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par Vincent Téchené - Rédacteur en chef de Lexbase hebdo - édition affaires
le 24 Janvier 2011
Lexbase : Peut-on considérer que le contrat qui prévoit la cession des droits d'auteurs pour une exploitation numérique de l'oeuvre est toujours un contrat d'édition ou est-on face à un nouveau contrat de droits d'auteur ?
Christophe Caron : Il faut, en réalité, distinguer deux situations : on peut être en présence d'un contrat d'édition classique ou bien d'un contrat sui generis qui ne devrait pas pouvoir être qualifié d'édition. La question est importante car, de la réponse apportée, il en dépend l'application ou non du régime propre au contrat d'édition.
Dans le premier cas, c'est l'hypothèse d'un contrat d'édition tout à fait classique qui oblige l'éditeur à fabriquer des exemplaires physiques de l'oeuvre, c'est-à-dire des livres "papier" (ou, pourquoi pas, des CD-Roms). Mais ce même contrat peut aussi comporter une clause spécifique qui prévoit l'exploitation en ligne ou sous forme de livre numérique de l'oeuvre littéraire. L'existence de cette clause ne devrait pas chasser la qualification de contrat d'édition puisque les éléments constitutifs de ce contrat sont tout de même réunis dans la convention.
Dans le second cas, l'hypothèse est différente. On est alors en présence d'un contrat qui n'envisage que l'exploitation sous forme de livre numérique. L'éditeur n'a donc aucune obligation de fabriquer des exemplaires physiques. Est-on encore en présence d'un contrat d'édition ? Il est possible d'en douter. En effet, une des obligations fondamentales du contrat d'édition réside précisément dans cette obligation de fabrication. En ce sens, le contrat d'édition évoque un contrat d'entreprise. Dès lors, la convention qui serait amputée de cette obligation ne devrait pas pouvoir, en toute logique, être qualifiée de contrat d'édition. D'ailleurs, le contrat d'édition est attaché aux supports physiques. Il suffit, pour s'en convaincre, de songer à la mention du nombre des exemplaires fabriqués, à la mise sous pilon des exemplaires invendus, etc.. Si le contrat est exclusivement dédié à une exploitation de l'oeuvre sous format numérique, il est possible d'en déduire que le contrat est purement et simplement innommé, sauf si, par exemple, la jurisprudence en décide autrement en retenant tout de même la qualification de contrat d'édition pour pouvoir appliquer son régime. Il est aussi possible que la loi soit modifiée sur ce point.
Lexbase : Comment exploiter en toute sécurité de façon numérique des oeuvres dont les droits ont été cédés à une époque où le numérique n'existait pas ?
Christophe Caron : Il n'y a pas de difficulté si le contrat conclu dans le passé a bien été un réel acte de prévision, tourné vers l'avenir. Dans ce cas, il a forcément utilisé les ressources de l'article L. 131-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3389ADU) qui permet de stipuler une cession des droits pour une exploitation de l'oeuvre "sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat", à la condition qu'il existe une rémunération pour l'auteur.
Mais force est de constater que nombreux sont les contrats qui n'ont pas stipulé une clause en ce sens. On se trouve alors confronté à un contrat qui n'a pas cédé à l'exploitant les droits d'exploitation de l'oeuvre de façon numérique. Il en résulte que, si l'exploitant décide d'exploiter tout de même l'oeuvre en ligne, il est purement et simplement un contrefacteur puisqu'il agit sans droit et au-delà de l'autorisation qui lui a été consentie. De surcroît, il est constant que les contrats d'auteur sont toujours interprétés strictement.
C'est pourquoi il est impératif que l'exploitant ait acquis les droits nécessaires pour exploiter l'oeuvre en ligne. Le plus simple consiste certainement à conclure un avenant au contrat d'édition qui prévoit une exploitation de l'oeuvre au format numérique sur tous réseaux et supports numériques actuels ou à venir. Il est judicieux de faire référence notamment aux disques dur d'ordinateur, aux CD-I, DVD numériques, appareils de type Ipad, livres numériques, téléphones portables, téléchargements, impressions à la demande, etc., sans oublier de stipuler une référence à l'article L. 131-6 mentionné ci-dessus. En d'autres termes, il convient de mentionner les principaux modes d'exploitation qui existent au moment de la formation de l'avenant, tout en prévoyant également l'avenir.
Mais, pour signer un avenant, il faut être deux. Si l'auteur refuse (ou même son héritier), il peut exister une situation de blocage. Et il serait délicat de tenter d'interpréter le contrat en considérant que la cession des droits pour une exploitation de l'oeuvre sous forme d'exemplaire physique papier vaut aussi pour une exploitation numérique en ligne...
Cela incite à toujours considérer le contrat comme un acte de prévision tourné vers l'avenir et à utiliser l'article L. 131-6 du Code de la propriété intellectuelle.
Lexbase : Le principe d'une rémunération proportionnelle est-il transposable à l'exploitation numérique d'une oeuvre. Peut-on envisager un autre modèle de rémunération ?
Christophe Caron : Il est vrai que, en matière de contrat d'édition, le principe réside dans la rémunération proportionnelle ! Qu'en est-il à propos d'une exploitation numérique ? Certes, il est tout à fait possible d'y recourir dès lors qu'il y a un prix payé par le public à l'acte. Par exemple, une personne paye un prix pour télécharger l'oeuvre, la consulter sur écran ou pour pouvoir l'imprimer. Dans ce cas, il est aisé de calculer une rémunération proportionnelle. Mais faudra-t-il utiliser les taux communément utilisés dans l'édition (c'est-à-dire souvent autour de 10 % du prix public HT) ? La pratique va certainement créer des taux usuels pour l'exploitation en ligne. D'ores et déjà, il est possible de constater que l'économie n'est certainement pas la même.
S'il existe un prix public payé de façon globale, par exemple un abonnement pour accéder à une collection d'oeuvres en ligne, il est alors possible d'utiliser une rémunération forfaitaire comme l'autorise l'article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3387ADS) puisque "la contribution de l'auteur ne constitue pas l'un des éléments essentiels" ou parce que "les frais des opérations de calcul et de contrôle" pourraient être "hors de proportion avec les résultats à atteindre". De même, dans l'hypothèse d'une mise en ligne des oeuvres sans qu'un prix soit payé par le public (même si le site se finance grâce à la publicité), il est aussi possible de recourir, sur le même fondement, au forfait car la "base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée".
En d'autres termes, dans l'univers analogique comme dans le monde numérique, on retrouve les rémunérations proportionnelle et forfaitaire !
Lexbase : Peut-on envisager des revendications en matière de droit moral qui représenteraient un obstacle à l'exploitation numérique d'une oeuvre ? Comment limiter ce risque ?
Christophe Caron : Ces revendications peuvent apparaître comme assez théoriques. Néanmoins, il ne faut pas les exclure complètement. En effet, un auteur pourrait protester contre une mise en ligne de mauvaise qualité de son oeuvre ou contre un découpage de son livre, voire contre l'insertion de liens hypertextes. Mais, dans tous les cas, il devra tout de même expliquer pourquoi il considère que sa personnalité est maltraitée. La meilleure façon de se prémunir contre ce risque consiste à stipuler des clauses très claires et très précises qui expliquent que l'auteur consent à ce que son oeuvre soit mise en ligne selon des modalités techniques à détailler. Ainsi, si l'auteur exerce son droit moral, il sera possible de plaider qu'il le fait de mauvaise foi car il savait très bien, en signant le contrat, ce qu'il en était.
(1) Cf., not., rapport de Bruno Patino, Rapport sur le livre numérique, remis le 13 mars 2008 à la ministre de la Culture et de la Communication ; rapport d'Hervé Gaymard, Situation de livre - évaluation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives, remis le 10 mars 2009 à la ministre de la Culture et de la Communication ; rapport de Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, Création et internet, remis le 6 janvier 2010 au ministre de la Culture et de la Communication ; ou encore le rapport de Christine Albanel, Pour un livre numérique créateur de valeurs, remis le 15 avril 2010 au Premier ministre.
(2) le site internet de Cyberlex.
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