La lettre juridique n°356 du 25 juin 2009 : Commercial

[Questions à...] Cession des droits sociaux ou cession de fonds de commerce, quelles opportunités ? Questions à Maître Jean-Marc Grosperrin, avocat associé du cabinet Salans

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Le droit français met à la disposition de qui s'intéressera de près ou de loin à une entreprise de nombreux outils en vue d'un rapprochement, leur opportunité étant fonction du projet concerné. Parmi eux, figurent l'augmentation de capital, l'apport partiel d'actifs, la fusion, la cession de droits sociaux (share deal) ou, encore, la cession de fonds de commerce (asset deal). Le choix d'une opération plutôt qu'une autre s'effectuera très en amont : si le rapprochement implique un projet commun avec tout ou partie des actionnaires de la cible et que la relation suppose de s'inscrire dans le temps, on préfèrera recourir, pour le concrétiser, à l'augmentation de capital, l'apport partiel d'actifs ou la fusion. En revanche, s'il ne s'agit que de reprendre une société, sans projet commun avec les actionnaires en place, la reprise aura lieu via la conclusion d'un share deal, opération privilégiée en France, ou d'un asset deal, très utilisée par les anglo-saxons, dont la vocation est de régir les relations des différentes parties à un instant "T". L'asset deal et le share deal, s'il s'agit de deux opérations bien distinctes, ont, donc, le même objectif : la reprise par un tiers de l'activité d'une entreprise. La question se pose, alors, de leur opportunité : comment choisir entre ces deux opérations ? Laquelle sera la plus avantageuse ? Le contexte économique actuel favorisant certains rapprochements ou restructurations d'entreprises, apporter une réponse à ces questions paraît d'autant plus opportun. Lexbase Hebdo - édition privée générale a, ainsi, rencontré Maître Jean-Marc Grosperrin, avocat associé du cabinet Salans, afin d'appréhender les différents aspects juridiques et fiscaux de ces deux mécanismes.

Lexbase : La cession de titres sociaux et celle du fonds de commerce ayant toutes deux la même finalité, quels éléments feront la différence pour le repreneur ?

Jean-Marc Grosperrin : La différence entre un share deal et un asset deal tient au périmètre concerné par la cession. Dans le premier cas, l'objet du transfert est l'entreprise dans sa globalité, composée de l'ensemble de son actif et de son passif. Dans le second cas, seuls les actifs de la société passent d'une main à l'autre. Dans le cadre d'un asset deal la cession porte, plus précisément, sur l'universalité juridique constituée de l'ensemble des éléments corporels (matériel, outillage, marchandise) et incorporels (droit au bail, nom, enseigne, brevets et marques, clientèle et achalandage), à l'exclusion de tout passif, avantage majeur de ce type d'opération. Sont, ainsi, éludées, dans le cadre de la cession de fonds de commerce, toutes les problématiques liées à la gestion du passif et, donc, à la mise en place, après avoir effectué les audits nécessaires, d'une convention de garantie de passif entre l'acquéreur et le vendeur, puisque seuls les actifs nécessitent d'être garantis.

Ce type de convention est, en revanche, inéluctable, aujourd'hui plus que jamais, dans le cadre d'un share deal. Or, les audits, qui permettent de déterminer au mieux le risque éventuel pris par l'acquéreur sont chronophages et nécessitent qu'il soit fait appel à plusieurs experts et conseils. Les coûts y afférents sont, souvent, non négligeables et les négociations portant sur l'étendue des garanties consenties et les modalités de leur mise en oeuvre sont, quant à elles, longues et peuvent se révéler très complexes.

L'asset deal présente cet autre avantage de simplifier la gestion de la reprise sur les moyen et long termes. Il est, en effet, parfois plus aisé d'intégrer une activité au sein d'une société du groupe déjà existante, que de gérer une entité supplémentaire, dans sa globalité. La question de l'intégration d'une nouvelle entreprise au sein de l'organigramme du groupe n'est pas toujours évidente : elle implique, en effet, une multiplication des acteurs, des coûts, des formalités et des obligations, en général. Or, ceci peut facilement être contourné via la cession du fonds de commerce, dès lors qu'existe au sein du groupe, une société dont tout ou partie de l'activité est similaire à celle de la cible. La gestion est, alors, rationalisée. C'est, notamment, pour cette raison que les entreprises anglo-saxonnes privilégient souvent ce type de deal. En particulier, les groupes d'une certaine importance l'ont souvent intégré dans leurs guidelines. De ce fait, l'asset deal gagne, indéniablement, en importance en France, lorsqu'il s'agit de minimiser les conséquences opérationnelles de la reprise.

Enfin, dans le cadre de la cession d'un fonds de commerce, il est plus simple pour le repreneur de faire le tri entre les contrats qu'il souhaite conserver et ceux dont il n'a pas l'utilité (puisqu'il a, éventuellement, lui-même, ses propres partenaires). L'asset deal implique qu'à l'exception des contrats de travail, du bail commercial et des contrats d'assurance, aucun des contrats ne peut être transféré sans l'accord préalable du tiers cocontractant. Le transfert au repreneur des contrats qui l'intéressent constituera, alors, une condition suspensive de la vente. Dans le cadre de la cession de droits sociaux (tout comme, d'ailleurs, dans celui de l'apport partiel d'actif et de la fusion), tous les contrats (en dehors des contrats comportant une clause de changement de contrôle qui serait exercée par le cocontractant) restent attachés à la société cédée, la condition suspensive portant, donc, sur la résiliation des contrats que le repreneur ne souhaite pas reprendre. Or, il est plus facile et moins chronophage, pour l'acquéreur, de conserver des relations commerciales avec un partenaire, plutôt que de mettre fin, sans esbroufe, à des relations contractuelles.

Pour ces raisons, l'asset deal est, souvent, une option intéressante pour le repreneur. Et si le share deal paraît plus favorable pour le vendeur, qui, en cédant sa société, "se débarrasse", également, du passif, il ne faut pas oublier que cette cession du passif impacte nécessairement le prix.

Lexbase : Qu'en est-il d'un point de vue fiscal ?

Jean-Marc Grosperrin : Qu'il s'agisse des droits d'enregistrement ou de l'imposition des plus-values, l'asset deal sera, très souvent, plus onéreux que le share deal.

Les droits d'enregistrement dus en cas de cession d'un fonds de commerce, ont été réformés par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR). Ils étaient, auparavant, fixés à 5 % du montant du prix négocié par les parties et des immobilisations, pour tout montant égal ou supérieur à 23 000 euros. Ils sont, désormais, de 3 %, lorsque ce montant est fixé entre 23 000 et 200 000 euros et de 5 %, au-delà, sans plafond. Les droits d'enregistrement prélevés au titre de la cession de titres sont, quant à eux de 3 % de la valeur des actions vendues, avec un plafond de 5 000 euros par cession (à l'exception des sociétés à prépondérance immobilière, spécialité française, demeurant soumises à un droit de 5 % non plafonné).

Dès lors, le taux d'imposition, en cas de cession de fonds de commerce, sera plus favorable à celui de la cession de titres, uniquement dans l'hypothèse où le montant du prix et des immobilisations est inférieur ou égal à 23 000 euros.

L'imposition des plus-values réalisées par le fonds de commerce cédé et celle des plus-values afférentes aux titres sont, pour leur part, équivalentes. Dans les deux cas, le taux global d'imposition est de l'ordre de 33,33 % à 34,43 %. Toutefois, il existe une exonération importante, dans le cadre d'un share deal, qui n'a pas d'équivalent en cas de cession de fonds de commerce : lorsque les titres cédés sont détenus depuis plus de deux ans avant la cession et qu'ils correspondent à des titres de participation d'un point de vue comptable (ces conditions étant cumulatives), seulement 5 % de la plus-value sera taxée à 33,33 %. Ici encore les sociétés à prépondérance immobilière font exception.

Lexbase : Existe-t-il des moyens permettant de limiter la prise de risques dans le cadre d'un share deal ?

Jean-Marc Grosperrin : Il existe, en effet, des outils qui permettent de limiter la prise de risques de l'acquéreur, dans le cadre d'une cession de droits sociaux. La garantie de passif en est l'élément phare, mais le temps requis par les audits et leurs coûts sont relativement contraignants. Par ailleurs, il faut bien reconnaître qu'il est toujours plus simple de traiter un problème en amont, que dans le cadre d'un contentieux. Or, de telles conventions génèrent, indéniablement, des litiges. Enfin, l'efficacité de ces conventions ne se cantonne pas au rapport de force entre les parties, mais dépendra beaucoup de leur vigilance et de leur rigueur, ainsi que celles de leurs conseils, lors de leur élaboration. En d'autres termes, le vendeur devra toujours faire ses meilleurs efforts, dans son propre intérêt comme dans celui de l'acquéreur, pour s'assurer que ses déclarations et garanties sont exactes. Cet exercice contraignant, mais nécessaire à la prévention des litiges, doit se faire au moment de la négociation de la garantie de passif.

Les contrats de garantie de passif ont atteint, en France, un degré important de sophistication, permettant une "hyper-identification" du risque, et sont, désormais, relativement standardisés. La plupart d'entre eux sont dérivés des contrats anglo-saxons, qui inondent le marché depuis ces vingt dernières années. Ceux-ci comportent des déclarations très nombreuses et détaillées, qui peuvent, parfois, ne pas être bien appréhendées par les dirigeants qui en seront les auteurs. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que ce n'est pas tant l'objet sur lequel portent les déclarations ou le nombre de déclarations figurant dans le contrat qui importe, que le montant d'indemnisation fixé et la durée pendant laquelle celle-ci peut être demandée. Ainsi, des dizaines, voire des centaines de déclarations ne pallieront pas l'absence de seuil et/ou de plafond d'indemnisation, ni une durée de couverture de seulement six mois, par exemple. La pratique la plus courante, toutefois en matière fiscale, consiste à faire correspondre la durée des garanties avec les prescriptions applicables. On trouve, également, de façon récurrente, ce principe en matière de propriété des titres. Pour les autres matières, la durée varie généralement entre dix-huit mois et trois ans.

Enfin, parallèlement à l'exercice des garanties de passif, les acquéreurs ont, également, recours à des actions fondées sur le dol. Grande Arlésienne de la matière, ce fondement sera, souvent, invoqué par l'acquéreur, lorsque les termes de la convention ne permettront pas de recours sur le fondement de la garantie de passif.

Lexbase : Existe-t-il des inconvénients à l'asset deal ?

Jean-Marc Grosperrin : Bien entendu, l'asset deal ne présente pas que des avantages, mais les inconvénients sont peu nombreux et, outre la fiscalité, n'influent pas, en réalité, sur la décision du repreneur de procéder à ce type d'opération. Ils tiennent, notamment, au formalisme rigoureux et à sa sanction. Le contrat de cession de fonds de commerce répond à un formalisme très strict. Il doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires, à peine de nullité. Le vendeur et l'acquéreur doivent élaborer ensemble la liste complète et détaillée des actifs transmis ; cette liste doit être établie avec une grande vigilance, afin de s'assurer du périmètre des actifs transférés.

Il faut, également, garder à l'esprit que les créanciers peuvent faire opposition pendant les dix jours à compter de la seconde publication de l'opération au Bodacc -sauf en matière fiscale, où ce délai est porté à quatre mois-, délais pendant lesquels le vendeur et l'acquéreur sont solidairement tenus des dettes. Pour faire face aux mauvaises surprises, la pratique impose, de longue date, de séquestrer le prix. S'il est, toutefois, difficile de négocier l'absence de séquestre, la durée de celui-ci est, généralement, écourtée.

En outre, l'asset deal peut impliquer une cession de l'immeuble d'exploitation (supposant de la documentation, le recours à un notaire et des coûts supplémentaires), lorsque l'activité l'exige et que l'immeuble appartient au cédant. Celui-ci peut, toutefois, également, décider de louer les locaux. S'il n'est que locataire, le problème ne se posera pas, puisque le droit au bail sera cédé dans le cadre de la cession de fonds de commerce.

Enfin, il convient, dans ce cas, de purger le droit de préemption des communes (institué par l'article 58 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises [LXB=7582HEK]), qui, en pratique, reste très théorique dans son exercice, et procéder à la consultation du comité d'entreprise ou des représentants du personnel (cette condition en matière sociale s'appliquant également au share deal).

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