La lettre juridique n°424 du 20 janvier 2011 : Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut Universitaire de France - Janvier 2011

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[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut Universitaire de France - Janvier 2011. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3569712-chroniquelachroniquedeprocedureciviledbetiennevergesprofesseuraluniversitedegrenoblem
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le 30 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. A l'honneur de cette chronique, tout d'abord, la décision rendue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 7 janvier 2011, qui pose l'application du principe de loyauté des preuves devant le Conseil de concurrence (Ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316, P+B+R+I). L'auteur s'est ensuite arrêté sur un arrêt rendu par la première chambre civile à propos de la notion de trouble manifestement illicite dans le cadre d'une procédure en référé (Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-12.686, F-P+B+I). Deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile ont également retenu l'attention de l'auteur : une décision du 10 novembre 2010, qui vient préciser que les parties qui n'ont pas soulevé une exception de nullité devant le juge de la mise en état ne sont plus recevables à la soulever ultérieurement (Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 08-18.809) ; une décision du 21 octobre 2010, qui relève le pouvoir du notaire de conférer force exécutoire à une transaction (Cass. civ. 2, 21 octobre 2010, n° 09-12.378, F-P+B). Enfin, trois décisions rendues par la première chambre civile en matière d'arbitrage méritaient d'être signalées (Cass. civ. 1, 30 octobre 2010, deux arrêts n° 09-68.997, FS-P+B+R+I et n° 09-68.131, FS-P+B+R+I et Cass civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-10.530, FS-P+B+I). I. Sources de la procédure civile : le Code de procédure civile devant les autorités administratives indépendantes
  • Par principe, les règles du Code de procédure civile s'appliquent devant l'Autorité de la concurrence sauf dérogation expresse prévue par le Code de commerce. L'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve (Ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316, P+B+R+I N° Lexbase : A7431GNK)

L'application du Code de procédure civile -et plus particulièrement des principes directeurs du procès civil- aux autorités administratives indépendantes est une question particulièrement délicate. Certaines des ces autorités prennent des décisions individuelles de sanction contre des acteurs économiques. Ces sanctions sont susceptibles de recours devant le juge judiciaire et de pourvoi en cassation devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation. C'est le cas des sanctions pécuniaires prononcées par l'Autorité des marchés financiers et, comme dans l'espèce étudiée, par le Conseil de la concurrence, devenue Autorité de la concurrence.

Dans les faits, une société A. avait saisi le Conseil de la concurrence pour dénoncer des actes anti-concurrentiels (ententes sur les prix) commis par les sociétés S. et P. dans la distribution de produits électroniques grands publics. Pour établir la réalité de ces ententes, la société demanderesse avait produit en justice des enregistrements de communications téléphoniques. Le Conseil de la concurrence avait alors prononcé d'importantes sanctions pécuniaires contre les sociétés mises en cause.

On sait, depuis l'arrêt de principe rendu par la deuxième chambre civile le 7 octobre 2004 (1), que la production en justice d'enregistrements téléphoniques à l'insu de la personne constitue un procédé déloyal, contraire, tant à l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D), qu'à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).

L'application de cette jurisprudence à la procédure devant une autorité administrative indépendante n'est pas évidente. D'une part, l'application des dispositions du Code de procédure civile à la procédure devant les AAI n'est prévue par aucun texte. D'autre part, l'Autorité des marchés financiers et l'Autorité de la concurrence prononcent des sanctions pécuniaires relevant plus de la matière pénale que de la matière civile. Il convient donc de se demander si les principes de procédure pénale n'ont pas vocation à s'appliquer à ce type de contentieux. En matière d'enregistrement de conversations téléphoniques, la Chambre criminelle adopte d'ailleurs une position particulièrement permissive à l'égard des parties privées en admettant la production de toutes les preuves, même obtenues par un procédé déloyal (2).

Cette complexité a conduit la Cour de cassation à se prononcer à deux reprises dans l'espèce qui nous est soumise. Ainsi, la question est aujourd'hui tranchée dans un arrêt d'Assemblée plénière aussi solennel qu'explicite. Pour comprendre tous les aspects de cet arrêt, il est utile de remonter à l'origine de la procédure.

Dans un premier arrêt rendu par la cour d'appel de Paris (3), les juges du second degré avaient déclaré les enregistrements recevables. Cette décision se fondait, d'une part, sur l'autonomie procédurale dont bénéficie le Conseil (ou l'Autorité) de la concurrence à l'égard du droit judiciaire privé et, d'autre part, sur le caractère répressif de la procédure de sanction. Les enregistrements ayant été produits par une partie privée et non par les enquêteurs publics, la cour d'appel faisait alors application de la jurisprudence adoptée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Deux arguments de poids faisaient échapper la procédure devant le Conseil (Autorité) de la concurrence aux règles de la preuve civile : l'autonomie procédurale et le rattachement des sanctions pécuniaires à la matière pénale.

L'affaire fut portée devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui, dans un motif reproduisant celui de 2004, et au seul visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, censura la décision rendue en appel (4). La solution était cohérente. Quelle que fut l'autonomie procédurale du Conseil (Autorité) de la concurrence, la procédure était soumise aux principes du procès équitable. Selon la Cour de cassation, le principe de loyauté dans la recherche des preuves se rattache au droit au procès équitable. L'enregistrement effectué à l'insu de la personne écoutée était donc irrecevable, que la matière soit civile ou pénale. Mais la Chambre commerciale ne se prononçait, ni sur l'autonomie procédurale de la procédure en matière d'atteinte à la concurrence, ni sur le rattachement aux règles de la preuve civile.

La cour de renvoi (5), oubliant l'article 6 § 1, poursuivit une analyse fondée sur la spécificité de la procédure devant le Conseil (Autorité) de la concurrence. Dans un motif très détaillé, elle affirma que "les dispositions du Code de procédure civile, qui ont essentiellement pour objet de définir les conditions dans lesquelles une partie peut obtenir du juge une décision sur le bien-fondé d'une prétention dirigée contre une autre partie et reposant sur la reconnaissance d'un droit subjectif, ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence qui, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, exerce des poursuites à fins répressives le conduisant à prononcer des sanctions punitives". La dimension répressive du contentieux de la concurrence faisait ainsi échapper cette procédure aux dispositions du Code de procédure civile sur la licéité des preuves (C. pr. civ., art. 9). Mais les principes de la Convention européenne des droits de l'Homme étaient passés sous silence.

La résistance des juges du fond provoqua la saisine de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. La Haute juridiction a saisi cette occasion pour se prononcer, tant sur le principe de loyauté de la preuve, sur les sources de ce principe, et plus généralement sur les relations entre la procédure devant les juridictions civiles et celle devant les autorités administratives indépendantes.

L'Assemblée plénière reconnaît, d'abord, dans son visa, l'existence d'un "principe de loyauté dans l'administration de la preuve" (6). Ce principe est cité aux côté de l'article 9 du Code de procédure civile (les preuves doivent être recherchées conformément à la loi) (7) et de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. L'arrêt de 2004 précité ne visait que les deux textes. La loyauté de la preuve se trouve, à notre connaissance, pour la première fois citée de façon autonome dans le visa d'un arrêt de cassation. Il n'en reste pas moins que, dans le sillage de l'arrêt de 2004, le principe de loyauté se rattache, tant au Code de procédure civile, qu'à l'article 6 § 1 de la CESDH (8).

Dans son chapeau, l'arrêt de l'Assemblée plénière précise également que, "sauf disposition expresse contraire du Code de commerce, les règles du Code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence". Cette formule explicite est tout à fait nouvelle. Elle permet de rattacher aux règles de procédure civile, l'ensemble du contentieux des autorités administratives indépendantes dont les recours sont portés devant les juridictions judiciaires. Selon la Cour de cassation, le contentieux de la concurrence, même à dimension répressive, est un contentieux commercial qui relève de la compétence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, et qui est soumis aux règles du Code de procédure civile. Ce principe ne subit de dérogations, que si elles sont expressément prévues par le Code de commerce. L'Assemblée plénière confère au Code de procédure civile la vocation d'un véritable droit commun procédural. La solution est originale à l'époque où le droit commun tend à se manifester, non pas à travers la procédure civile, mais à travers les principes communs à tous les procès, que l'on rassemble sous l'expression de "droit processuel". Mais la solution présente le mérite de la clarté. Il n'existe pas de procédure totalement autonome lorsqu'une décision est susceptible de recours devant le juge judiciaire. Si les textes spécifiques définissent des procédures autonomes (devant les autorités administratives indépendantes, devant les ordres professionnels, etc.), les règles du Code de procédure civile et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (9), s'appliquent comme un droit commun procédural.

L'Assemblée plénière fait alors application de ce droit commun à l'espèce en considérant que "l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve". Le motif est désormais classique et il permet de déclarer irrecevables les enregistrements qui ont servi de fondement aux sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil (Autorité) de la concurrence. Par ailleurs, le communiqué de presse de la Cour de cassation précise qu'en visant l'article 9 du Code de procédure civile, l'Assemblée plénière a souhaité rappeler la distinction entre l'application du principe de loyauté à la matière civile (irrecevabilité des enregistrements obtenus de façon déloyale) et à la matière pénale (ce principe ne s'étend pas aux preuves apportées par des personnes privées).

Sans autre preuve pour corroborer les enregistrements, la juridiction de renvoi devrait logiquement infirmer les condamnations qui ont été prononcées par le Conseil (Autorité) de la concurrence. Empreint de dogmatisme procédural, le communiqué de presse indique ainsi que "si les enjeux économiques ne doivent pas être ignorés du juge, ils ne peuvent cependant le détourner de l'obligation de statuer suivant les principes fondamentaux qui fondent la légitimité de son action". Les géants de l'électronique s'en sortent bien. Leur insistance à faire respecter les droits fondamentaux leur permet d'échapper à une sanction de seize millions d'euros chacun !

II. Référé - notion de trouble manifestement illicite

  • L'exploitation d'un supermarché malgré l'annulation de l'autorisation administrative constitue un trouble manifestement excessif (Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-12.686, F-P+B+I N° Lexbase : A2207GBD)

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 6 octobre 2010, n'est peut-être pas un arrêt de principe, mais, ayant fait l'objet d'une publication au Bulletin et sur le site de la Cour de cassation, il mérite d'être signalé dans cette chronique.

L'article 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K) confie au juge des référés de très larges pouvoirs pour prendre "les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent", notamment pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Cette dernière expression est quelque peu ambiguë. S'il est possible d'identifier sans difficulté une situation illicite, il est plus délicat de dire que cette situation est "manifestement" illicite et plus encore, qu'elle génère un "trouble manifestement illicite". Ce concept d'illicéité manifeste fait donc l'objet d'une jurisprudence abondante et donne, une nouvelle fois, à la Cour de cassation l'occasion d'en préciser les contours.

Dans l'espèce étudiée, la commission départementale d'équipement commercial avait autorisé une société commerciale à créer un supermarché. Par la suite, cette décision fut attaquée devant les juridictions administratives. Le juge administratif des référés ordonna la suspension de l'autorisation, puis cette autorisation fut annulée (10). Une action fut intentée parallèlement devant le juge civil des référés, lequel ordonna la fermeture du supermarché sous astreinte. A la suite d'une longue procédure, ponctuée d'une première décision rendue en appel et d'un arrêt de cassation, l'affaire fut portée devant une cour d'appel de renvoi. Cette dernière considéra que l'annulation de la décision administrative autorisant la création du supermarché avait pour effet de rendre l'exploitation de ce commerce illicite.

Cette solution est reprise par la Cour de cassation qui considère que l'exploitation d'un supermarché sans autorisation (ou en vertu d'une autorisation annulée) caractérise l'existence d'un trouble manifestement illicite. Le juge civil des référés était donc fondé à ordonner la fermeture de cet établissement sous astreinte.

III. Nullité durant la mise en état : moment pour soulever la nullité

  • Les parties qui n'ont pas soulevé une exception de nullité devant le juge de la mise en état ne sont plus recevables à la soulever ultérieurement (Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 08-18.809 N° Lexbase : A8960GGX)

L'article 771 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6999H7D) définit la compétence exclusive du juge de la mise en état. Cette règle a pour conséquence d'exclure les compétences concurrentes durant la période de saisine du JME. C'est l'hypothèse classique d'exclusion de la compétence du juge des référés, notamment pour ordonner une mesure d'instruction. Par ailleurs, le JME est seul compétent, jusqu'à son dessaisissement pour statuer sur les exceptions de procédure. Depuis le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3298HEU), l'article 771 du Code de procédure civile prévoit que les parties ne sont plus recevables à soulever les exceptions de procédure ultérieurement, à moins qu'elles ne surviennent ou ne soient révélées postérieurement.

L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile est le premier qui fait application de cette modification procédurale importante. Les faits de l'espèce sont assez simples. Une société avait assigné devant le tribunal de grande instance plusieurs défendeurs qui ont soulevé la nullité de l'assignation pour défaut de constitution d'avocat. Cette exception, soulevée tardivement devant le tribunal, a été écartée par ce dernier et cette décision a été confirmée par la cour d'appel.

Les défendeurs ont alors formé un pourvoi en cassation en invoquant que le défaut de constitution d'avocat constituait une nullité pour vice de fond, laquelle pouvait être soulevée en tout état de cause en vertu de l'article 118 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1406H4T). La règle de l'article 118 ferait ainsi obstacle à la compétence exclusive du juge de la mise en état et permettrait de soulever une nullité pour vice du fond devant la juridiction du fond.

La Cour de cassation n'a pas été convaincue par cette argumentation. Après avoir rappelé la règle de l'article 771 du Code de procédure civile, elle affirme "qu'ayant exactement retenu que la demande de nullité de l'assignation pour défaut de constitution d'avocat était une exception de procédure, et relevé que cette demande n'avait pas été présentée au juge de la mise en état avant son dessaisissement postérieur à l'entrée en vigueur du texte susvisé, la cour d'appel a justement déclaré la demande irrecevable".

La deuxième chambre civile ne procède donc pas à la distinction suggérée par le pourvoi. Les nullités pour vice de fond peuvent être soulevées en tout état de cause, mais elles doivent être soulevées devant la juridiction compétente. Il y a là une dérogation notable au principe de l'article 118 du Code de procédure civile justifiée, on le comprend, par une volonté d'efficacité procédurale. Il s'agit d'éviter que les parties ne soulèvent ces exceptions de façon tardive pour dissuader l'adversaire d'engager une nouvelle procédure après régularisation. Il s'agit également de faire en sorte que l'affaire soit réellement en état d'être jugée, c'est-à-dire purgée de ses vices éventuels, lors du prononcé de l'ordonnance de clôture.

La décision rendue le 10 novembre 2010 est donc importante car elle indique qu'aucune exception de procédure n'échappe à la règle rigoureuse imposée par l'article 771 du Code de procédure civile.

IV. Force exécutoire

  • Les dispositions de l'article 1441-4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6405H7D) ne font pas obstacle à ce qu'une transaction soit reçue par un notaire et que celui-ci lui confère force exécutoire (Cass. civ. 2, 21 octobre 2010, n° 09-12.378, F-P+B N° Lexbase : A4170GCG)

Le décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 (N° Lexbase : L2924AI7) a introduit dans le Code de procédure civile un article 1441-4 (N° Lexbase : L6405H7D), qui permet au président du tribunal de grande instance, saisi sur requête, de conférer la force exécutoire à une transaction qui lui est présentée. Cette disposition, inspirée du rapport "Coulon", était empreinte d'une volonté de favoriser la résolution des litiges en créant une procédure d'exequatur des transactions conclues par acte sous seing privé. Auparavant, l'obtention d'un titre exécutoire nécessitait la conclusion ou le dépôt de la transaction devant notaire (11). En effet, l'acte authentifié par le notaire constitue un titre exécutoire (12).

Dans l'arrêt étudié, qui fait l'objet d'une publication au Bulletin, le bailleur d'un terrain était en conflit avec le preneur et le premier s'adressa au tribunal paritaire des baux ruraux en vue d'obtenir la résiliation du bail. Durant la procédure, une transaction sous seing privé fut conclue entre les parties, qui prévoyait la résiliation du bail rural contre une indemnité d'éviction. Cette transaction fut déposée par les parties au rang des minutes d'un notaire. Sur la base de ce dépôt, le preneur demanda l'exécution forcée de la transaction et fit procéder à une saisie-attribution pour obtenir le montant de l'indemnité d'éviction. Cette saisie fit l'objet d'un recours, mais le juge de l'exécution, comme la cour d'appel, déclarèrent la voie d'exécution régulière.

Dans son pourvoi, le bailleur invoquait l'article 1441-4 du Code de procédure civile. Il considérait que "les dispositions légales organisant des procédures particulières pour conférer force exécutoire à une transaction, ne permettent pas au dépôt d'un tel acte sous seing privé au rang des minutes d'un notaire de lui donner force exécutoire". Selon cette argumentation, la procédure d'exequatur d'une transaction conclue sous signature privée était exclusivement celle aménagée à l'article 1441-4 susvisé : l'acte juridictionnel.

La Cour de cassation rejette logiquement le pourvoi en affirmant que "les dispositions de l'article 1441-4 du Code de procédure civile ne font pas obstacle à ce qu'une transaction soit reçue par un notaire et que celui-ci lui confère force exécutoire". La force exécutoire de l'acte notarié ne concerne donc pas seulement la transaction conclue devant notaire, mais également celle reçue et authentifiée par lui a posteriori. La Haute juridiction en déduit que les parties "avaient déposé la transaction litigieuse au rang des minutes d'un notaire pour qu'elle acquière tous les effets d'un acte authentique et pour qu'il en soit délivré copie exécutoire". La cour d'appel a donc retenu à bon droit que la copie exécutoire de la transaction pouvait servir de fondement à la saisie.

En définitive, il existe trois manières de confier la force exécutoire à une transaction. Soit conclure le contrat devant notaire, soit déposer un contrat sous seing privé au rang des minutes d'un notaire, soit, enfin demander au président du TGI d'homologuer la transaction en vertu de l'article 1441-4 du Code de procédure civile.

V. Arbitrage

Trois décisions en matière d'arbitrage méritent d'être signalées.

En ce qui concerne l'impartialité de l'arbitre, la première chambre civile a rendu deux arrêts importants le 20 octobre 2010. Dans ces deux espèces, un litige avait donné lieu à la mise en oeuvre d'une procédure d'arbitrage. L'une des parties avait désigné un arbitre à qui elle avait l'habitude de confier ses litiges.

La Cour de cassation estime que "le caractère systématique de la désignation d'une personne donnée par les sociétés d'un même groupe, sa fréquence et sa régularité sur une longue période, dans des contrats comparables, ont créé les conditions d'un courant d'affaires entre cette personne et les sociétés du groupe parties à la procédure de sorte que l'arbitre était tenu de révéler l'intégralité de cette situation à l'autre partie à l'effet de la mettre en mesure d'exercer son droit de récusation".

Ainsi, le fait de désigner régulièrement le même arbitre crée, selon la Cour de cassation, un "courant d'affaires" susceptible de porter atteinte à l'impartialité de l'arbitre. Au visa des articles 1484-2° (N° Lexbase : L6449H7Y) et 1452, alinéa 2, (N° Lexbase : L6416H7R) du Code de procédure civile, la Haute juridiction considère que l'arbitre qui a connaissance d'une cause de récusation à son égard doit en informer la partie susceptible d'en être victime. L'arbitre ne peut alors siéger qu'avec l'accord de cette partie. Dans le cas contraire, le tribunal arbitral est irrégulièrement composé et ce vice procédural peut fonder un recours en annulation contre la sentence.

On retiendra donc de ces arrêts importants publiés sur le site de la Cour de cassation qu'un arbitre régulièrement désigné par une partie doit signaler cette cause de récusation à l'adversaire et ne peut siéger qu'avec l'accord de ce dernier.

Une troisième décision qui a les honneurs de la publication internet a été rendue en matière d'annulation d'une sentence arbitrale. En l'espèce, un contrat prévoyant la création d'une holding comportait une convention d'arbitrage. A la suite d'un litige entre associé, une procédure longue et complexe donna lieu à plusieurs sentences arbitrales. L'une d'entre-elles, qui avait constaté la prescription de l'action en demande, fut attaquée par la voie d'un recours en annulation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant "qu'aucune méconnaissance de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme n'étant caractérisée et aucune violation de l'ordre public international qui imposerait qu'elle fût flagrante, effective et concrète, n'étant établie", la sentence arbitrale ne pouvait pas faire l'objet d'un recours en annulation. La première chambre civile a constaté que l'auteur du pourvoi sollicitait la révision au fond de la sentence, laquelle échappait au juge de l'annulation.

L'arrêt est intéressant à plusieurs titres. Il revient sur la distinction entre l'annulation de la décision, voie de recours destinée à contrôler la conformité de la sentence aux règles essentielles de la procédure et l'appel, véritable voie de réformation. Par ailleurs, la Cour de cassation juxtapose la violation de l'ordre public international et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Elle suggère ainsi que cette stipulation peut être rattachée à l'ordre public international et qu'une violation du droit au procès équitable peut donner lieu à un recours en annulation contre une décision d'arbitrage international. Cette conception de l'ordre public international s'accorde avec l'extension continue du champ d'application de l'article 6 de la CESDH à l'ensemble des procédures, comme on a pu le voir au début de cette chronique.

Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut Universitaire de France


(1) Cass civ. 2, 7 octobre 2004, n° 03-12.653, FS-P+B (N° Lexbase : A5730DDL), Bull. civ. II, n° 447, D., 2005, p. 122, note Ph. Bonfils.
(2) Cette jurisprudence constante est bien connue, elle est décrite dans tous les manuels de procédure pénale. Parmi tant d'autres, cf. nos obs., Procédure pénale, Litec, 2007, p. 76, n° 101.
(3) CA Paris, 1ère ch., sect. H, 19 juin 2007, n° 2006/00628 (N° Lexbase : A8544DWD).
(4) Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-17.147, FS-P+B (N° Lexbase : A9362D8A).
(5) CA Paris, 1ère ch., sect. H, 29 avril 2009, n° 2008/11907 (N° Lexbase : A8480EG8).
(6) La formule "administration de la preuve" ne décrit, selon nous, aucune réalité juridique. Bien qu'elle soit utilisée par le Code de procédure civile et la majorité des auteurs, l'administration de la preuve est un concept ambigu. La preuve se recherche, se produit, se discute, s'apprécie. Mais les actes d'administration sont très peu nombreux en matière probatoire. Nous préférons parler plus sobrement de principe de loyauté des preuves : loyauté de la recherche, de la production, etc..
(7) C'est ce que nous appelons principe de licéité de la preuve car, en réalité, les preuves doivent être recherchées conformément au droit.
(8) Le communiqué de la Cour de cassation affirme "En statuant ainsi, la plus haute formation de la Cour de cassation marque son attachement au principe de la loyauté, qui participe pleinement à la réalisation du droit fondamental de toute partie à un procès équitable et s'applique en tout domaine, y compris en droit de la concurrence".
(9) Auxquels ont peut ajouter les principes de la procédure non exprimés dans un texte : loyauté des preuves, double degré de juridiction etc..
(10) CE 4° s-s., 19 octobre 2007, n° 305309 (N° Lexbase : A7995DYR).
(11) Cf. M. Menjucq, JurisClasseur Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 240, Régime de la réparation - Transaction, n° 116.
(12) Cf. par ex. C. Tivaudey-Bourdin JurisClasseur Encyclopédie des Huissiers de Justice, V° Titre exécutoire, Fasc. Unique, n° 75.

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