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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré celui qui sera dans quelques semaines vice-Bâtonnier du barreau de Paris, pour nous exposer les raisons de cette nouvelle fonction, son régime et son opportunité pour les autres barreaux.
Lexbase : A quand remonte l'idée d'instaurer un vice-Bâtonnier ?
Jean-Yves Le Borgne : J'ai eu cette idée, voilà déjà plus d'une décennie, après avoir été candidat au bâtonnat de Paris. En 1996, quatre ans après la fusion des avocats et des conseils juridiques, la question se posait de l'opportunité de la représentation par une seule personne de ces deux activités, désormais ralliées sous la même bannière. Cette proposition avait, aussi, pour objet de pallier l'impossibilité pour la même personne de remplir au mieux toutes les missions attachées à la fonction de Bâtonnier. Celui-ci doit "être disponible pour chacun et compétent dans tous les domaines" (5). Parallèlement, il se doit d'assister à de nombreuses manifestations, plus encore à Paris qu'ailleurs. Mais, à l'époque, cette idée n'a pas reçu d'écho. La France est un pays de droit écrit et le monde judiciaire est un monde conservateur fortement attaché au texte (en dehors duquel rien n'existe, ou presque) ce qui explique, me semble-t-il, les réticences qu'a, dans un premier temps, soulevées l'instauration de cette nouvelle fonction.
Depuis la fin des années 90, les effectifs du barreau de Paris n'ont cessé de grossir, tandis que s'alourdissaient les charges de son Bâtonnier. Par ailleurs, la question de la juste représentation des divers modes d'exercice de la profession restait sans réponse appropriée. Il devenait urgent de réformer les institutions, qui n'avaient pas été modifiées depuis près de vingt ans (à l'occasion de la fusion des avocats et des conseils juridiques). Jean Castelain l'a compris et il a estimé que la candidature bicéphale était la réponse la plus adaptée à la situation. Certaines oppositions, notamment de la part d'une partie de l'establishment, se sont élevées, parce que notre proposition était novatrice, au point d'être en rupture totale avec une tradition monarchique solidement établie. Certains ont même cru devoir dénoncer un coup électoral de notre part. C'était oublier que l'idée avait été avancée de nombreuses années auparavant, excluant que l'on puisse nous prêter un tel dessein strictement tactique.
Nous avons décidé de nous en remettre aux principaux intéressés : les avocats du barreau de Paris. Nous les avons rencontrés et leur avons expliqué notre projet en toute transparence. Leur jugement sur notre proposition a été majoritairement favorable et leurs suffrages ont confirmé leur intérêt pour notre projet. Le fait que le principe de la réforme soit entre leurs mains, sans qu'on ait dû préalablement recourir à un texte, a certainement aidé notre cause. La complémentarité de nos candidatures représentait aussi une chance : Jean Castelain est associé au monde des affaires et du conseil, alors que je le suis au monde judiciaire. En même temps, nos compétences ne sont pas cloisonnées, puisqu'il plaide régulièrement et que j'interviens, aujourd'hui, essentiellement sur des dossiers politiques et financiers.
Lexbase : Il existait, déjà, des possibilités de délégation. Qu'apporte le statut de vice-Bâtonnier ? Quels sont les cas d'empêchements visés par le décret ?
Jean-Yves Le Borgne : L'article 7 du décret du 27 novembre 1991, dans sa version antérieure, disposait, en effet, que "le Bâtonnier [pouvait] déléguer à un ou plusieurs membres du conseil de l'ordre une partie de ses pouvoirs pour un temps limité". En outre, "en cas d'absence ou d'empêchement temporaire, il [pouvait] pour la durée de cette absence ou de cet empêchement, déléguer la totalité de ses pouvoirs à un ou plusieurs membres de ce conseil". Hors le cas de l'empêchement, les délégations sont toujours limitées dans leur objet et dans le temps.
Désormais, le texte prévoit que "le Bâtonnier peut déléguer une partie de ses pouvoirs au vice-Bâtonnier, s'il en existe". Les pouvoirs délégués ne le sont plus nécessairement de façon temporaire. Par ailleurs, l'autorité liée au titre était nécessaire vis-à-vis des interlocuteurs, qui n'auront plus à se poser la question de la capacité de décision, puisqu'ils traiteront avec l'alter ego du Bâtonnier. Est, parallèlement, conservé le système des délégations temporaires accordées aux autres membres du conseil de l'Ordre. Enfin, en cas d'absence ou d'empêchement temporaire, le Bâtonnier, pourra déléguer la totalité de ses pouvoirs au vice-Bâtonnier. L'idée est que, quelle que soit la situation, l'ordre échappe à la paralysie liée à l'indisponibilité de son chef.
L'empêchement sera souvent dû aux obligations du Bâtonnier, dont la présence pourra être requise à plusieurs endroits différents. Dans notre tandem, Jean Castelain, plus orienté sur l'international, honorera en priorité les événements qui se dérouleront à l'étranger, tandis que mon champ d'intervention sera, vraisemblablement, plus hexagonal. La notion d'empêchement vise bien entendu également la maladie. Le cas du décès du Bâtonnier n'est pas prévu par le nouveau texte ; il faudra certainement aménager ce cas de figure dans l'avenir, pour poser la règle de l'exécution par le vice-Bâtonnier du temps de mandat que le Bâtonnier disparu n'aura pas pu accomplir.
Lexbase : Le statut de vice-Bâtonnier pose la question de l'entente et de la confiance entre le Bâtonnier et le vice-Bâtonnier. Comment cette entente et cette confiance doivent-elles se traduire ?
Jean-Yves Le Borgne : Il est certain que le rapport qui unit le Bâtonnier et le vice-Bâtonnier doit être solide et reposer sur la confiance. C'est le cas entre Jean Castelain et moi. Nous nous connaissons bien et nous avons déjà eu l'occasion de travailler ensemble, lorsque nous étions tous deux membres du conseil de l'Ordre en 1992. Nous nous estimons et nous nous respectons. Néanmoins, il pourra arriver, pour les prochaines mandatures, qu'un duo soit proposé pour des raisons politiques, sans que cette alliance recouvre une véritable harmonie. Il fallait, donc, prévoir un système prévenant d'éventuels conflits et une paralysie de l'institution. Dans cette optique nous avons souhaité que le vice-Bâtonnier ne dispose que de pouvoirs délégués ; le dispositif de la délégation (tant au profit du vice-Bâtonnier qu'à celui des membres du conseil de l'Ordre), révocable à tout moment par le déléguant, met dans la main du Bâtonnier l'instrument de règlement de tout conflit potentiel.
Lexbase : Lors de la campagne, vous avez pris l'engagement de ne pas vous présenter aux fonctions de Bâtonnier à l'issue de votre mandat de vice-Bâtonnier et de ne pas être rémunéré. Pour quelles raisons ? Pensez-vous que cela doive s'appliquer à vos successeurs ?
Jean-Yves Le Borgne : J'ai pris ces deux engagements, dès le début de la campagne, pour attester du bien-fondé et de la légitimité de la démarche et écarter les soupçons d'intérêt personnel. Ces prises de position sont effectivement motivées par des raisons politiques. L'objectif était d'apaiser les craintes de ceux qui demeuraient sceptiques sur les nécessités ou les motivations de notre projet.
Prévoir que le vice-Bâtonnier ne postulerait pas aux fonctions de Bâtonnier à l'issue de son mandat permet également d'éviter la stratégie "Poutine/Medvedev". Cette règle non écrite a aussi l'avantage de laisser le vice-Bâtonnier assumer son mandat sans avoir à gérer simultanément une préoccupation électorale. En effet, si le vice-Bâtonnier envisageait de succéder au Bâtonnier, il serait candidat l'année même de sa prise de fonction, ce qui n'est pas souhaitable.
Quant à l'absence de rémunération, elle n'est pas destinée à s'appliquer à mes successeurs. Au début des années quatre-vingt, quand il a été question d'indemniser le Bâtonnier, Bernard de Bigot du Granrut, qui en a pris l'initiative, l'a fait voter pour son successeur. Depuis cette époque, les Bâtonniers ont été indemnisés, ce qui est légitime compte tenu de l'importance de leur mission et du temps qu'ils lui consacrent.
Lexbase : Le statut de vice-Bâtonnier se justifie à Paris. Qu'en est-il pour les autres barreaux ? Quelle idée ont-ils d'une telle fonction ?
Jean-Yves Le Borgne : Concernant Paris, pour les raisons que j'ai exposées précédemment, l'instauration d'un tel statut se justifie pleinement. Elle est même indispensable et les avocats des autres barreaux l'admettent majoritairement. Mais le barreau des Hauts-de-Seine s'est, également, déclaré favorable à cette institution nouvelle. Tout comme le barreau de Paris, ce barreau est protéiforme, à la fois très orienté sur le monde des affaires et comportant aussi un important barreau judiciaire.
Les autres barreaux de France ont montré moins d'intérêt pour l'institution nouvelle. Néanmoins, avec le temps, je suis certain que certains Ordres, confrontés à l'ampleur de la tâche et aux spécificités de la représentation d'activités professionnelles différentes, opteront pour l'élection d'un ticket de Bâtonniers.
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