La lettre juridique n°412 du 14 octobre 2010 : Éditorial

Cave canem : point de "qui veut noyer son chien l'accuse de la rage" pour les juges savants

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Considérant que la Vie est une, tous les êtres vivants ayant une origine commune et s'étant différenciés au cours de l'évolution des espèces,

Considérant que tout être vivant possède des droits naturels et que tout animal doté d'un système nerveux possède des droits particuliers,

Considérant que le mépris, voire la simple méconnaissance de ces droits naturels provoquent de graves atteintes à la Nature et conduisent l'homme à commettre des crimes envers les animaux"...

Bon, je vous l'accorde la Déclaration universelle des droits de l'animal, signée en 1978 à la Maison de l'Unesco, n'est pas encore inscrite au bloc de constitutionnalité français, loin d'être invoquée dans le cadre d'une question prioritaire -même mise à toutes les sauces depuis six mois-, et n'a pas de valeur juridique. Et pourtant, le respect envers les animaux ou l'anthropomorphisme, selon que vous soyez pythagoricien ou aristotélicien, gagne, de manière rampante, ses galons au sein des vieilles pierres du quai de l'Horloge. Le 30 septembre 2010, la Cour de cassation, dans un arrêt promis à la publication tout de même, notamment sur son site internet, exclut l'agressivité d'un animal domestique de la théorie des vices cachés. D'une part, en la matière, c'est le Code rural et son article L. 213-4 qui déterminent les vices rédhibitoires permettant l'indemnisation du propriétaire et non l'article 1641 du Code civil. Et, d'autre part, l'agressivité ne figurant pas à la liste de ces vices rédhibitoires, le propriétaire d'un doberman ne peut se plaindre de la dangerosité comportementale de son chien pour en obtenir indemnisation ou remboursement ; la théorie de la non-discrimination appliquée aux bêtes, en somme... Quoique, entre animaux de compagnie et animaux de production, l'homme réussit le tour de force de créer une distinction selon que l'animal recevant sa protection lui témoigne sa présence, sa beauté, son enthousiasme ou ses talents ou, plus prosaïquement, lui fournisse lait, laine et laitons -on retrouve, là, l'étrange hiérarchie de valeur des hommes qui encense la distraction et minore la production-.

Il faut dire que l'animal domestique n'est décidément pas une chose comme une autre. On a beau le qualifier de bien meuble, voire d'immeuble par destination, dans le cadre d'un fond de commerce ou agricole, depuis des siècles les hommes débattent, et se déchirent même, sur la question sensible du statut de l'animal ; et, au-delà, sur celle de ses droits entraînant -et c'est là que naît le conflit- des devoirs pour l'homme. La jurisprudence a clairement ouvert la voie, dès 1962, en reconnaissant l'existence d'un préjudice moral, au-delà du seul préjudice matériel, en cas de perte d'un animal de compagnie. Si l'on indemnise, d'abord, le trouble de jouissance et du droit de propriété sur l'animal, on tend à réparer les conséquences d'une rupture du lien affectif.

Il faut dire, aussi, que cela fait bien 150 000 ans que le chien est sorti de sa meute de loups pour vivre le destin des hommes, ce serait un juste retour des choses, pourrait-on penser, qu'on ne le congédie pas pour un comportement récessif : la domestication, depuis le néolithique, entraîne, certes, des mutations génétiques et morphologiques des animaux concernés, ainsi qu'une modification des comportements -au point que certains, comme Konrad Lorenz, voit dans la domestication animale, un appauvrissement des comportements sociaux spécialisés, au profit de l'hypertrophie des besoins de base comme la reproduction et l'alimentation- ; mais comme l'on décèle "du matériel génétique néandertalien" chez l'homme moderne, il ne faudrait pas reprocher au chien son agressivité naturelle et récessive : la domestication n'est pas un phénomène zootechnique ou socio-zoologique exact... En d'autres termes, une loi prenant la mesure de l'agressivité de certaines espèces et ordonnant certaines restrictions pour protéger les hommes est de bon sens ; mais, si "chien hargneux a toujours l'oreille déchirée" (cf. La Fontaine, Le Chien à qui l'on a coupé les oreilles), le droit ne peut condamner un animal pour un trait de caractère, ni le renvoyer dans son chenil de conception pour défaut de conformité aux règles et usages de bienséance humains. L'anthropomorphisme est, certes, de mise en la matière ; mais bien que de foire, de cirque ou pour épater la galerie, l'animal n'en est pas moins dénué de raison...

Sans croire à la transmigration des âmes, comme Pythagore, et sans aller jusqu'à Théophraste et croire que les animaux peuvent raisonner, sentir et ressentir de la même manière que les êtres humains, les Hauts juges ne se veulent plus cartésiens en l'espèce, mais invoque, une fois n'est pas coutume, les mânes de Rousseau à la lumière du Discours sur l'inégalité, que l'homme a commencé comme un animal, bien que non "dépourvu d'intelligence et de liberté". Cependant, les animaux étant des êtres doués de sensibilité, "ils devraient participer au droit naturel, et [...] l'homme est sujet à de certains devoirs envers eux". "Le jour viendra où le reste de la création animale acquerra ces droits qui n'auraient jamais dû leur être refusés si ce n'est de la main de la tyrannie" renchérit Bentham... Avec des arguments d'autorité pareils, nul doute que les magistrats n'aient pas voulu s'en tenir au concept d'"automates complexe" de Descartes et aient souhaité faire avancer le débat sur la reconnaissance d'un statut de l'animal au-delà des seules maltraitances à leur égard... rêvons un peu... Ou, plus vraisemblablement, la Cour de cassation juge en droit et fait une application stricte de la loi : l'article L. 213-4 du Code rural et son décret d'application ne prévoient pas l'agressivité au titre des vices rédhibitoire, un point c'est tout.

Parce que sujet de droit et non plus objet, l'animal de compagnie se verrait contraint, bientôt, à des devoirs ? En attendant, leurs maîtres ont la responsabilité de leur garde et, pour 52 % des foyers français, ce n'est pas un vain mot que de courir à pas d'heure les nuits d'hiver derrière leur animal en laisse... Une responsabilité que le réalisme fiscal voudrait d'ailleurs consacrer en taxant, peut-être, la possession d'un chien pour sensibiliser les maîtres aux impératifs de salubrité publique et à la dangerosité putative de certaines espèces (cf. une proposition de loi tendant à permettre aux communes d'instituer une taxe facultative sur les chiens et visant à améliorer le contrôle sanitaire sur les animaux domestiques, du 1er mars 2000 ou, encore, une réponse ministérielle n° 02468 du 14 mai 2009). Entendons nous bien, une taxe sur les chiens avait déjà été instaurée en 1855, mais elle fut supprimée à la fin des années 1970. Elle était perçue par les communes, en même temps que la taxe d'habitation, et sa motivation première était de décourager la possession de chiens -nous rappelle Emilie Lévêque dans l'Expansion, du 28 septembre 2010-. Et, une taxe de 75 euros (comme proposé en 2000) par chien rapporterait 660 millions euros, sur la base des 8,8 millions de chiens recensés dans les foyers français -de quoi réduire un peu plus le déficit public-. Le problème, outre l'impopularité d'une telle mesure et les risques d'abandons dans un pays qui en détient déjà le triste record, c'est que cette taxe ne rappellerait trop le fondement du lien unissant hommes et animaux domestiques : la propriété. La fiscalité renverrait, dès lors, le chien à sa condition d'objet. Or, dans une ère qui se veut plus sensible, jouant sur l'affectif pour encourager la naissance d'un véritable statut et respect de l'animal, rappeler que ce lien affectif naît du droit de propriété enlève, tout de même, beaucoup de charme à la chose... que dis-je : à la cause. Et, André Varlet de la Société centrale canine, de nous mettre en garde : "la branche alimentation pour chiens est l'une des rares à contribuer à l'excédent commercial de la France", avec plus d'un milliard d'euros générés à l'export en 2009 : alors, "touche pas à mon dog" pourrait bien être un slogan du XXIème siècle !

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