale des syndicats afin de déterminer s'ils sont représentatifs et, a posteriori, d'apprécier les conditions de validité des accords collectifs de travail et des protocoles d'accords préélectoraux. Le rôle nouveau, ainsi conféré aux élections professionnelles, exigeait que soit précisé le mode de décompte des suffrages exprimés au premier tour de ces élections. Faute pour le législateur de l'avoir fait, c'est à la Cour de cassation qu'est revenu ce rôle. Par deux arrêts rendus le 6 janvier 2011, promis à la plus large des publicités, la Chambre sociale décide, en substance, que tout bulletin exprimé en faveur d'une organisation syndicale doit être pris en compte pour une unité, quand bien même le nom de certains candidats aurait été rayé.
Résumé

Le nombre de voix recueillies par les organisations syndicales à prendre en considération pour le décompte des suffrages exprimés en leur faveur est le nombre de suffrages exprimés au profit de chaque liste, sans qu'il y ait lieu, s'agissant de la mesure de la représentativité de ces organisations, de tenir compte d'éventuelles ratures de nom de candidats.

Observations

I - Le décompte des suffrages exprimés aux élections professionnelles

Nécessité

Depuis l'adoption de la loi du 20 août 2008, les élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement n'ont plus le même sens et la même portée qu'avant. Alors qu'antérieurement, elles n'avaient d'autre objet que la mise en place de représentants du personnel à ces niveaux, elles ont désormais deux autres finalités. Elles permettent, d'une part, de déterminer si une organisation syndicale est représentative et, d'autre part, leurs résultats conditionnent la validité des accords collectifs et des protocoles d'accords préélectoraux.

Pour être plus précis, un syndicat ne peut aujourd'hui prétendre à la représentativité dans l'entreprise ou l'établissement s'il n'a pas obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants (1).

S'agissant des conventions et accords collectifs, on sait que, pour être valides, ils doivent avoir été signés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives de salariés ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés et ne pas avoir fait l'objet d'une opposition d'une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés (2). La validité du protocole préélectoral est, quant à elle, subordonnée à sa signature par la majorité des organisations syndicales ayant participé à sa négociation, dont les organisations syndicales représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles ou, lorsque ces résultats ne sont pas disponibles, la majorité des organisations représentatives dans l'entreprise (3).

Au terme de ces brefs rappels, on mesure sans peine l'importance nouvelle accordée au score électoral obtenu par les syndicats au premier tour des élections. Restait à préciser le mode de décompte des suffrages exprimés.

Hésitations

Ainsi qu'il est précisé dans le communiqué de presse qui accompagne les deux arrêts sous examen, "pour décompter les suffrages exprimés en tant qu'ils déterminent le score pris en compte pour apprécier la représentativité, désormais mesuré à chaque élection, deux méthodes pouvaient être sérieusement envisagées : calculer la moyenne obtenue par chaque liste en tenant compte des éventuelles ratures du nom de certains candidats ou considérer que tout bulletin recueilli par une liste est un vote exprimé en faveur du syndicat qui l'a présenté quand bien même le nom de certains candidats aurait été rayé par l'électeur".

On sait que la première méthode est retenue par la jurisprudence afin de répartir le nombre de sièges à pourvoir lors des élections professionnelles. Il faut ici rappeler qu'en application du Code du travail, "il est attribué à chaque liste autant de sièges que le nombre de voix recueillies par elle contient de fois le quotient électoral" (4). Le nombre de voix recueillies par chaque liste est la moyenne des voix obtenues par les candidats de la liste, c'est-à-dire le total des voix obtenues par chaque candidat, divisé par le nombre de candidats de chaque liste (5). Lorsque certains noms de la liste ont été rayés, il convient de diviser le nombre total des voix obtenues par tous les candidats de la liste par le nombre de candidats figurant sur la liste (6).

II - Le mode de décompte des suffrages exprimés

La solution retenue

Dans l'arrêt rendu sous le numéro de pourvoi 10-17.653, les juges du fond avaient appliqué au décompte des suffrages la méthode en vigueur pour l'attribution des sièges. En l'espèce, un protocole préélectoral avait été signé, en mars 2010, par l'employeur et six des sept organisations syndicales invitées à la négociation. Le syndicat CGT, non signataire, avait saisi le tribunal d'instance pour qu'il soit constaté que le protocole n'était pas valide en ce que lui-même ayant obtenu 82,91 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles, la double condition de majorité n'étant pas remplie. Les juges du fond avaient écarté la contestation du syndicat CGT. Après avoir énoncé que, s'agissant d'un scrutin de liste, le nombre de voix obtenu par une liste est égal au total des voix obtenues par chaque candidat divisé par le nombre de candidats figurant sur la liste, ils avaient relevé que la liste de la CGT comportait six candidats et avait totalisé 1606 voix soit, compte tenu des modalités de calcul rappelées précédemment, 267,66 voix, de sorte que la majorité de 286 voix n'était pas atteinte.

Les magistrats du premier degré avaient retenu une méthode différente dans la décision rendue sous le pourvoi n° 10-60.168. Etait en cause, en l'espèce, la désignation d'un délégué syndical Force ouvrière au sein d'un établissement. Pour débouter l'employeur de sa demande d'annulation de cette désignation, le jugement attaqué avait retenu que, lors du premier tour des élections des membres titulaires du comité d'entreprise de la société, si la liste présentée par le syndicat CGT-FO avait obtenu vingt-huit voix, les trois candidats avaient recueilli, à eux tous, 84 voix, soit un score supérieur à 10 % des 320 suffrages valablement exprimés en faveur des listes (7).

Ces deux décisions sont censurées par la Cour de cassation au visa de l'article L. 2324-4-1 (N° Lexbase : L3764IBZ) pour la première et de l'article L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) pour la seconde. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, dans ces deux arrêts "le nombre de voix recueillies par les organisations syndicales à prendre en considération pour le décompte des suffrages exprimés en leur faveur est le nombre de suffrages exprimés au profit de chaque liste, sans qu'il y ait lieu, s'agissant de la mesure de la représentativité de ces organisations, de tenir compte d'éventuelles ratures de noms de candidats".

Il faut, ici, comprendre que "tout bulletin exprimé en faveur d'une organisation syndicale doit être pris en compte pour une unité, quand bien même le nom de certains candidats aurait été rayé" (8). Cette solution doit être pleinement approuvée et on est tenté de dire que, contrairement à ce qui est affirmé dans le communiqué de la Cour de cassation, l'autre méthode ne pouvait à notre sens être "sérieusement" envisagée. Ainsi que le souligne à très juste titre ce même communiqué, "il ne s'agit plus, en effet, de savoir combien une liste aura d'élus et qui seront ces élus, mais d'apprécier l'audience de chaque organisation syndicale indépendamment du nombre de sièges qu'elle obtiendra après mise en oeuvre des règles gouvernant le scrutin proportionnel et la détermination de la personne des élus".

La portée de la solution

La solution retenue, qui rejoint pleinement sinon la lettre à tout le moins l'esprit de la loi du 20 août 2008, confirme que les élections professionnelles dans l'entreprise ont bien désormais une fonction duale. Si, comme antérieurement, elles permettent la mise en place de représentants du personnel, elles tendent aussi à assurer la légitimité des organisations syndicales et, au-delà, des accords collectifs et protocoles préélectoraux conclus par eux (9).

A cet égard, il est évident qu'antérieurement aux élections, il appartiendra aux représentants des syndicats, et singulièrement au représentant de la section syndicale et au délégué syndical, de bien expliquer aux salariés le sens nouveau que revêtent les élections professionnelles. Il n'est toutefois pas certain que cela influe sur la tendance, au demeurant légitime, des salariés de voter pour des personnes plutôt que pour des "étiquettes" syndicales, spécialement dans les petites structures.

Dans le prolongement de ce qui vient d'être dit et d'un point de vue plus juridique, une dernière question doit être posée. La Cour de cassation a, par le passé, pu juger que si tous les noms de la liste sont rayés, le bulletin est considéré comme un bulletin blanc (10). On est en droit de se demander si cette solution doit être maintenue s'agissant de la mesure de l'audience des syndicats. Il est en effet concevable qu'un salarié se sentant proche d'un syndicat, tout en étant hostile aux candidats présentés, entende donner sa voix à ce syndicat, au titre de la mesure de l'audience, tout en rayant tous les noms des candidats qu'il ne souhaite pas voir élu.

Considérer qu'un tel bulletin est blanc conduit à écarter le suffrage donné à l'organisation syndicale, ceci pouvant être critiqué. Afin de tenir compte de la dualité des fonctions que revêtent les élections professionnelles, il serait légitime que ce bulletin, considéré comme blanc pour l'élection des représentants du personnel, soit pris en compte pour la mesure de l'audience du syndicat. Si cette solution était retenue, elle obligerait en quelque sorte à un double dépouillement, à tout le moins si le quorum est atteint au premier tour (11). Dans le cas contraire, il n'y aurait guère de difficultés à mette en oeuvre cette solution étant entendu que le dépouillement, nécessaire afin de mesurer l'audience des syndicats, ne peut avoir de conséquences sur la mise en place des élus.

On peut penser que la Cour de cassation sera à terme saisie de cette question. Il n'est toutefois pas certain qu'elle écarte la solution retenue dans sa décision de 1987 et admette qu'un bulletin dont tous les noms ont été rayés doit tout de même être pris en compte pour la mesure de l'audience et elle-seule. Ainsi que nous avons pu le relever précédemment, il est précisé dans le communiqué accompagnant les arrêts rapportés que "tout bulletin exprimé en faveur d'une organisation syndicale doit être pris en compte pour une unité, quand bien même le nom de certains candidats aurait été rayé" (nous soulignons). Mais il est vrai qu'il ne s'agit que d'un communiqué...


(1) C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9). Seuil ramené à 8 % dans les branches (C. trav., art. L. 2122-5 N° Lexbase : L1857IN4) et au niveau interprofessionnel (C. trav., art. L. 2122-9 N° Lexbase : L1859IN8).
(2) C. trav., art. L. 2232-2 (N° Lexbase : L8409INR), L. 2232-6 (N° Lexbase : L1876INS) et L. 2232-12 (N° Lexbase : L3770IBA).
(3) C. trav., art. L. 2324-4-1 (N° Lexbase : L3764IBZ). Rappelons que le législateur n'en a pas moins maintenu, sur d'autres points, la règle de l'unanimité.
(4) Le quotient électoral est égal au nombre total des suffrages valablement exprimés par les électeurs du collège, divisé par le nombre de sièges à pourvoir (C. trav., art. R. 2314-22 N° Lexbase : L0418IAQ et R. 2324-18 N° Lexbase : L0230IAR).
(5) Ainsi, si 5 sièges sont à pourvoir et que le nombre de bulletins valables de la liste complète (aucun nom n'a été rayé) est de 103, la moyenne de la liste est de (103 x 5) / 5 = 103 (ex. pris dans Liaisons soc., coll. numéros juridiques, Elections des représentants du personnel, § 219).
(6) Le Code du travail envisage uniquement la rature des noms des candidats au stade de la proclamation des élus (C. trav., art. L. 2314-24 N° Lexbase : L3759IBT et L. 2324-22 N° Lexbase : L3748IBG). Il n'en demeure pas moins que, ce faisant, la loi admet une telle faculté.
(7) Les juges du fond s'étaient donc bornés à additionner les suffrages obtenus par chaque candidat de la liste.
(8) Communiqué de presse de la Cour de cassation accompagnant les deux arrêts commentés.
(9) En revanche, dans les entreprises de moins de onze salariés, les élections organisées en vertu de la loi n° 2010-1215 du 15 octobre 2010 (N° Lexbase : L1846INP), complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) n'ont d'autres objets que de permettre de mesurer l'audience des syndicats, étant entendu que les salariés ne voteront que pour des "étiquettes" syndicales.
(10) Cass. soc., 7 mai 1987, n° 86-60.357 (N° Lexbase : A7821AAW) ; Bull. civ. V, n° 282.
(11) Un premier dépouillement destiné à mesurer l'audience des syndicats, dans lequel les bulletins dont tous les noms sont rayés doivent être pris en compte, un second, destiné à déterminer les candidats élus dans lequel ces mêmes bulletins sont déclarés blancs.

Décisions

Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 10-17.653, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7331GNT)

Cassation de TI Strasbourg, 7 mai 2010

Texte visé : C. trav., art. L. 2324-4-1 (N° Lexbase : L3764IBZ)

Mots-clefs : protocole d'accord préélectoral, conditions de validité, signature par le syndicat majoritaire, mode de décompte des suffrages exprimés.

Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 10-60.168, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7332GNU)

Cassation de TI Clermont-Ferrand, 4 mars 2010

Texte visé : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9)

Mots-clefs : syndicat, représentativité, audience électorale, mode de décompte des suffrages exprimés.

Liens base : (N° Lexbase : E1798ETR)

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