Réf. : Cass. com., 26 mai 2009, n° 08-12.691, M. Jean-Paul Appert, FS-P+B (N° Lexbase : A3818EHU)
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N1159BLI
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par Catherine Michelet-Quinquis, avocat, Ernst & Young Société d'Avocats, Spécialiste en droit des sociétés, membre de l'IDABB
le 07 Octobre 2010
Sur le fondement des articles 1108 (N° Lexbase : L1014AB8), 1126 (N° Lexbase : L1226ABZ) et 1601 (N° Lexbase : L1686AB3) du Code civil, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond en estimant que les cessions de parts, actions ou droits conférés par les titres d'une société ayant disparu par l'effet de la fusion absorption sont nulles pour défaut d'objet et que la cour d'appel n'avait pas à établir l'existence d'un vice du consentement.
Si cette décision de la Cour de cassation utilise clairement le visa de l'objet pour entériner une décision des juges du fond ayant prononcé la nullité des cessions d'actions d'une société disparue par l'effet de la fusion absorption (I), elle recouvre implicitement les dispositions de l'article L. 236-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6353AI7), dont il résulte qu'à la suite d'une opération de fusion, la société bénéficiaire vient aux droits de la société qui disparaît par l'effet de la transmission universelle de son patrimoine et que les associés des sociétés qui disparaissent, acquièrent la qualité d'associé des sociétés bénéficiaires dans les conditions du contrat de fusion (II).
I - La détermination de l'objet des transferts litigieux
L'arrêt ici analysé, répand une lumière pâle sur les difficultés relatives à la validité d'une cession de titres réalisée par la voie d'une fusion absorption, en ce qu'il affirme de façon laconique, sans autre forme de précision, qu'est nulle pour défaut d'objet toute cession de parts, d'actions, ou de droits conférés par ses titres, d'une société ayant disparu par l'effet d'une opération de fusion absorption.
En l'espèce, certains propriétaires des titres de la société absorbée, disposant d'un droit d'échange contre des titres de la société absorbante n'ont pas fait valoir ce droit. Près de 20 ans plus tard, on a constaté la profusion de cessions d'actions réalisées au profit d'une personne physique. Pour faire échec à l'action en nullité intentée à son encontre par la société absorbante, le bénéficiaire des cessions douteuses a fait valoir que les titres de la société absorbée qui n'avaient pas été apportés à l'échange restaient négociables de gré à gré après la disparition en 1998 du marché hors cote où ils s'étaient négociés pendant 15 ans. Cet argument n'a pas prospéré devant la Cour de cassation qui, au-delà de toute forme de tergiversation, affirme le principe selon lequel l'objet de la cession est "les actions" et non les droits d'échange dont prétendaient disposer les propriétaires de titres de la société absorbée, et que les transferts de titres réalisés étaient nuls pour défaut d'objet.
Si le laconisme de la motivation des juges suprêmes n'apporte pas un éclairage suffisamment sur les conditions de recevabilité de l'action en nullité d'une cession des titres réalisée à l'occasion d'une opération de fusion absorption, on conviendra néanmoins que l'application du droit commun des contrats et non du droit des sociétés se justifie pleinement. Cette justification tient au fait que la cession des droits sociaux, au-delà d'un acte de société, est une convention devant respecter les conditions essentielles de l'article 1108 du Code civil et, notamment, l'existence d'un objet certain qui forme la matière de l'engagement ; si la chose, objet du contrat, vient à disparaître, le contrat est nul (C. civ., art. 1126 et 1601).
Par ailleurs, s'il est vrai que les actions sont des titres négociables, c'est-à-dire transmissibles erga omnes par simple tradition, il n'en reste pas moins que la négociabilité n'implique pas forcément la cessibilité des titres (3). Bien que le bénéficiaire des cessions douteuses ait obtenu des droits auprès des titulaires de certificats nominatifs sur d'anciennes actions de la société absorbée, ces cessions portaient, en réalité, sur des actions de l'absorbante par suite de l'application du rapport d'échange de la fusion. Cela est si vrai que le dispositif de la transmission universelle du patrimoine n'opère pas de distinction selon la nature réelle ou personnelle des droits et obligations contractés par l'absorbée, l'absorbante recueillant ipso facto l'intégralité du patrimoine de celle-ci (4).
Il faut, par ailleurs, remarquer qu'après la fusion, dans le cadre des dispositions relatives à la dématérialisation des titres, l'émetteur disposait de la procédure de mise en vente des titres non réclamés et n'ayant pas fait l'objet d'une inscription en compte (ceux des actionnaires qui ne s'étaient pas manifestés) ; cette procédure portait sur des actions FINAXA et non sur des actions SNP, juridiquement disparues.
Dès lors que les cessions litigieuses portaient sur les actions de la société absorbée, le recours à la théorie des vices du consentement pour en apprécier la validité devenait superfétatoire. Les cessions invoquées des années après réalisation de la fusion étaient frappées de nullité absolue et ce, en dehors de tout vice du consentement. Il n'y avait pas lieu de rechercher l'existence d'une erreur, d'un dol, encore moins d'une violence quelconque ayant présidé à la conclusion des cessions litigieuses.
Rejetant l'argumentation du bénéficiaire des cessions, le point d'ancrage de la décision est l'identification de l'objet de la cession -i. e. les actions SNP- et le moment où sa validité doit être appréciée. Les actions SNP n'existant plus, leur cession ne peut valablement être opérée.
Toutefois, il n'est pas inutile d'invoquer ici également les dispositions du droit des sociétés relatives aux opérations de fusion absorption.
II - La disparition de l'objet de l'obligation par l'effet de la fusion absorption
Conformément aux dispositions de l'article L. 236-3 du Code de commerce, la fusion absorption est une opération juridique par laquelle une ou plusieurs sociétés transmettent leur patrimoine à une société existante ou à une société qu'elles constituent, emportant la dissolution sans liquidation de la société absorbée, la transmission universelle du patrimoine de l'absorbée à l'absorbante, dans l'état où il se trouve à la date de la réalisation définitive de l'opération (5), et l'acquisition, simultanément, par les associés de l'absorbée, de la qualité d'associé de l'absorbante.
L'article L. 236-3 susvisé du Code de commerce contient les deux principes fondamentaux des opérations de fusion :
- la fusion emporte la disparition juridique de la société dissoute ;
- les actions représentant le capital de la société dissoute disparaissent ipso facto, et sont remplacées par l'attribution à due proportion des droits des actionnaires, par des actions de la société absorbante.
On remarque que l'article L. 236-3 du Code de commerce spécifie bien que c'est simultanément à la réalisation définitive de la fusion que les associés de la société absorbée acquièrent la qualité d'associé de la société absorbante.
Or, l'arrêt de la Cour de cassation précise que la nullité pour défaut d'objet, en la cause, s'applique non seulement à la cession des actions mais aussi à "la cession des droits conférés par ces titres".
Il faut entendre par là que le droit de propriété sur les titres de l'absorbée ne peut évidemment pas s'exercer ; cependant, les titulaires des titres disposent, dans les termes des traités de fusion, de droits dans le capital de l'absorbante ; ce droit acquis simultanément à la réalisation de la fusion, est maintenu et il convient, comme l'avait jugé la juridiction du fond, de replacer les cédants dans leurs droits en leur attribuant, en conséquence, des actions de Finaxa (dénommée AXA au jour du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris).
On peut, par ailleurs, noter que, pour l'associé de la société absorbée, titulaire d'actions de la société absorbante selon les termes du rapport d'échange, l'acquisition de la qualité d'associé de l'absorbante est attachée à sa personne elle-même.
On le sait, l'opération de fusion constitue une exception aux dispositions légales et statutaires relatives à l'agrément de nouveaux associés.
Du fait de la transmission universelle du patrimoine de l'absorbée à l'absorbante, celle-ci se trouve en effet automatiquement tenue d'assurer toutes les obligations qui étaient à la charge de l'absorbée, notamment à l'égard des associés de cette dernière.
Or, l'une de ses obligations est de remplir les associés de leurs droits ; la société absorbante pourrait, si l'obligation d'agrément s'imposait, se soustraire par là à l'une de ses obligations fondamentales impliquées par la transmission universelle de patrimoine.
L'admission du raisonnement fondé sur le droit d'échange négociable pourrait, comme l'a fait remarquer un auteur (6), le cas échéant, permettre de contourner, après la réalisation de la fusion, l'agrément qui serait stipulé pour devenir associé de l'absorbante.
Ainsi, la nullité des tentatives de cessions intervenues était également invocable sur la base de l'article L. 236-3 du Code de commerce, mais la Haute juridiction a choisi de ne pas invoquer dans son arrêt l'article susvisé ; pour prendre sa décision, elle a préféré demeurer sur le droit commun civiliste en concluant, à notre connaissance, pour la première fois dans le domaine des fusions, que l'inexistence de la chose, objet de l'obligation, emporte ipso facto la nullité du contrat, indépendamment de tout vice du consentement.
Cette solution doit être approuvée.
(1) I. Urbain-Parléani, La fusion-absorption à l'épreuve des clauses d'agrément, Mélanges Guyon, Dalloz, 2003, p. 1061 ; A. Constantin, L'application des clauses d'agrément en cas de fusion ou de scission : le poids des mots, le choc des principes, Bull. Joly sociétés, 2003, p. 742, § 160 ; M. Menjucq et A. Taste, Mise en oeuvre des clauses d'agrément en cas d'absorption d'un actionnaire, note sous Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-13.484, Société Eurofog, F-D (N° Lexbase : A2561DWR), Bull. Joly sociétés, octobre 2007, n° 10, p. 1075.
(2) Ch. Hannou, Remarques sur la prescription de l'action en nullité en droit des sociétés, Rev. Sociétés, 1991, p. 45.
(3) F. Barrière, Réflexions sur la législation sur la négociation des promesses d'actions, Rev. Sociétés, 2002, p. 653.
(4) S. Prigent, Sort du cautionnement en cas de fusion-absorption, LPA, 5 janvier 2006, n° 4, p. 10 ; A. Couret, Destin d'une garantie en cas de fusion-absorption de la société créancière de la garantie, Bull. Joly sociétés,1er novembre 2007, n° 11, p. 1225 ; B. Saintourens, La transmission du contrat de franchise par fusion-absorption ou par l'effet d'un apport partiel d'actif impose l'accord du franchisé, Bull. Joly sociétés, 1er novembre 2008, n° 11, p. 905.
(5) M.-L. Coquelet, Etendue de l'obligation au passif de la société absorbante, Bull. Joly sociétés, 1er mai 1997, n° 5, p. 448.
(6) Dorothée Gallois-Cochet, professeur agrégée à l'Université de Poitiers, L'Essentiel Droit des Contrats, 1er juillet 2009 n° 7, p. 7.
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