Réf. : Cass. soc., 4 juin 2009, n° 07-43.198, M. Jacques Jacqueton c/ Société HSBC Hervet, FS P+B (N° Lexbase : A6206EHC)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et, à défaut, d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l'objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années antérieures. La cour d'appel, qui a constaté que le contrat de travail prévoyait expressément, au titre de la rémunération variable, que le salarié devait bénéficier d'une prime de performance annuelle au titre du système de rémunération en vigueur au sein de la banque sur lequel l'employeur ne communiquait aucun élément, a pu décider que le salarié avait droit à ce titre au paiement de la prime calculée selon les mêmes critères que les années antérieures. |
Commentaire
I - Le rôle du juge dans la fixation de la rémunération du salarié en cas de désaccord avec son employeur
La rémunération versée au salarié peut résulter du contrat de travail ou de la convention collective applicable dans l'entreprise, plus rarement d'usages. Lorsque cette rémunération comporte une part variable, généralement assise sur les résultats du salarié, se posera la question des modalités de détermination des objectifs liés au salarié.
A défaut de dispositions particulières, il a été admis que l'employeur pouvait, dans le cadre de son pouvoir de direction, les fixer unilatéralement (1), sous réserve qu'ils soient "raisonnables et compatibles avec le marché" (2) et d'exercer ce pouvoir de fixation de bonne foi (3), tout en donnant au salarié les moyens de les atteindre (4). Une telle clause est valable, "dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels" (5).
Le contrat peut, également, stipuler que la fixation des objectifs fera l'objet d'un accord avec le salarié, généralement dans le cadre de l'évaluation annuelle de ses compétences et résultats.
A défaut d'accord, l'employeur ne peut fixer unilatéralement les objectifs sans modifier unilatéralement le contrat de travail (6).
En l'absence d'accord entre l'employeur et le salarié, il appartient au juge de fixer la rémunération (7) en fonction, le cas échéant, des usages dans l'entreprise et dans la profession (8) ou, à défaut, en fonction des données de la cause (9).
C'est ce que confirme ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 juin 2009.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé, en 2001, en qualité de directeur de succursale bancaire avant d'être licencié, en 2004, pour insuffisance professionnelle. Il avait, pour la première année, bénéficié d'une prime de performance, mais pas les années suivantes faute d'accord intervenu avec le salarié sur les objectifs à atteindre. La cour d'appel avait donné raison au salarié et condamné l'entreprise à lui verser, pour les trois années de présence où il avait été privé de la prime, l'équivalent des sommes perçues la première année.
Dans son pourvoi, le demandeur considérait que ce que les juges avaient, à tort, qualifié de "prime de performance" n'était, en réalité, qu'"un complément ponctuel à la rémunération fixe", ce qui interdisait d'en reconduire le principe et le montant sur les années ultérieures.
Après avoir rappelé "que, lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et, à défaut, d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l'objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années antérieures", la Haute juridiction constate, avec la cour d'appel, "que le contrat de travail prévoyait expressément au titre de la rémunération variable que le salarié devait bénéficier d'une prime de performance annuelle au titre du système de rémunération en vigueur au sein de la banque" et que "le salarié avait droit à ce titre au paiement de la prime calculée selon les mêmes critères que les années antérieures".
Cette solution est parfaitement justifiée. Dès lors que le principe du droit à la prime a été vérifié et que les parties ne sont pas parvenues à se mettre d'accord sur les objectifs du salarié, la solution la plus simple et la plus juste, pour le juge, est de s'en tenir à la pratique des parties des années précédentes, au titre d'une forme de maintien des avantages acquis.
II - La marge de manoeuvre de l'employeur
L'employeur est, en matière de rémunération, dans une situation très favorable puisqu'il détient le plus souvent les éléments dont le salarié aurait besoin pour déterminer l'étendue de ses droits. La jurisprudence a logiquement considéré que, lorsque le montant de la rémunération dépendait d'éléments détenus par l'employeur, ce qui est généralement le cas lorsque ce montant varie avec l'importance du chiffre d'affaire réalisé, alors l'employeur doit communiquer au salarié ces éléments (10). D'une manière comparable, l'employeur doit faire connaître au salarié "les règles déterminant l'octroi" des avantages dont il doit bénéficier, de manière à permettre une "vérification par les salariés non attributaires", qui s'inquiéteraient du respect du principe "à travail égal, salaire égal" (11).
Il ressort, également, de cet arrêt en date du 4 juin 2009 que l'employeur doit communiquer au juge les éléments qui lui permettraient de déterminer le montant de la prime du salarié, à défaut d'avoir pu trouver un accord avec lui lors de la fixation de ses objectifs annuels, s'il veut échapper à la reproduction mécanique du niveau de la rémunération antérieure. Ce n'est qu'à défaut d'informations communiquées par l'employeur sur le "système de rémunération en vigueur au sein de la banque" que le juge avait reconduit, par défaut, le montant des années antérieures. Le principe de la reconduction à l'identique des montants adoptés les années antérieures constitue donc une solution de secours ; le juge pourrait, en effet, parfaitement fixer le montant des sommes dues au salarié à un niveau inférieur à celui des années précédentes, à condition, toutefois, de s'en justifier.
(1) Cass. soc., 22 mai 2001, n° 99-41.838, Société des expertises Galtier c/ M. Benoît Farrouilh (N° Lexbase : A5360AGM), JCP éd. G, 2002, II, 10066, note V. Renaux-Personnic.
(2) Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.028, M. Evrard c/ Société Samsung information systems et autre, publié (N° Lexbase : A4728AG9) ; Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-42.371, Mme Ders c/ Société Affichage Giraudy, publié (N° Lexbase : A7799AHC), Dr. soc., 2001, p. 99, obs. P. Waquet ("réaliste").
(3) Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-41.263, M. Christophe Barreau, FS-D (N° Lexbase : A6852DTX).
(4) Cass. soc., 10 février 2004, n° 01-45.216, M. Georges Arbona c/ Société KPMG Fiduciaire de France, FS-P+B (N° Lexbase : A2693DBD) et nos obs., L'employeur doit prouver qu'il a fourni au salarié les moyens de réaliser la prestation de travail pour laquelle il était engagé, Lexbase Hebdo n° 108 du 18 février 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0558ABB).
(5) Cass. soc., 2 juillet 2002, n° 00-13.111, M. Robert Saucier c/ Société Fiduciaire juridique et fiscale de France (Fidal), publié (N° Lexbase : A0669AZS), Dr. soc., 2002, p. 998, et les obs..
(6) Cass. soc., 30 mai 2000, n° 97-45.068, Société Canon France c/ M. Le Gac et autre, publié (N° Lexbase : A8730AHS) ; Cass. soc., 16 juin 2004, n° 01-43.124, Société Les Biscottes Roger c/ M. Jean Dailliez, FS-P (N° Lexbase : A7322DC8).
(7) Cass. soc., 22 mai 1995, n° 91-41.584, M. Von Oertzen c/ Editions Weka (N° Lexbase : A0893ABP), Bull. civ. V, n° 161 ; Cass. soc., 20 octobre 1998, n° 96-40.908, Société SVP c/ M. Cahuzac (N° Lexbase : A5611ACS), Bull. civ. V, n° 436 ; Cass. soc., 26 octobre 1999, n° 98-41.521, Société Reprotechnique c/ Mel Younsi (N° Lexbase : A5567AW4) : "le droit à une rémunération variable résultait du contrat de travail ; [...] à défaut d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombait au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes" ; Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 02-14.140, Mlle Isabelle Monsenego c/ Société d'avocats JSD Ernst-Young, FS-P+B (N° Lexbase : A5567AW4) : "lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et à défaut d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l'objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années antérieures" ; Cass. soc., 22 mars 2007, n° 05-44.902, Société Idestyle technologie, F-D (N° Lexbase : A7475DUE) : "attendu, cependant, que, lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et, à défaut, d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l'objectif de résultat dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années précédentes" ; Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-45.608, M. Yann Vlassoul, F-D (N° Lexbase : A2029EEU) ; Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-43.778, Mme Virginie Lezla, F-D (N° Lexbase : A6210EHH).
(8) Cass. soc., 18 mars 2003, n° 00-45.664, Mme Ginette Fitoussi c/ M. Christophe Ancel, inédit (N° Lexbase : A5474A7U) ; Cass. soc., 22 mars 2007, n° 05-44.902, préc. (si l'objectif de résultat dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années précédentes) ; Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 06-43.345, Association Ligue pour l'adaptation du diminué physique au travail (LADAPT), FS-P+B (N° Lexbase : A7475DUE) (le "point AFPA" disparu, il appartient aux juges de rechercher quelle aurait été la valeur de ce point tant que l'usage qui s'y référait pour déterminer l'évolution de la rémunération n'avait pas été dénoncé, ni remplacé par un accord au même objet).
(9) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-41.428, M. Christophe Torikian, F-D (N° Lexbase : A6422EHC) : "lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et, à défaut, d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et, à défaut, des données de la cause".
(10) Cass. soc., 18 décembre 2001, n° 99-43.538, M. Gérard Wolff c/ M. Bor, FS-P+B (N° Lexbase : A7229AXZ) ; Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.910, Société Corporate Express, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2113D97) : "le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail ; [...] la cour d'appel a constaté que les salariés se trouvaient dans l'impossibilité de vérifier la justesse de leur rémunération faute pour l'employeur de leur en communiquer l'ensemble des bases de calcul et, qu'au surplus, la société n'avait jamais appliqué, dans la réalité, le coefficient multiplicateur unique de marge qu'elle indiquait avoir retenu" (lire les obs. de S. Tournaux, La rémunération, toujours et encore plus contractuelle !, Lexbase Hebdo n° 311 du 2 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4903BGP). Même solution lorsque le droit du salarié résulte d'un engagement unilatéral de l'employeur : Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-40.709, Mme Martine Barbier, épouse Pellen, FS-D (N° Lexbase : A4985EAU) et nos obs., Chose promise, chose due ! Nouvelles précisions jurisprudentielles relatives au régime des primes versées en vertu d'un engagement unilatéral de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 323 du 23 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4820BHY).
(11) Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-41.879, M. Flavien Bru, inédit (N° Lexbase : A7241EBS).
Décision
Cass. soc., 4 juin 2009, n° 07 43.198, M. Jacques Jacqueton c/ Société HSBC Hervet, FS P+B sur le second moyen du pourvoi principal (N° Lexbase : A6206EHC) Rejet CA Paris, 22ème ch. sect. B, 7 mai 2007, n° 05/08607, M. Jacques Jacqueton c/ Société HSBC Hervet (N° Lexbase : A9710DXW) Texte concerné : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots clef : rémunération ; part variable ; désaccord des parties ; rôle du juge Lien base : |
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