La lettre juridique n°356 du 25 juin 2009 : Marchés publics

[Questions à...] Transposition de la Directive "recours" par l'ordonnance du 7 mai 2009 : "A armes égales" - Questions à Maître Marc Richer, avocat associé du cabinet Richer, spécialisé en droit des marchés publics

Lecture: 9 min

N6714BKU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Transposition de la Directive "recours" par l'ordonnance du 7 mai 2009 : "A armes égales" - Questions à Maître Marc Richer, avocat associé du cabinet Richer, spécialisé en droit des marchés publics. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211836-questions-a-transposition-de-la-directive-recours-par-lordonnance-du-7-mai-2009-a-armes-egales-quest
Copier

par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

"Le temps des armes n'est pas celui des lois" (1). Jusqu'il y a peu, cette assertion de Plutarque, si juste, pouvait être renversée, avec tout autant de justesse, concernant les recours ouverts aux candidats évincés des procédures de passation des marchés publics : le temps des lois n'est pas, nécessairement, celui des armes. Les contestations prévues par la loi en la matière étaient, en effet, limitées. Le candidat évincé ne disposait que du seul référé précontractuel, pour attaquer la procédure d'attribution du marché. Celui-ci ne peut être intenté que préalablement à la signature du contrat et seulement pour des motifs ayant trait à la mise en concurrence et à la publicité. La jurisprudence s'est employée, tant bien que mal, à combler les failles : elle a reconnu la possibilité d'attaquer la procédure de passation une fois le contrat signé, dans le cadre du recours "Tropic" (2), sans réduire la contestation aux seules problématiques de publicité et de mise en concurrence. Mais, qu'il s'agisse du référé précontractuel, comme du recours "Tropic", si le législateur et le juge posent de grands principes, ceux-ci ne sont pas nécessairement applicables en pratique, voire appliqués. Ainsi, concernant le premier recours, des délais très courts, totalement déconnectés de la vie des affaires, régissaient la procédure, atteignant considérablement l'efficacité du contentieux. Le recours "Tropic" est, quant à lui, dissuasif, compte tenu de sa lourdeur et de son coût. La théorie est une chose, la pratique en est une autre. L'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L7337H37) (3), saluée par les professionnels, modifie, fort heureusement, la donne : elle étend, notamment, le champ des contestations, en introduisant un nouveau recours, le référé contractuel. Désormais, la procédure de passation pourra être attaquée, en référé, aussi bien avant, qu'après la conclusion de l'opération, pour des motifs comparables. En outre, le texte introduit, enfin, des délais réalistes, cohérents avec la vie des affaires. L'équilibre entre la théorie et la pratique serait-il trouvé ?

L'ordonnance transpose la Directive "recours" (4) environ six mois avant la date butoir imposée aux Etats, mais diffère l'entrée en vigueur du nouveau régime : le texte s'applique aux contrats pour lesquels une consultation aura été engagée à compter du 1er décembre 2009. Peut-être le législateur souhaite-t-il ce laps de temps pour donner la parole à la doctrine, aux candidats et à leurs conseils, en vue d'une éventuelle amélioration du dispositif ? L'occasion nous en étant donnée,, Lexbase Hebdo - édition publique a fait le point avec Maître Marc Richer, avocat associé du cabinet Richer, cabinet spécialisé dans les contrats publics, sur les conséquences pratiques de l'ordonnance quant à l'effectivité des recours ouverts aux candidats évincés.

Lexbase : L'ordonnance a modifié le régime applicable au référé précontractuel, en instaurant, notamment, une période d'interdiction de signature automatique en cas de saisine du juge des référés. Quels sont les objectifs poursuivis ?

Marc Richer : Les nouveaux articles L. 551-4 (N° Lexbase : L1601IEZ) et L. 551-9 (N° Lexbase : L1566IEQ) du Code de justice administrative, introduits par l'ordonnance du 7 mai 2009, qui concernent respectivement les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices, disposent, en effet, que "le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification [à ces derniers] de la décision juridictionnelle".

Il faut savoir que sous l'empire du régime antérieur, pour contester efficacement et rapidement la passation du contrat, les candidats évincés ne disposaient que du référé précontractuel, celui-ci devant être introduit avant la signature du contrat, la saisine étant, à défaut, irrecevable.

Pour interrompre le processus de passation du contrat, le candidat évincé devait obtenir du juge qu'il rende une première ordonnance enjoignant à l'acheteur public de ne pas signer pendant une période de vingt jours maximum.

Or, le prononcé de cette première ordonnance pouvait, selon les juridictions, intervenir à l'issue d'un délai très inégal, de quelques heures à quelques jours selon les tribunaux !

Il s'agissait d'un véritable obstacle matériel à l'exercice du référé précontractuel, puisque celui-ci, déposé dans les temps, avant l'expiration du délai d'attente de dix jours dit période de stand still entre la notification du rejet de l'offre et la signature du contrat, pouvait aboutir à un non lieu.

Quant à la violation de la période de standstill, prévue à l'article 80-I du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2691ICN), qui dispose qu'"un délai d'au moins dix jours est respecté entre la date à laquelle la décision de rejet est notifiée aux candidats dont l'offre n'a pas été retenue et la date de signature du marché ou de l'accord-cadre", elle ne pouvait être sanctionnée que par un recours au fond dont la durée est totalement déconnectée de la vie économique (de deux à six ans selon les juridictions !). La règle énoncée à l'article 80-I n'en devenait, finalement, que théorique. Le Conseil d'Etat, en admettant le référé-suspension contre les marchés signés en violation de ce délai, avait marqué un progrès.

Ce problème est réglé, aujourd'hui, avec l'introduction du référé contractuel et l'obligation du juge de prononcer la nullité du contrat signé, si les périodes de standstill (énoncées aux articles L. 551-4 et L. 551-9 du Code de justice administrative et 80-I du Code des marchés publics) ont été violées.

L'ordonnance du 7 mai 2009 a, également, amélioré significativement le régime du référé précontractuel, en prévoyant, que "le juge ne peut statuer avant un délai fixé par voie réglementaire" (CJA, art. L. 551-11 N° Lexbase : L1578IE8). Grâce à cette disposition, toutes les saisines des candidats évincés pourront être prises en compte dans le cadre de la procédure, ainsi que l'indique le rapport au président de la République, relatif à l'ordonnance du 7 mai 2009 : "le principe d'un délai pendant lequel le juge ne peut statuer a pour objet de faire en sorte qu'il ne statue que lorsque tous les recours ont été déposés". Le recours est, ainsi, optimisé, puisque le juge statuera au vu de l'ensemble des moyens soulevés par tous les requérants. Il est, ainsi, mis fin à l'incroyable cacophonie qui accompagnait la passation de certains gros contrats, donnant lieu à deux, trois, voire quatre procédures de référé précontractuel déposées sur un délai d'une semaine, parfois la veille de l'audience concernant la première procédure !

Lexbase : L'ordonnance introduit, également, un nouveau recours, le référé contractuel, dont le dispositif est très similaire à celui du référé précontractuel. Peut-on, désormais, considérer que le candidat évincé a à sa disposition l'ensemble des moyens lui permettant de contester efficacement une passation de marché irrégulière ?

Marc Richer : L'introduction du référé contractuel complète, en effet, opportunément les recours déjà ouverts aux candidats évincés. Surtout, il pallie les inconvénients du recours "Tropic", en tout cas pour les contestations ayant trait aux règles de publicité et de mise en concurrence. En particulier, dans le cadre de ce recours, le candidat évincé ne peut espérer obtenir un jugement, au mieux, que dans les deux ans à compter de la saisine du juge. Il arrive, même souvent, que le contrat ait entièrement épuisé ses effets avant que le juge ne statue.

La longueur de la procédure décourage, donc, la plupart de nos clients, qui attendent des délais compatibles avec la réalité économique du terrain. Et, même si les parties peuvent introduire, depuis la jurisprudence "Tropic", un référé suspension contre le contrat signé, il faut savoir que l'urgence, qui doit nécessairement être démontrée dans ce type de référé, n'a jamais été retenue par les juges, sauf en cas de signature sans avoir laissé le temps d'introduire un référé précontractuel. La jurisprudence "Tropic", si elle a été considérée comme un grand progrès d'un point de vue théorique, est, en réalité, une révolution avortée pour les praticiens, d'un point de vue essentiel dans la vie économique : le délai.

Pour autant, ce recours "Tropic" présente, tout de même certains avantages pour ceux qui auront la patience d'attendre quelques années : il ne se limite pas aux contestations relatives à la mise en concurrence ou à la publicité, mais est, au contraire, ouvert quelque soit le grief soulevé et quelque soit le contrat en cause. Des dommages et intérêts peuvent, en outre, être alloués, ce qui est exclu dans le cadre des référés précontractuel et contractuel. Enfin, le délai, de deux mois à compter de la signature du contrat, laissé au candidat évincé pour saisir le juge, est un avantage supplémentaire pour le candidat évincé. L'ordonnance du 7 mai 2009 ne prévoit, quant à elle, aucun délai pour saisir le juge des référés contractuels, le texte se bornant à énoncer que "le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5 d'un recours régi par la présente section ". Il avait été question, lors de l'élaboration du texte, de fixer le délai de saisine à un mois à compter de la publication d'un avis d'attribution et à six mois à compter de la signature du contrat, pour les contrats ne faisant pas l'objet d'un tel avis. Le décret d'application du texte éclaircira peut-être ce point.

Lexbase : Quant aux pouvoirs laissés au juge, ne sont-ils pas, à vos yeux, trop importants ?

Marc Richer : Les pouvoirs du juge diffèrent, selon que le référé est précontractuel ou contractuel. Néanmoins, ils restent importants dans les deux cas, ce qui est une bonne chose, tout du moins, du point de vue du candidat évincé.

Dans le cadre du référé précontractuel, ses pouvoirs ont, depuis toujours, été potentiellement très importants. Il s'agit de pouvoirs de pleine juridiction lui permettant d'enjoindre à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations, d'annuler la procédure de passation, la suspendre ou la reprendre où et quand il le souhaite.

La théorie du "bilan", annoncée par la jurisprudence communautaire (4), et introduite par l'ordonnance du 7 mai 2009, offre, en outre, au juge un pouvoir supplémentaire de modulation quant aux sanctions applicables, s'il "estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages". Enfin, le texte permet au juge de prononcer des mesures d'office, alors même que les moyens n'auraient pas été soulevés par les requérants.

Dans le cadre du référé contractuel, les pouvoirs du juge sont plus limités. Il "dispose du pouvoir de prononcer la nullité du contrat, de décider de son abrégement ou de prononcer des pénalités financières [...], ses pouvoirs [étant néanmoins] encadrés, au regard de la gravité des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence" (5). Par ailleurs, le législateur lui impose de prononcer l'annulation du contrat dans un certain nombre de cas. Pour autant, celui-ci pourra, toujours, écarter l'annulation, si des "raisons impérieuses d'intérêt général" le justifient (6).

Cet encadrement très strict de la procédure de passation des commandes publiques est opportun, il contraint l'administration à encore plus de rigueur et de vigilance.

Lexbase : La France a-t-elle choisi une transposition de la Directive "recours" a minima, fidèle ou le texte dépasse-t-il les exigences fixées au niveau communautaire ?

Marc Richer : L'ordonnance du 7 mai 2009 transpose efficacement la Directive "recours", allant même, sur certains points, bien plus loin que les exigences posées par le droit communautaire. Il en va, notamment, ainsi, de la suspension automatique de la procédure de passation en cas de saisine du juge des référés précontractuels et de l'impossibilité pour le juge de statuer avant l'écoulement d'un certain délai, afin que tous les recours puissent être déposés et pris en compte.

Certes, cette ordonnance ne révolutionne pas la matière.

Mais elle apporte des ajustements concrets que l'avocat spécialisé en droit des contrats publics, professionnel de terrain, apprécie. Il est évident que dans certaines situations, cette ordonnance sauvera le droit à un recours effectif de candidats évincés.


(1) Plutarque, extrait de la Vie des hommes illustres.
(2) CE Contentieux, 16 juillet 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation (N° Lexbase : A4715DXW).
(3) Lire F. Brenet, La transposition de la Directive "recours" par l'ordonnance du 7 mai 2009 : entre modernisation et innovation, Lexbase Hebdo n° 113 du 28 mai 2009 - édition publique (N° Lexbase : N4450BKZ).
(4) Directive (CE) 2007/66 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 (N° Lexbase : L7337H37), modifiant les Directives (CE) 89/665 du 21 décembre 1989 (N° Lexbase : L9939AUN) et 92/13 du 25 février 1992 (N° Lexbase : L7561AUL), en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, dite Directive "recours".
(5) CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-503/04, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A4387DXR).
(6) Rapport au président de la république relatif à l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

newsid:356714