Réf. : Cons. const., 30 septembre 2016, n° 2016-571 QPC (N° Lexbase : A7362R4G)
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)
le 08 Novembre 2016
Sociétés d'un même groupe fiscalement intégré versus sociétés d'un même groupe ne relevant pas du régime de l'intégration fiscale. Tout commence avec l'article 235 ter ZCA du CGI : celui-ci institue une contribution additionnelle à l'IS au titre des montants distribués, contribution due lorsqu'il est procédé à des distributions de revenus au sens des articles 109 (N° Lexbase : L2060HLU) à 117 du CGI. Sont exonérées de cette taxe de 3 % des montants distribués les sociétés du même groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du CGI (N° Lexbase : L1889KG3). Ce dernier article permet à une société, sur option, de se constituer seule redevable de l'IS dû sur l'ensemble des résultats du groupe, à condition de détenir, directement ou indirectement, au moins 95 % du capital des autres sociétés.
I - Impossibilité, pour certaines sociétés, de constituer un groupe fiscalement intégré
Dans la QPC n° 2016-571, la critique suivante était formulée : exclure du bénéfice de l'exonération les distributions réalisées entre sociétés d'un même groupe, pour absence d'application du régime de l'intégration fiscale, n'est pas constitutionnellement fondé. Certaines sociétés ne peuvent pas constituer un groupe fiscalement intégré. Tel est le cas des filiales françaises de sociétés étrangères dès lors que la société mère n'est pas établie en France et n'est pas assujettie à l'IS. Ces sociétés, qui ne peuvent pas jouir du bénéfice de l'exonération, subissent une différence de traitement dès lors qu'est respectée la condition de détention de 95 % fixée par l'article 223 A du CGI. Si toute différence de traitement n'emporte pas inconstitutionnalité (le principe d'égalité ne signifie pas uniformité et des entités placées dans des situations différentes peuvent, voire doivent, se voir appliquer un régime juridique différent), il appert que la différence de traitement ici instituée est structurelle. L'exclusion de l'exonération découle automatique de l'impossibilité, pour certaines sociétés, d'utiliser l'article 223 A et la technique du groupe fiscalement intégré.
II - Exonération sans lien avec le régime de l'intégration fiscale
Le Conseil constitutionnel constate que l'article 235 ter ZCA du CGI pose une contribution qui est un impôt autonome, au sens d'impôt distinct de l'IS. Certes, les modalités de recouvrement et de réclamation applicables à cette contribution sont identiques à celle prévues pour l'IS. Pour autant, tel n'est pas le cas lorsque le regard se tourne vers les redevables visés, le fait générateur et l'assiette de la contribution. De cela, le Conseil constitutionnel tire la conclusion que "L'exonération instituée par les dispositions contestées est donc sans lien avec le régime de l'intégration fiscale". Ce dernier ne concerne en effet que l'IS et ne possède pas pour finalité d'exonérer de cet impôt les sociétés membres d'un groupe. Il y a ainsi identité de situation, dès lors que la condition de détention de 95 % fixée par l'article 223 A du CGI est respectée, en présence de sociétés d'un même groupe qui réalise, en son sein, des distributions. Au regard de "l'objet de la contribution", ces sociétés sont placées dans une même situation... que le groupe relève ou ne relève pas du régime de l'intégration fiscale. La différence de traitement n'est pas justifiée par une différence de situation ; le juge ne peut que constater l'absence de lien (cf. l'objet de la loi) entre le régime de l'intégration fiscale et l'exonération de la contribution prévue par l'article 235 ter ZCA.
III - Objectif de rendement et volonté du législateur
Quid de la volonté du législateur ? Question simple mais importante puisqu'il s'agit in fine de censurer ou non sa volonté exprimée normativement par le truchement d'une disposition législative. Lorsqu'il institue cette contribution additionnelle à l'IS au titre des montants distribués, le législateur entend réaliser une opération de compensation financière. Il entend compenser la perte de recettes pérenne découlant de la suppression de la retenue à la source sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Le législateur avait été contraint (à la suite de la décision de la CJUE du 10 mai 2012, aff. C-338/11 à C-347/11 N° Lexbase : A9035IKT) de supprimer la retenue à la source de 30 % sur les OPCVM, avec un manque à gagner d'environ un milliard d'euros. Pliant logiquement devant la lecture de la liberté de circulation des capitaux promue par la CJUE, le législateur décide de "compenser la perte de recettes pérenne" : cela s'appelle poursuivre un "objectif de rendement". Les intentions du législateur sont claires et assumées : "l'instauration de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés est calibrée de manière à neutraliser le coût de la suppression de la retenue à la source sur des dividendes de source française" (1).
Difficile d'être plus explicite. Pour être louable sur le plan budgétaire, la poursuite d'un objectif de rendement ne saurait, en elle-même et par elle-même, constituer un critère objectif permettant de déroger au principe d'égalité. S'il en était ainsi, le législateur pourrait, structurellement et automatiquement, instituer des différences de traitement jurant avec les principes constitutionnels garantis, au point de vider le contrôle de constitutionnalité des lois de sa substance. C'est la raison pour laquelle un objectif de rendement "ne constitue pas, en lui-même, une raison d'intérêt général de nature à justifier [...] la différence de traitement instituée". Plus précisément, dès lors que la condition de détention de 95 % est satisfaite, l'objectif de rendement ne peut justifier la césure entre sociétés d'un même groupe réalisant en son sein des distributions... selon qu'un groupe relève ou non du régime de l'intégration fiscale. Il convient de noter que le Conseil constitutionnel ne fait pas mention, dans sa décision de censure, d'un autre argument avancé par le législateur. Celui-ci insiste sur le fait que le nouvel impôt créé possède également un fort objectif incitatif, de nature industrielle : il s'agit de favoriser l'autofinancement des entreprises en lieu et place de la rémunération des actionnaires. Le Conseil constitutionnel refuse de faire, ce jour, de la politique industrielle et ne cogite pas sur les bienfaits supposés d'une telle politique fiscale, plutôt centrée, ce qui n'est pas rien après tout, sur l'autofinancement. Plus exactement, le Conseil constitutionnel, confronté aux arguments du législateur centrés et sur un objectif de rendement et sur un "objectif comportemental" (2), va jeter son dévolu sur l'objectif qu'il considère principal aux yeux du législateur. Et le Conseil décide de cogiter sur le seul objectif de rendement, regardé comme la finalité principale pour un législateur en quête de compensation financière et d'équilibre budgétaire. Si le législateur peut déroger au principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en invoquant un objectif comportemental, il ne peut pas déroger à ce même principe en alléguant un objectif de rendement.
IV - Effets de la déclaration d'inconstitutionnalité : report dans le temps
Le Conseil constitutionnel utilise la réserve temporelle de l'article 62 (N° Lexbase : L0891AHH). Si une disposition législative inconstitutionnelle est abrogée à compter de la publication de la décision du juge, il lui est loisible de fixer la date de l'abrogation, de reporter dans le temps ses effets ou encore de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de la déclaration d'inconstitutionnalité. Selon le Conseil constitutionnel, l'abrogation immédiate de la disposition censurée "aurait pour effet d'étendre l'application d'un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur". Invoquant la classique formule qui lui permet de faire oeuvre d'autolimitation, "le juge ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de même nature que celui du Parlement en vertu de l'article 61 (N° Lexbase : L0890AHG)", le Conseil constitutionnel refuse d'indiquer les modifications de règles d'imposition devant être choisies pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée. L'abrogation est reportée au 1er janvier 2017. S'il était besoin de rappeler le truisme en vertu duquel la matière fiscale est tout sauf une technique neutre, en voici un exemple probant. On ne touche à la matière fiscale que d'une main tremblante tant elle renvoie à des choix politiques, au sens le plus noble du terme d'ailleurs : la détermination des valeurs de la polis, ici-bas la taxation des ressources aux fins ultérieures d'une (re)distribution (présumée) équitable.
V - La QPC n° 2016-571 à l'aune de la QPC n° 2014-456 : de la non transposition
Il n'est pas inintéressant d'évoquer la QPC n° 2014-456 (Cons. const., 6 mars 2015, n° 2014-456 QPC N° Lexbase : A7735NCH) dans la mesure où le Conseil constitutionnel se penche sur l'article 235 ter ZAA (N° Lexbase : L9725I3L). Dans cette décision, une différence de traitement visant le régime de l'intégration fiscale est reconnue constitutionnelle. Pour autant, la solution rendue dans cette décision n'est pas transposable à la présente QPC commentée, la n° 2016-571. Dans la QPC n° 2014-456, il était question de la contribution exceptionnelle sur l'IS qui connaissait les caractéristiques principales de l'IS quant aux assujettis, quant à l'assiette, quant au fait générateur. Tel n'est pas le cas de la contribution visée dans la QPC n° 2016-571. Dans la décision de 2015, il était relevé que le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle différait selon que les sociétés étaient (ou non) membres d'un groupe fiscalement intégré. Le Conseil avait mis en exergue, pour admettre alors la conformité de la différence de traitement entre sociétés, l'intention du législateur : en assujettissant à la contribution exceptionnelle sur l'IS les redevables réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros, le législateur "a entendu imposer spécialement les grandes entreprises". Il a, pour ce faire, fixé des conditions d'assujettissement spécifiques pour les sociétés membres d'un groupe fiscalement intégrés. Dès lors, il a été jugé que les modalités adoptées par le législateur n'étaient pas "manifestement inappropriées à l'objectif visé". Le législateur s'est fondé sur un "critère objectif et rationnel en rapport avec l'objectif poursuivi" en retenant comme seuil d'assujettissement la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré. Point de transposition donc.
VI - L'article 235 ter ZCA du CGI : entre QPC et droit de l'UE
Le 27 juin 2016 (décision n° 399024), le Conseil d'Etat avait à se prononcer sur le sort d'une QPC visant notre article 235 ter ZCA en ce que ce dernier serait contraire au droit de l'Union. Le Conseil d'Etat, faisant application d'une jurisprudence du 31 mai 2016 (CE Ass., 31 mai 2016, n° 393881, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4095RR4), décide de ne pas saisir le Conseil constitutionnel. Le Conseil d'Etat renvoie à la CJUE en raison de la possible incompatibilité de la disposition législative avec les articles 4 et 5 de la Directive du 30 novembre 2011 (Directive 2011/96/UE du Conseil N° Lexbase : L5957IR3). Puisque le motif d'inconstitutionnalité soulevé au titre de la QPC vise une incompatibilité de la loi avec une Directive UE, le juge renvoie à la CJUE pour que l'affaire soit tranchée au fond. Cela a pour conséquence que la QPC posée se voit qualifiée de non sérieuse... ce qui n'est guère sérieux. Il faudra, un jour, chercher dans un dictionnaire le sens du mot "prioritaire" puis tenter de l'accoupler, de nouveau, avec une "question... de constitutionnalité".
(1) Commentaire de la présente QPC sur le site du Conseil constitutionnel.
(2) Commentaire de la présente QPC sur le site du Conseil constitutionnel, préc..
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