La lettre juridique n°673 du 20 octobre 2016 : Discrimination et harcèlement

[Le point sur...] L'employeur peut-il restreindre l'expression des convictions religieuses ? Des réponses législatives et judiciaires, incertaines et partielles

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

le 08 Novembre 2016

La question du fait religieux en entreprise continue d'occuper le devant de la scène médiatique, judiciaire, et académique. Les expressions de cette actualité sont nombreuses : une actualité législative, en premier lieu (la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels N° Lexbase : L8436K9C contient un article 2 introduisant dans le Code du travail un nouvel article L. 1321-2-1 N° Lexbase : L6642K9U autorisant l'employeur a rédiger, dans le règlement intérieur, des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés) ; une actualité jurisprudentielle, ensuite (le 13 juillet 2016, l'avocat général de la CJUE a rendu ses conclusions sur la question préjudicielle transmise par la Cour de cassation par son arrêt, Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-19.855, FS-P+B+I N° Lexbase : A3737NGI) (1) ; enfin, une actualité universitaire et doctrinale (2). Cette actualité invite à faire le point sur l'état exact du droit positif, tel qu'il s'applique aux entreprises, dans la gestion du fait religieux. Les termes du débat étaient jusqu'à présent simples : la liberté religieuse s'impose à l'employeur, qui ne peut prendre aucune mesure à l'encontre des salariés, sauf à prendre un risque judiciaire, au titre de la discrimination (fondée sur l'appartenance religieuse du salarié). Si la liberté était le principe, et les restrictions à l'expression des convictions religieuses, l'exception, le juge (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I N° Lexbase : A7715MR8) puis le législateur (loi du 8 août 2016, art. 2) ont sensiblement modifié les termes du débat. L'employeur peut désormais restreindre l'expression des convictions des salariés : dans le cadre du règlement intérieur (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I, préc. ; loi du 8 août 2016, art. 2) ; sous réserve que la restriction ne présente pas un caractère général, mais soit suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés et proportionnée au but recherché (3) ; et, enfin, parce que ces restrictions seraient justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise (loi du 8 août 2016, art. 2) et proportionnées au but recherché (loi du 8 août 2016, art. 2). Les termes du débat sont donc complexes, car les solutions préconisées tant par le juge (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I, préc.) que le législateur (loi du 8 août 2016, art. 2) sont rédigées en des termes imprécis et délicats dans leur compréhension : bref, peu opérationnels.
I - Principe de neutralité : le règlement intérieur peut contenir des restrictions à l'expression des convictions

Pour un certain nombre de motifs, certains employeurs ont géré le fait religieux en entreprise en se référant au paradigme de la neutralité (c'est-à-dire, en d'autres termes, en limitant la liberté d'expression des salariés). Mais cette volonté d'encadrer/restreindre l'expression religieuse des salariés peut aller à l'encontre du droit positif (C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L9171K88 ; Directive (CE) 2000/78 du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4, art. 1 et 2), selon lequel les salariés jouissent de la plus grande liberté de conscience (politique, syndicale, philosophique, religieuse). Mais cette liberté relève du for intérieur, et n'a pas à se manifester, car l'entreprise, lieu de production de biens et de services, doit être neutre et non engagée. Les entreprises inscrites dans un champ politique/philosophique/religieux particulier sont, précisément, inscrites dans une catégorie juridique particulière, désignée sous l'appellation d'entreprise de tendance (ou entreprise de conviction). La loi du 8 août 2016 rompt avec le silence des textes.

A - Principe admis de la neutralité

Jusqu'à présent, ce principe de neutralité n'a pas été consacré par le législateur. Le Code du travail l'ignorait totalement. La loi du 8 août 2016 a mis un terme à ce silence des textes.

1 - Solution légale

Le principe de reconnaissance de la "neutralité" dans les relations de travail est donc extrêmement récent : il date de la loi du 8 août 2016 (loi 8 août 2016, art. 2 ; C. trav., art. L. 1321-2-1, nouveau). Comme l'a noté le Haut Conseil à l'intégration en 2011 (4), l'exercice de la liberté de conscience au sein de l'entreprise privée "est à ce jour très insuffisamment encadré de façon spécifique par des textes de loi et règlements, si ce n'est par une jurisprudence circonstanciée et une directive communautaire. Aucun accord des partenaires sociaux, notamment à travers des conventions collectives, n'a à ce jour abordé la question de l'expression religieuse dans l'entreprise".

Le législateur s'est inspiré des travaux de la commission chargée de définir les principes essentiels de droit du travail (dite Commission "Badinter", janvier 2016). L'article 6 des "principes essentiels du droit du travail" autorise l'employeur à encadrer "la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses [si ces restrictions] sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché". L'article L. 1321-2-1, nouveau (loi du 8 août 2016, art. 2) reprend donc quasiment mot pour mot cet article 6 des travaux de la Commission "Badinter".

2 - Une solution non retenue par la jurisprudence

Le principe de neutralité dans les rapports de travail (ou, en d'autres termes, la possibilité pour l'employeur de restreindre la liberté d'expression des convictions des salariés) n'a pas été, jusqu'à présent, retenu ni par le Conseil d'Etat, ni la Cour de cassation (en attendant la CJUE ou la CEDH) :

- en 2013, la Cour de cassation (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5857KA8, affaire "Baby Loup" et n° 12-11.690, FS-P+B+R+I, préc., affaire "CPAM 93") avait annoncé, en des termes particulièrement clairs, que le principe de laïcité (art. 1er de la Constitution N° Lexbase : L7403HHN) n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail. Les salariés des employeurs privés ne sont pas soumis aux règles de neutralité qui s'imposent aux agents publics dans l'exercice de leurs missions d'intérêt général ou de service public ;

- enfin, en 2014, la Cour de cassation (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I, préc.) a confirmé qu'une restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur n'est en principe pas possible. Mais l'Assemblée plénière a ouvert la voie à une pratique managériale de restriction des libertés religieuses des salariés, sous réserve que, dans un premier lieu, la restriction ne présente pas un caractère général (elle doit être suffisamment précise), qu'elle soit, dans un second lieu, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés et enfin, dans un troisième lieu, qu'elle soit proportionnée au but recherché.

B - Champ de la neutralité

Le législateur (loi du 8 août 2016 ; C. trav., art. L. 1321-2-1, nouveau) a donc consacré le principe de "neutralité" dans les rapports de travail, autorisant l'employeur à restreindre la manifestation des convictions des salariés. Mais un certain nombre de questions n'ont pas été tranchées par le législateur. Elles tiennent, d'abord et avant tout, à l'indécision et l'imprécision de son champ d'application. S'agit-il d'une neutralité religieuse ; d'une neutralité politique, citoyenne ; d'une neutralité littéraire, artistique (...) ; d'une neutralité syndicale ou enfin, d'une neutralité économique, commerciale ?

L'amendement déposé par Mme I. Le Callennec (amendement AS199) avait le mérite de la clarté, puisque le régime des restrictions visait explicitement "le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse". Mais il a été rejeté (5).

La doctrine (6) s'était exprimée, lors du vote de la loi du 8 août 2016 : il ne serait pas utile d'intégrer dans la loi du 8 août 2016 la notion de "neutralité" en particulier ; cette notion ne correspond à rien si la neutralité en question n'est pas qualifiée de religieuse. Des parlementaires ont également regretté que "le principe de neutralité que nous créons varierait d'une entreprise à l'autre. A partir d'une bonne idée, je crains que nous n'aboutissions à une cacophonie complète [...] Nous créons un monstre juridique : une neutralité religieuse dont la définition changerait selon les entreprises".

II - Cadre juridique de la "neutralité" : le règlement intérieur

En 2011, la HALDE/Haut Conseil à l'intégration (7) a fait, sur ce point, son mea culpa : jusqu'à présent, la problématique de la religion en entreprise était largement réduite à celle de la discrimination. Il a fallu attendre les arrêts "Baby loup", en 2013 puis 2014 pour s'en échapper, en ce sens que la Cour de cassation a été saisie sur le règlement intérieur (mode de gestion de la question religieuse en entreprise).

Tout l'intérêt de cette jurisprudence "Baby loup" réside dans ce glissement du centre de gravité, passant de la problématique de la "discrimination" à celle de restriction à la liberté des salariés par le règlement intérieur. Cette restriction est déjà prévue par les textes (antérieurement à la loi du 8 août 2016) car les atteintes aux libertés individuelles (C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P) sont autorisées si ces restrictions sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Aussi, pour certains auteurs, la loi du 8 août 2016 (art. 2) n'apporte pas grand-chose, puisque le régime des restrictions était déjà encadré et défini par les textes ("l'innovation "technique", qui consiste à se référer à un possible "principe de neutralité", paraît somme toute mineure et d'aucuns la jugeront même plus "incantatoire" "qu'opératoire") (8).

A - Clauses du règlement intérieur : les conditions originelles (C. trav., L. 1321-3 N° Lexbase : L8833ITC)

La validité d'une restriction mise en place par l'employeur au droit, pour un salarié, d'exprimer ses convictions (not., religieuses) est soumise à plusieurs conditions, définies par le législateur, au titre du régime des droits et libertés dans l'entreprise (C. trav., art. L. 1121-1) ; du régime du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-3) et enfin, par des conditions mises en avant par le HCI (avis de 2011, préc.).

1 - Restriction à l'expression des convictions du salarié : le régime des droits et libertés dans l'entreprise (C. trav., art. L. 1121-1) et le régime du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-3)

En matière de droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives, les restrictions doivent être :

- justifiées par la nature de la tâche à accomplir ;

- proportionnées au but recherché.

Le régime du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-3, 2°) pose les mêmes règles : le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

En 2013, la Cour de cassation, dans un premier temps, avait estimé que la clause de laïcité et de neutralité contenue dans le règlement intérieur d'une crèche ("Baby loup"), applicable à tous les emplois de la crèche, était inopposable, parce que générale et imprécise (9).

En 2013, la Cour d'appel a mis en avant la spécificité du régime juridique du règlement intérieur propre à une entreprise de tendance. La cour d'appel de Paris a statué en sens contraire de la Cour de cassation, et a suivi l'employeur dans son argumentation (10).

Mais en 2014, l'Assemblée plénière a restitué le débat dans son vrai contexte : le règlement intérieur peut contenir des clauses restrictives de la liberté d'exprimer ses convictions, si ces clauses ne sont pas générales ni absolues. Les juges du fond ont apprécié de manière concrète les conditions de fonctionnement de l'association "Baby loup", de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents. L'Assemblée plénière en a déduit que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I, préc.) (11).

Au final, les employeurs qui voulaient limiter la liberté d'expression religieuse de leurs employés ne pouvaient invoquer qu'un nombre restreint de motifs, limitativement énumérés par la jurisprudence, l'Observatoire de la laïcité et la HALDE (12) :

- motifs tenant à l'hygiène, la santé ou la sécurité (13) ;

- motifs liés aux relations avec la clientèle. Ce point est pourtant ouvert au débat. L'Observatoire de la laïcité (14) avait estimé que le simple fait d'être au contact de la clientèle n'est pas en soi une justification légitime pour restreindre la liberté de religion du salarié.

La jurisprudence a refusé de valider des restrictions à la liberté d'exprimer ses convictions religieuses, par le règlement intérieur, si ce règlement intérieur interdit de manière générale et absolue les discussions politiques ou religieuses et, d'une manière générale, toute conversation étrangère au service (15).

Enfin, la notion d'exigence professionnelle essentielle ne peut être assimilée à des préjugés défavorables émanant de clients, de cocontractants ou de travailleurs (16).

2 - Les autres conditions

En 2011, le HCI (avis, préc.) a mis en avant plusieurs conditions de validité aux restrictions des employeurs à liberté de religion, destinées à garantir un équilibre acceptable entre liberté religieuse et intérêt de l'entreprise :

- une limitation et non une suppression de la liberté des salariés. Cette référence à la limitation et non à celle de suppression se déduit des textes (C. trav., art. L. 1121 et L. 1321-3) qui font mention de la notion de "restriction", et non celle de remise en cause pure et simple du droit à exprimer ses convictions ;

- une limitation qui doit être justifiée par l'employeur. Le HCI s'est inspiré de la loi (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3) posant déjà le principe d'une justification de la restriction fondée sur la nature de la tâche à accomplir ;

- une limitation circonstanciée qui ne saurait revêtir un caractère permanent ni définitif. Là aussi, la référence au caractère temporaire de la restriction se déduit des textes (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3) qui font mention à la notion de "restriction", et non celle de remise en cause pure et simple du droit à exprimer ses convictions (17) ;

- une limitation proportionnée au but recherché. L'exigence de proportionnalité est déjà mentionnée par les textes (C. trav., art. 1121-1 et L. 1321-3) ;

- un contrôle permanent des délégués du personnel, de l'inspection du travail ou du juge du contrat de travail en référé.

B - La condition posée par le nouvel article L. 1321-2-1 du Code du travail

La loi du 8 août 2016 permet au règlement intérieur de contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés. Trois conditions sont posées :

- les restrictions doivent être justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux. Il s'agit d'une nouveauté au regard du droit positif en vigueur jusque là (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3). Toute la difficulté tient à l'imprécision de cette disposition, car le législateur ne précise pas ce que recouvrent ces "autres libertés et droits fondamentaux" ;

- les restrictions doivent être justifiées par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise. Là aussi, s'agit d'une nouveauté introduite par la loi du 8 août 2016, non visée par les textes antérieurs (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 1321-3). Cette restriction reprend la proposition des travaux de la Commission "Badinter" (art. 6, préc.). Elle est conforme avec les préconisations d'autres instances nationales. En 2008, la HALDE avait admis que les impératifs commerciaux, dans le cadre d'une relation avec la clientèle, liés à l'intérêt de l'entreprise, peuvent justifier une restriction apportée au port d'un signe religieux (délibération de la HALDE n° 2008-32 du 3 mars 2008, préc.). Certaines juridictions avaient admis le pouvoir de l'employeur de restreindre l'expression des convictions religieuses d'une salariée.

Mais cette innovation législative pose des problèmes de définition (que faut-il entendre exactement par "nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise" ?) et de critères d'appréciation (quels critères retenir pour apprécier les "nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise" ?).

- les restrictions doivent être proportionnées au but recherché. Cette condition n'est pas nouvelle, elle figure déjà dans les dispositions du Code du travail relative aux droits fondamentaux (C. trav., art. L. 1121-1) et au régime de la discrimination (C. trav., art. L. 1321-3).

Au final, cette consécration par le législateur du pouvoir de l'employeur d'encadrer la liberté de religion du salarié a suscité des débats :

- parmi la doctrine, avançant la faible portée du dispositif (techniquement, une intervention législative ne s'imposait pas ; la loi du 8 août 2016 n'a qu'un intérêt pédagogique "en traçant, pour les "responsables de terrain" en charge de ces questions au quotidien dans les entreprises, des lignes directrices, plus aisément appropriables et mobilisables, dans le cadre de négociations, de discussions ou de décisions que les solutions jurisprudentielles mal connues ou mal reçues").

- pour les observateurs institutionnels, tels que l'Observatoire de la laïcité et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) (18) très critiques (au point de demander le retrait de l'article 1er bis A du projet de loi de modernisation du droit du travail). Ces critiques s'articulent autour de plusieurs points. Dans un premier lieu, la législation et la réglementation en vigueur, bien que trop peu connues, fournissent déjà les moyens nécessaires et proportionnés pour garantir l'équilibre entre protection de la liberté de conscience des salariés et la volonté légitime de fixer les limites nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise ; dans un second lieu, la loi du 8 août 2016 crée une insécurité juridique pour les employeurs (les tribunaux en auront des interprétations différentes) et les salariés (la possibilité d'une restriction de portée générale comporte le risque d'interdits absolus et sans justification objective à l'encontre des salariés, en visant toutes leurs convictions, qu'elles soient syndicales, politiques ou religieuses).


(1) LSQ, n° 17125 du 20 juillet 2016 ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 610, 2015 (N° Lexbase : N7102BUL).
(2) L'Association française du droit du travail et de la Sécurité sociale (AFDT) a, en 2015, réuni un groupe de travail composé d'universitaires, de magistrats, d'avocats, de membres de l'administration du travail, de DRH, de syndicalistes et de représentants du personnel. Pour un compte-rendu de ses travaux, v. P. Adam, M. Le Friant, L. Pécaut-Rivolier et Y. Tarasewicz, La religion dans l'entreprise - L'art (difficile) des limites, RDT, 2016, p. 532. De même, doit être signalée, la tenue d'un colloque, du 20 octobre 2016 au 21 octobre 2016, à la faculté de droit de l'Université de Rouen, intitulé Religions et droit du travail : regards d'ici et d'ailleurs. Parmi les différentes interventions, on notera plus particulièrement : La question de la neutralité religieuse dans les entreprises qui n'accomplissent pas une mission de service public. La notion d'entreprise de conviction "laïque", V. Valentin (IEP de Rennes), vendredi 21 octobre, 9h ; L'impact de l'arrêt "Eweida" de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le droit anglais, M. Hunter-Hénin (University College de Londres), vendredi 21 octobre, 11h30 ; La liberté religieuse dans le domaine du travail : une réponse à partir de la théorie de l'accommodement raisonnable. Analyse comparée de la jurisprudence européenne et américaine, A. Torres (Faculté de Droit de l'Université de Pampelune), vendredi 21 octobre, 15h30-16h ; Eclairage de droit comparé sur la définition des signes religieux et leur régime juridique, K. El Chazli (Institut suisse de droit comparé), vendredi 21 octobre, 16h.
(3) Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, P+B+R+I (N° Lexbase : A7715MR8), JCP éd. S, n° 1287, note B. Bossu ; Rev. jur. de l'éco. pub., n° 725, décembre 2014, comm. 56, P. Sargos ; D. Corrignan-Carsin, Epilogue français pour l'affaire "Baby loup" : le règlement intérieur peut limiter la liberté d'expression religieuse, JCP éd. G, 1er septembre 2014, 903 ; F. Crouzatier-Durand, Affaire "Baby loup" : la Cour de cassation confirme la position des premiers juges, Dr adm., n° 8-9, août 2014, comm. 47 ; I. Desbarats, Affaire "Baby loup" : l'orthodoxie en guise d'épilogue, JCP éd. E, n° 36, 4 septembre 2014, 1445 ; F. Dieu, Quand le règlement intérieur de l'entreprise protège la liberté de conscience et de religion de ses clients, JCP éd. A, n° 46, 17 novembre 2014, 2322 ; J.-Cl. Marin, Affaire dite "Baby loup" : dans quelles conditions un employeur privé peut-il limiter la liberté de manifester ses convictions religieuses ?, JCP éd. G, n° 36, 1er septembre 2014, 902 ; J.-B. Vila, Glissement conceptuel ou remise en cause des principes de laïcité et de neutralité dans l'affaire "Baby loup" ?, JCP éd. A, n° 15, 14 avril 2014, 2115 ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 577, 2016 (N° Lexbase : N2936BUB).
(4) Haut Conseil à l'intégration, Expression religieuse et laïcité en entreprise, Avis, 2011, p. 11 (R. de Quenaudon, Expression religieuse et laïcité en entreprise, A propos de l'avis rendu par le Haut Conseil à l'intégration, RDT, 2011, p. 643).
(5) Ch. Sirugue, Rapport Assemblée nationale n° 3909, 30 juin 2016, p. 38-43.
(6) Audition d'A. Lyon-Caen par la Commission des affaires sociales, Assemblée nationale. V. C. Sirugue, Rapport Assemblée nationale n° 3909, 30 juin 2016, préc., p. 40.
(7) Haut Conseil à l'intégration, Avis, 2011, préc., p. 12 : "le fait de placer la tension Religion/Entreprise sous l'angle de la lutte contre les discriminations infléchit la lecture que l'on aura des problèmes rencontrés dans les entreprises : certains seront tentés de lire toute limitation de l'expression religieuse par l'employeur comme une discrimination religieuse, quand bien même cette restriction serait proportionnée et justifiée. A ce titre, la Halde a participé de cette évolution qui par certains aspects ne favorise guère l'apaisement entre salariés et entre employeur et salariés".
(8) P. Adam, M. Le Friant, L. Pécaut-Rivolier et Y. Tarasewicz, La religion dans l'entreprise - L'art (difficile) des limites, RDT, 2016, p. 532.
(9) Cass. soc., deux arrêt du 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5857KA8) et n° 12-11.690, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5935KA3), Bull. civ. V, n° 75 ; G. Henon et N. Sabotier, Rev. jur. de l'éco. pub., n° 717, mars 2014, chron. 1, chronique annuelle 2013 de droit du travail ; B. Bossu, Affaire "Baby loup" : le retour à la case départ, JCP éd. E, 19 décembre 2013, 1710 et JCP éd. S, 2013, n° 1146 ; P. Mbongo, Affaire "Baby loup" : l'"entreprise de tendance laïque" au secours de la cour d'appel de Paris, JCP éd. E, n° 49, 5 décembre 2013, act. 888 ; Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2014 (not. Avis de l'observatoire de la laïcité sur la définition et l'encadrement du fait religieux dans les structures privées qui assurent une mission d'accueil des enfants, p. 13) ; AJDA, 2013. 1069, note J.-D. Dreyfus ; D. 2013. 962 ; ibid. 761, édito. F. Rome ; ibid. 956, avis B. Aldigé ; ibid. 963, note J. Mouly ; ibid. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2014. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJCT, 2013. 306, obs. J. Ficara ; Dr. soc., 2013, 388, étude E. Dockès ; ibid. 2014. 100, étude F. Laronze ; RDT, 2013, 385, étude P. Adam ; ibid. 2014. 94, étude G. Calvès ; autres références biblio. dans nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 550, 2013 (N° Lexbase : N9694BT9).
(10) CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 27 novembre 2013, n° 13/02981 (N° Lexbase : A2218KQ9) : P.-H. Antonmattéi, Le port de signes religieux dans l'entreprise : au-delà de "Baby loup", SSL, n° 1611, Supplément du 23 décembre 2013 ; A propos de la liberté religieuse dans l'entreprise, RDT, 2014, p. 391 ; G. Calvès, Devoir de réserve imposé aux salariés de la crèche Baby loup. Quelle lecture européenne du problème ?, RDT, 2014, p. 94 ; F. Dieu, L'affaire "Baby loup" : quelles conséquences sur le principe de laïcité et l'obligation de neutralité religieuse ?, JCP éd. A, n° 15, 14 avril 2014, 2114 ; F. Laronze, Affaire "Baby loup" : l'épuisement du droit dans sa recherche d'une vision apolitisée de la religion, Dr. soc., 2014, p. 100 ; J.-B. Vila, Glissement conceptuel ou remise en cause des principes de laïcité et de neutralité dans l'affaire "Baby loup" ?, JCP éd. A, n° 15, 14 avril 2014, 2115 ; La tentation de la laïcité, Entretien avec F. Géa, SSL, n° 1619, Supplément du 24 février 2014 ; J. Mouly, L'affaire "Baby loup" devant la cour de renvoi : la revanche de la laïcité ?, D. 2014, p. 65 ; Une atteinte à la liberté religieuse, Entretien avec N. Moizard, SSL, n° 1619, Supplément du 24 février 2014 ; J. Porta, obs. sous CA Paris, 27 novembre 2013, n° 13/02981, Droit du travail : relations individuelles de travail février 2013 - mars 2014, D. 2014, p. 1115 ; J.-E. Ray, A propos d'une rébellion (CA Paris, 27 novembre 2013), "Baby Loup", Dr. soc., 2014, p. 4 ; toutes les autres références dans nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 550, 2013, préc..
(11) En l'espèce, le règlement intérieur de l'association "Baby loup" contenait la clause suivante : "le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche".
(12) Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, "La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée", p. 55.
(13) Délibérations de la HALDE, n° 2008-32 du 3 mars 2008 et n° 2009-117 du 6 avril 2009 ; Dounia Bouzar, in Laïcité Mode d'emploi, 42 situations, éditions Eyrolles, 2010 ; Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, "La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée", préc., p. 59.
(14) Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, " La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée ", préc., p. 62.
(15) Conseil d'Etat, 25 janvier 1989 ; Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, "La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée", préc., p. 60.
(16) CEDH, 27 septembre 1999, Req. 33985/96 (N° Lexbase : A7763AWG), condamnation du Royaume-Uni qui prétendait justifier l'exclusion systématique des homosexuels dans l'armée britannique par l'homophobie régnante au sein de cette armée. La Cour a considéré que les attitudes homophobes au sein de l'armée correspondent au préjugés d'une majorité hétérosexuelle envers une minorité homosexuelle et ne sauraient être considérées comme une justification suffisante aux atteintes portées aux droits des homosexuels pas plus que des attitudes analogues à l'égard des personnes d'origine ethnique ou de couleur différente.
(17) CA Saint-Denis-de-la-Réunion, 9 septembre 1997, n° 97/703306 (cité par l'Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2015-2016, "La gestion du fait religieux dans l'entreprise privée", préc., p. 62). La salariée musulmane avait refusé d'adopter une tenue conforme à "l'image de marque" de l'entreprise. L'intéressée, vendeuse d'articles de mode féminin, portait un vêtement qui ne reflétait pas l'image véhiculée par la boutique de mode dans laquelle elle était employée et dont elle devait refléter la tendance en raison de son rôle de conseil à la clientèle.
(18) L'Observatoire de la laïcité et la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, Communiqué de presse, 19 juillet 2016 ; B. Bissuel et A. Lemarié, La loi "El Khomri" accusée de miner la laïcité en entreprise, Le Monde, 24 mars 2016, p. 14.

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