Réf. : TA Marseille, 22 décembre 2010, n° 0906273 (N° Lexbase : A9948GP7)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 24 Janvier 2011
Christophe Buffet : Ce qualificatif est employé car la commune a, en effet, eu les plus grandes difficultés à rapporter la preuve que cette demande avait été faite auprès de l'architecte des Bâtiments de France. Or, la consultation prévue en la matière est un préalable indispensable à l'octroi du permis de construire et fait partie de la procédure d'instruction que doit respecter la commune relativement à ce permis.
L'architecte des Bâtiments de France avait déclaré qu'il n'avait jamais reçu une demande d'avis de la part de la commune. La preuve ne pouvait donc être rapportée par l'admission de la réception de cette demande d'avis par son destinataire, ce qui aurait été la preuve la plus simple et la plus évidente, la lettre de demande d'avis elle-même pouvant être produite par l'architecte des Bâtiments de France, s'il avait effectivement reçu une telle demande.
Cependant, pour tenter d'apporter cette preuve, il avait été versé au débat par la commune une lettre de la DDE, supposée être cette demande d'avis et qui était datée du 12 juillet 2007 ; le problème est que ce courrier faisait mention de ce que la demande de permis de construire avait été complétée le ... 12 octobre 2007, ce qui était évidemment incohérent avec la date de la lettre elle-même.
Cette incohérence rendait évidemment suspecte cette demande d'avis ainsi produite par la commune. C'est pourquoi le tribunal parle d'une simulation, c'est-à-dire, pour parler plus précisément, d'une apparence de demande d'avis qui en vérité n'existe pas. Cela revient tout de même, indirectement à considérer que cette pièce n'aurait été fabriquée, d'ailleurs maladroitement, compte tenu de l'incohérence des dates, que pour les besoins de la cause.
D'une manière générale, la notion de simulation n'est pas une notion de droit public, mais plutôt une notion civiliste, d'ailleurs prévue par le Code civil. Il s'agit, en droit civil, de distinguer entre l'acte secret (aussi dénommé contre-lettre), qui manifeste la volonté des parties et l'acte ostensible qui n'est que l'apparence de leur volonté : le Code civil considère que, entre les parties, c'est l'acte simulé, c'est-à-dire la contre-lettre qui doit recevoir effet, sans avoir d'effet à l'égard des tiers.
La notion de fraude est sous-jacente à l'acte simulé : les deux sont évidemment associés, puisque ce qui est simulé dissimule la réalité. Cependant, le jugement ne parle pas ouvertement de fraude, car la simple fraude ne permet pas de considérer que l'acte est nul et non avenu, comme le jugement le qualifie.
Lexbase : Que recouvre la fraude en matière de droit de l'urbanisme et quelles sont ses implications pratiques ?
Christophe Buffet : La notion de fraude est classique, malheureusement, en droit de l'urbanisme, qui se prête évidemment aux tentatives d'éluder les règles de droit, compte tenu des enjeux, notamment financiers qui sont liés à l'obtention d'une autorisation d'urbanisme. On citera, par exemple, les indications ou déclarations inexactes qui peuvent être données par un pétitionnaire, pour obtenir un permis de construire. Cela peut consister, par exemple, à mentir sur la surface du terrain, à dissimuler l'existence d'une construction déjà édifiée et illégale, ou à mentir sur la destination des lieux avant ou après la construction envisagée.
On peut aussi songer, en matière de péremption du permis de construire, à des travaux apparents qui ont pour objet d'éviter cette péremption, tels que, par exemple, des travaux de terrassement exécutés quelques jours avant l'acquisition du délai de péremption du permis. Un autre exemple peut consister dans le fait de procéder à un remblai du terrain avant de présenter la demande de permis de construire et à présenter comme terrain naturel le terrain issu du remblai sur les plans de la demande de permis de construire. On peut citer, également, la présentation d'une demande de construire un bâtiment agricole qui, en fait, est un pavillon d'habitation qui sera habité par des personnes n'ayant aucun rapport avec l'exploitation agricole pour les besoins de laquelle le permis de construire est soi-disant déposé ; un autre cas est la remise de plans, au soutien de la demande de permis de construire, qui comportent des erreurs ou qui constituent des manoeuvres dont le but est d'induire l'administration en erreur sur la consistance des travaux envisagés. Un autre exemple encore que celui de la déclaration inexacte selon laquelle le terrain sur lequel la construction est envisagée n'est pas inclus dans le périmètre de lotissement, pour s'affranchir des règles applicables à ce lotissement.
On notera, toutefois, que très souvent, la fraude est invoquée par les plaideurs en désespoir de cause, et n'est pas retenue par la juridiction administrative, comme, par exemple, lorsque le pétitionnaire a produit un plan de masse incomplet, ou a "oublié" de mentionner que son projet était inclus dans une copropriété... En fait, le juge ne retiendra la fraude que s'il estime que les erreurs ou omissions ou inexactitudes ont pu conduire à tromper l'administration, ce qui n'est pas si fréquent.
Les applications pratiques sont, en fait, les conséquences juridiques de la fraude, car il est évident que l'état de droit ne peut admettre que les autorisations d'urbanisme puissent être obtenues par fraude.
La sanction de la fraude sera, en particulier, de permettre à l'administration de faire disparaître le permis de construire qui aura été obtenu en trompant l'administration, c'est-à-dire de procéder à son retrait. Alors que le pétitionnaire pensera que le permis qu'il a obtenu par fraude est définitif et qu'il n'a plus à craindre de le voir remis en cause (je rappelle que le délai de retrait d'un permis de construire est de trois mois), l'administration pourra tout de même le retirer, car la fraude ne peut permettre l'acquisition d'un droit. En pratique, cela signifie que le retrait de l'autorisation d'urbanisme pourra être opéré à tout moment, même après l'expiration des délais de recours et du délai de retrait applicable à l'acte illégal.
Cependant, à l'égard des tiers, la fraude n'a pas pour effet de proroger leur délai de recours : ce délai acquis ne permet pas aux tiers de contester l'acte au motif qu'il a été obtenu dans des conditions qui dénotent la fraude. Il s'agit là d'une limite non négligeable aux effets de la fraude, que souvent les tiers, plus attentifs et mieux informés que l'administration, peuvent déceler plus facilement que celle-ci qui, précisément, s'est laissée tromper.
Le recours des tiers, dans ce cas, consistera non pas à attaquer l'acte frauduleux, mais à demander à l'administration de procéder au retrait de l'acte qui n'a été obtenu que par des manoeuvres frauduleuses ayant trompé l'administration. En cas de refus de retrait de l'acte par l'administration, le tiers saisira le tribunal administratif pour obtenir l'annulation de ce refus de retirer l'acte.
Le retrait de l'autorisation d'urbanisme par l'administration qui estime qu'une fraude a été commise doit, cependant, être opéré en respectant les formes légales. Il doit, ainsi, être motivé et précédé de la procédure contradictoire prévue en la matière. J'ajoute que, si un permis a été obtenu par fraude, la construction autorisée ainsi et qui est en cours de construction, peut et doit faire l'objet d'un constat d'infraction par l'administration.
Lexbase : Cette notion de simulation conduit le tribunal à qualifier le permis de construire d'acte "nul et non avenu". Que cela recouvre-t-il concrètement ?
Christophe Buffet : Cette notion n'est pas nouvelle en droit administratif et a été utilisée par l'arrêt "Rosan Girard" (1). Une application classique de la notion d'acte inexistant concerne les nominations pour ordre (2). Elle recouvre une catégorie d'actes de l'administration qui sont d'une gravité et d'une illégalité si grossière et si évidente qu'il est impossible de les rattacher à l'exercice par l'administration de ses pouvoirs.
Les exemples sont rares, heureusement, et il apparaît, en vérité, que le plus souvent, le juge administratif, par le recours à cette théorie de l'acte inexistant, de l'acte nul et non avenu, a pour but d'atteindre et de sanctionner des actes qui ne pourraient pas être atteints autrement. Dans le cas du permis de construire soumis à l'examen du tribunal administratif de Marseille, la simple notion de fraude n'aurait pas permis de faire disparaître l'acte de l'ordonnancement juridique : comme il a été indiqué précédemment, le permis de construire était définitif parce qu'il n'avait pas fait l'objet d'un recours par les tiers dans le délai légal et parce qu'il n'avait pas non plus été retiré dans le délai légal.
Le permis de construire n'avait pas été délivré en suivant la procédure légalement prévue puisque il n'était pas établi que l'avis de l'architecte des Bâtiments de France avait été demandé. Cependant, cet avis ne rendait pas le permis de construire inexistant, simplement, il rendait illégale la décision prise, par le maire, d'accorder le permis de construire. La sanction logique aurait dû être l'illégalité et non l'inexistence que recouvre la notion d'acte nul et non avenu. Il paraît en effet difficile de considérer qu'en accordant le permis de construire sans demander l'avis précité, le maire accomplit un acte sans rapport avec les pouvoirs administratifs dont il dispose : il exerce bien ce pouvoir, mais n'a pas respecté les formes préalables à la décision. Il s'agit simplement d'un vice de procédure ou d'un vice de forme.
Or le tribunal administratif considère l'acte nul et non avenu, parce que la question n'est pas de savoir si l'avis de l'architecte des Bâtiments de France a été demandé ou non, mais de constater que la demande a, en vérité, été simulée, ce qui recouvre, au-delà de la fraude, une irrégularité si grave qu'elle ne peut être sanctionnée que par le constat du fait que l'acte et non avenu, et donc inexistant. On voit donc que le tribunal administratif est allé au-delà de la notion de fraude.
Lexbase : Pourquoi, d'après vous, les juges n'ont-ils pas retenu que l'on était en présence d'un simple vice de forme ou de procédure rendant l'acte illégal ?
Christophe Buffet : Le tribunal administratif de Marseille ne pouvait faire autrement que de considérer que l'acte devait être qualifié d'acte nul et non avenu ou inexistant pour pouvoir atteindre le but recherché, c'est-à-dire la disparition du permis de construire de l'ordonnancement juridique, en considération du climat plus que frauduleux dans lequel le permis de construire était intervenu. Il s'ajoute à ce climat préexistant à l'acte le fait que, manifestement, pendant la procédure devant le tribunal lui-même, un document de nature suspecte avait été produit, ce qui peut indisposer, on le conçoit, une juridiction. Juridiquement, le simple constat d'un vice de forme, d'un vice de procédure, et du non-respect des règles relatives à la nécessaire consultation de l'architecte des Bâtiments de France en préalable à la décision d'accorder ou non le permis de construire n'aurait pu permettre que de constater l'illégalité du permis de construire. Or, l'association requérante ne pouvait obtenir du tribunal qu'il juge recevable son recours exercé après l'expiration du délai de recours, et le tribunal, s'il avait considéré que l'acte était simplement illégal, n'aurait, en vérité, pas eu à le juger, puisque le délai de recours était expiré et le recours irrecevable.
Je considère personnellement que, classiquement, le tribunal administratif a eu recours à la notion d'acte inexistant, nul et non avenu, pour sanctionner à la fois une attitude procédurale choquante, et pour faire disparaître de l'ordonnancement juridique un acte qui lui apparaissait grossièrement illégal. On peut penser que les choses auraient sans doute été différentes si, plutôt que de produire la lettre contenant l'incohérence chronologique qui a été évoquée, la commune s'était contentée d'admettre que l'avis de l'architecte des Bâtiments de France n'avait pas été demandé, par erreur, et qu'il ne s'agissait là que d'un vice de forme ou de procédure rendant sans doute l'acte illégal, mais sans possibilité pour l'association requérante de le faire juger, le délai de recours étant expiré.
(1) CE Contentieux, 31 mai 1957, n° 26188 (N° Lexbase : A1264B9P).
(2) Lire F. Dieu, Retrait des décisions de nomination : mieux vaut (pour l'agent) l'illégalité que l'inexistence (N° Lexbase : N3916BHI), Lexbase Hebdo n° 82 du 8 octobre 2008 - édition publique.
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