La lettre juridique n°356 du 25 juin 2009 : Propriété intellectuelle

[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Maître Nathalie Biltz, Avocat au Barreau de Paris, Lamy & Associés - Juin 2009

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[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Maître Nathalie Biltz, Avocat au Barreau de Paris, Lamy & Associés - Juin 2009. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211830-chroniquelachroniquededroitdelaproprieteintellectuelledebmaitrenathaliebiltzavocatau
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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Maître Nathalie Biltz, Avocat au Barreau de Paris, Lamy & Associés. Internet et plus particulièrement les spécificités techniques liées à ce réseau ont retenu fortement l'attention des juges ces derniers mois. La perpétuelle évolution technique du web, offrant par là même des ressources insoupçonnées jusqu'alors aux prestataires techniques, met cependant à mal le cadre législatif établi en la matière et rend âpre la tâche des magistrats parisiens.
A ce titre, les décisions suivantes méritent une attention particulière :
- dans un jugement du 7 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Paris a retenu la responsabilité d'un prestataire de liens commerciaux sur le fondement des dispositions civiles de droit commun ;
- dans une décision du 6 mai 2009, la cour d'appel de Paris a, quant à elle, rappelé, avec fermeté, le cadre légal issu de la loi pour la confiance numérique relatif à la responsabilité des éditeurs et des hébergeurs.
Les difficultés rencontrées par les magistrats concernent, également, l'application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW) à des propos publiés sur internet. Si des solutions d'espèce ont émergé face aux problèmes posés, une tendance majoritaire se dessine à l'image de l'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 janvier dernier. Si ces efforts d'éclaircissement sont nécessaires, il semblent malheureusement vains au regard des évolutions constantes d'internet, mais n'est-ce pas le lot du pouvoir judiciaire et législatif que d'adapter des règles de droit aux problèmes actuels de notre société ?
  • La responsabilité du prestataire de liens commerciaux engagée sur le fondement de du droit commun (TGI Paris, 3ème ch., sect. 3, 7 janvier 2009, n° 06/15309, SA Voyageurs du Monde, SA Terres d'aventure c/ Google France, Google Inc., Google Ireland Limited N° Lexbase : A6296EC8)

Le service proposé par la société Google via son service Adwords, et plus généralement la pratique des liens commerciaux, viennent de faire l'objet d'une nouvelle décision, rendue par le tribunal de grande instance de Paris dans un jugement du 7 janvier 2009, opposant notamment la société Voyageurs du Monde à la société Google.

Les précédentes jurisprudences (1) en la matière étaient partagées entre, d'une part, sanctionner l'activité de Google via son service publicitaire sur le terrain de la contrefaçon et, d'autre part, la sanctionner sur le terrain de la responsabilité civile.

Il apparaît aujourd'hui, comme le confirme le jugement du 7 janvier 2009, que les juges semblent manifestement se tourner vers une solution qui vise à sanctionner la pratique des liens commerciaux sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) au détriment des dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à la contrefaçon. En outre, les juges tendent, désormais, à condamner les prestataires de liens commerciaux sur le fondement de la publicité mensongère.

1 - L'absence de condamnation sur le fondement de la contrefaçon

A l'image de nombreuses décisions rendues précédemment, le tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement du 7 janvier 2009, a considéré que la société Google n'était pas contrefacteur lorsqu'elle propose des noms de marque dans sa liste de mots clés via son service Adwords. Cette solution repose sur le raisonnement suivant : lorsque l'annonceur choisit comme mot clé un nom de marque, la société Google n'a aucun moyen de savoir, a priori, si ce dernier est le titulaire de la marque ou, à tout le moins, s'il est investi d'un droit d'utilisation sur la marque en vertu d'un contrat de licence ou de distribution conclu avec le titulaire de la marque.

C'est pourquoi, le tribunal de grande instance de Paris considère qu'"il ne saurait être reproché aux sociétés Google de contrefaçon de marque ; ces actes illicites ne sont constitués que lorsque l'annonceur a choisi l'une de ces dénominations comme mot clef sans avoir l'autorisation du titulaire. En associant comme résultat à une requête à partir du nom commun d'un produit ou un service une marque visant dans leur enregistrement ce produit ou ce service, la société Google ne fait pas un usage illicite de celle-ci car lorsque l'outil suggère le nom d'une marque, Google ne sait pas a priori si l'annonceur va choisir cette marque et dans l'hypothèse d'un choix si son client est autorisé à l'utiliser, par exemple en tant que distributeur de produits authentiques ou licenciés".

La solution retenue par les magistrats semble devoir être approuvée. D'ailleurs, d'autres arguments viennent conforter la solution retenue et plus particulièrement un argument juridique qui s'appuie sur les dispositions du Code de la propriété intellectuelle. En effet, l'article L. 713-2 (N° Lexbase : L3729ADH) dispose que : "Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : a) la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : formule, façon, système, imitation, genre, méthode', ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ; b) la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée".

C'est ainsi que sur ce fondement, le tribunal de grande instance de Paris a considéré, à de nombreuses reprises, que le fait de "proposer un mot-clé à un annonceur ne réalise pas un acte de contrefaçon ; qu'en effet si Google utilise la marque pour référencer et présenter les liens commerciaux de l'annonceur, cet usage du signe ne s'accompagne d'aucune proposition de produits ou services visés à l'enregistrement de la marque opposée mais participe d'une activité de prestataire de services de publicité ; que l'identité de services à ceux désignés dans l'enregistrement exigée par l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle n'est donc pas réalisée" (2).

Les magistrats du TGI de Paris semblent ainsi vouloir mettre en avant le fait que seul l'annonceur peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la contrefaçon. En effet, ces derniers réitèrent, à plusieurs reprises, que "seul l'annonceur qui sait qu'il n'est pas autorisé à utiliser la marque choisie comme mot-clé commet par ce choix un acte de contrefaçon puisque le public concerné à savoir l'internaute qui tape le mot-clé va mettre en relation les produits ou services qu'il propose sur son annonce avec la marque lors de l'affichage des résultats".

Il peut apparaître regrettable que les annonceurs qui ont, en pratique, nécessairement une part de responsabilité, puisque ce sont eux qui, en définitive, choisissent les mots-clés afin de référencer leur site internet, ne soient que très rarement mis en cause par les sites internet qui se prétendent victimes. En effet, on peut penser que, si ces derniers étaient systématiquement poursuivis et sanctionnés pour contrefaçon de marque, nombre d'entre eux seraient désormais découragés de retenir comme mots clés des noms protégés au titre du droit des marques.

Par conséquent, la décision du 7 janvier 2009 du TGI de Paris, qui refuse de sanctionner le moteur de recherche sur le fondement de la contrefaçon, confirme la solution qui tend à retenir la responsabilité des prestataires de liens commerciaux sur le fondement de la responsabilité civile.

2 - La condamnation sur le terrain de la responsabilité civile

Aux termes du jugement du 7 janvier 2009, les magistrats parisiens considèrent que : "Google commet une faute sur le fondement de 1382 du code civil en ne vérifiant pas après le choix par l'annonceur d'un mot-clé constituant une marque ou une dénomination sociale ou un nom de domaine que cette utilisation par l'annonceur est licite tant au regard du droit des marques qu'au regard des règles de loyauté du commerce". Les juges reprochent ainsi au moteur de recherche de ne pas avoir pris de "mesures de précaution" et considèrent qu'"il appartient à Google de mettre en place tous les moyens techniques possibles et disponibles" afin de permettre un filtrage efficace des requêtes donnant l'affichage de liens commerciaux illicites. Ces reproches ont déjà été formulés précédemment en jurisprudence, il reste cependant à déterminer, techniquement, quels procédés pourraient être mis en place par les prestataires de liens commerciaux. En tout état de cause, Google ne semble pas encore y être parvenu et son système de "TM Monitor liste" n'apparaît pas suffisant pour protéger les droits des titulaires de marque.

En outre, contrairement aux nombreuses affaires où son service Adwords a été mis en cause, la société Google ne semble pas, en l'espèce, avoir invoqué le bénéfice du régime de responsabilité allégée issu de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (loi n° 2004-575, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC, ci-après "LCEN") qui, jusqu'à aujourd'hui, lui a presque systématiquement été refusé (3).

En effet, dans les précédentes affaires où elle a été mise en cause, la société Google a tenté de bénéficier de l'application des dispositions de l'article 6-I, alinéa 2, de la "LCEN" en faisant valoir qu'elle n'exerçait qu'une "simple activité de prestataire de stockage d'informations et que l'activité publicitaire proposée aux annonceurs sous le termes Adwords consisterait en une simple prestation de stockage d'informations, de sorte qu'elle ne pourrait générer une responsabilité que dans l'hypothèse où, ayant été saisie par une autorité judiciaire, il n'a pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu". La société Google tentait ainsi de démontrer qu'elle ne jouait qu'un rôle purement passif et neutre dans la mise à disposition de son service Adwords.

Toutefois, dans les précédentes affaires, les juges ont systématiquement rejeté les arguments de la société Google notamment en considérant que cette dernière ne se bornait pas à assurer une prestation de stockage d'informations.

Ils distinguent ainsi nettement le service de moteur de recherche où la société Google joue un rôle purement passif, de son activité de régie publicitaire où cette dernière joue activement un rôle en organisant la rédaction des annonces, en décidant de leur présentation et de leur emplacement, en mettant à disposition des annonceurs des outils informatiques destinés à modifier la rédaction de ces annonces ou la sélection des mots clés et en incitant les annonceurs à augmenter la redevance publicitaire afin d'améliorer la position de leur annonce.

Cette solution a été très largement approuvée en doctrine et réitérée en jurisprudence dès lors que, d'une part, ni les moteurs de recherche, ni les prestataires de services de liens commerciaux, ne sont expressément visés par les dispositions de la "LCEN" et que, d'autre part, l'application du régime allégé de responsabilité issu de ce texte se justifie par le rôle passif joué par les prestataires techniques de l'internet, ce qui n'est manifestement pas le cas du service de régie publicitaire proposée par la société Google via son service Adwords.

Ces arguments systématiquement opposés à la société Google peuvent expliquer l'absence de toute demande formulée sur ce fondement par la société défenderesse.

Mais encore, cette absence n'est peut-être pas sans lien avec les trois arrêts de la Cour de cassation du 20 mai 2008 (4) ayant donné lieu à un renvoi en interprétation devant la Cour de justice des Communautés européennes des textes communautaires dont sont notamment issues les disposions de la "LCEN" concernant le régime de responsabilité des prestataires techniques de l'internet. En effet, les arrêts préjudiciels de la Cour de justice en la matière sont particulièrement attendus par l'ensemble des professionnels du secteur de l'internet, et peut expliquer l'absence de demande formulée sur ce point par Google dans l'affaire ayant donné lieu au jugement du 7 janvier 2009.

En outre, si ces dernières années, la question qui se posait essentiellement était de savoir si la pratique des liens commerciaux devait être sanctionnée sur le fondement de la contrefaçon ou du droit commun de la responsabilité, il faut noter que d'autres dispositions peuvent venir fonder la condamnation du service de régie publicitaire proposé par Google, comme en atteste la décision du TGI de Paris du 7 janvier 2009.

3 - La condamnation sur le fondement de la publicité mensongère

En l'espèce, on peut remarquer que les sociétés Voyageurs du Mondes et Terres d'Aventure invoquaient deux dispositions afin de voir sanctionner Google au titre de la publicité mensongère. Il s'agissait, d'une part, de l'article 20 de la "LCEN" qui dispose que : "Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée. L'alinéa précédent s'applique sans préjudice des dispositions réprimant les pratiques commerciales trompeuses prévues à l'article L. 121-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2457IBM)", et d'autre part, de l'article L. 121-1 du Code de la consommation dans sa rédaction tant antérieure que postérieure à la loi du 4 août 2008 (loi n° 2008-776, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR) qui prohibent, pour la première, toute représentation fausse ou de nature à induire en erreur sur les caractéristiques du service, objet de la publicité, ou, pour la seconde, toute pratique commerciale créant une confusion avec une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent.

Les demanderesses soutenaient que, lorsque l'internaute entrait dans le moteur de recherche de Google les termes "voyageurs du monde", "terre d'aventure", ou ces mêmes termes avec des variances orthographiques, les liens hypertextes qui s'affichaient n'étaient pas clairement identifiés comme étant publicitaires et que, par conséquent, l'affichage de liens publicitaires hypertextes à destination des sites concurrents de celui recherché par l'internaute dans sa requête constituait une pratique de publicité trompeuse.

Les juges n'ont pas ici tenu compte des arguments de la société Google qui consistaient à faire remarquer que les liens dits commerciaux étaient visuellement nettement identifiés comme tels puisque, sur la page de résultat, ces derniers apparaissent dans une bannière isolée et étaient ainsi facilement distincts des résultats dits naturels du moteurs de recherche.

Les magistrats ont, tout d'abord, considéré que contrairement à ce que prétendait la société Google, la même couleur et le même graphisme étaient utilisés pour les résultats naturels et pour les liens commerciaux, de sorte que rien ne distinguait les deux types de liens hypertextes quant à leur présentation.

En outre, il a été jugé que l'affichage de liens hypertextes vers des sites concurrents à ceux de la marque ayant fait l'objet de la requête entraîne une confusion pour l'internaute sur l'origine des services ainsi proposés par les différents sites sur lesquels ces liens renvoient. En effet, les juges ont considéré que : "le placement de liens hypertextes publicitaires suivant la saisie par l'internaute d'une requête comportant la reproduction des signes privatifs des demanderesses et cherchant dès lors les sites de celles-ci, incite ce dernier à penser à une association entre les services des demanderesses et ceux proposés par ces liens".

En conclusion, il est manifeste que les juges semblent définitivement se tourner sur le terrain de l'article 1382 du Code civil pour sanctionner les prestataires de liens commerciaux au détriment des dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à la contrefaçon. En outre, on peut penser que, à l'avenir, la condamnation de ces prestataires sur le fondement de la publicité mensongère sera systématiquement requise et prononcée par les magistrats dans un souci de protection du consommateur.

  • Un nouvel arrêt sur la responsabilité des prestataires techniques : une avancée mitigée (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 6 mai 2009, n° 07/14097, SA Dailymotion c/ M. Christian Carion N° Lexbase : A0636EHZ)

Dans cette espèce, les titulaires des droits d'exploitation du film "Joyeux Noel" ont constaté l'accès audit film par visionnage en streaming (c'est-à-dire sans possibilité de téléchargement) depuis le site Dailymotion. Comme il est d'usage, ils ont fait procéder à un constat d'huissier et ont assigné à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Paris la société Dailymotion sur les motifs de la contrefaçon et de la concurrence déloyale.

En première instance, les juges ont retenu la responsabilité du prestataire technique selon le raisonnement suivant :

- l'exploitation du site lui permet de développer une activité de prestataire technique ;

- elle a connaissance de ce que le site stocke des contenus illicites protégés par le droit d'auteur sans les retirer ou en rendre l'accès impossible ;

- et par l'accord de leur mise en ligne, elle commet une faute engageant sa responsabilité civile pour fourniture de moyens à une contrefaçon.

Or, ainsi qu'il le sera détaillé, la cour d'appel a réformé ce jugement en faisant un exposé détaillé des principes de la loi pour la confiance dans l'économie numérique.

1 - La nature du service offert par Dailymotion : éditeur ou hébergeur ?

Dans son considérant sur la nature du service offert par la société Dailymotion et partant le régime de responsabilité lui afférent, la cour a très justement relevé que le prestataire technique met en place plusieurs moyens d'information en vue d'interdire la diffusion de contenus contrefaisants à destination des internautes.

En l'espèce, la cour a relevé que la société Dailymotion prenait ses "mesures de mise en garde et d'alerte" au travers :

- des conditions générales d'utilisation du site ;

- de l'insertion d'une mention avant chaque mise en ligne de contenus par un internaute ;

- du recours à la procédure de signalement de contenu contrefaisant ;

- du recours à la technologie avec reconnaissance des empreintes numériques ;

- du partenariat avec des utilisateurs en vue de la promotion de leurs oeuvres, activité au demeurant pour laquelle Dailymotion reconnaît l'exercer en tant qu'éditeur.

Tout d'abord, la cour en écartant le moyen des intimés selon lequel la "LCEN" devrait être révisée rappelle avec force le principe selon lequel "le critère du partage ainsi opéré réside dans la capacité d'action du service sur les contenus mis en ligne" pour l'appliquer aux faits de l'espèce et retenir que les opérations réalisées par la société Dailymotion sont soit purement techniques, soit nécessaires pour la diffusion du contenu proposé par les internautes.

Ensuite, la cour dans un considérant plus que détaillé écarte le critère selon lequel l'exploitation commerciale par le biais de la commercialisation d'espaces publicitaires permettrait de retenir la qualification d'éditeur dès lors que cette activité ne génère pas de détermination des contenus mis en ligne. Fort de ce constat, elle rappelle que seule la détermination des contenus en ligne doit être un critère pertinent et déterminant à la qualification d'éditeur.

En conclusion, la cour retient le statut d'hébergeur et confirme sur ce point le jugement de première instance.

2 - La responsabilité applicable en l'espèce : le régime de la responsabilité dite allégée de l'hébergeur

Sur la responsabilité encourue par la société Dailymotion, elle écarte l'argumentaire retenu par les juges de première instance selon lequel le régime dit de responsabilité allégée de l'hébergeur n'aurait pas vocation à s'appliquer quand les "activités sont générées ou induites par le prestataire lui-même".

Il est ici intéressant de relever que la cour rappelle les principes de la "LCEN" selon lesquels la responsabilité de l'hébergeur ne peut être retenue que dans les termes de son article 6-I-2. Or, en l'espèce, les informations communiquées par les intimés à Dailymotion à l'appui de leur mise en demeure ne sont pas conformes aux prescriptions de l'article 6-I-5 de la "LCEN". En effet, les intimés n'ont communiqué ni le procès-verbal de constat d'huissier, ni fait usage de la procédure de signalement.

La responsabilité de Dailymotion ne peut donc être retenue faute pour les intimés d'avoir apporté la preuve des manquements commis par le prestataire technique.

3 -  L'obligation de conservation de données d'identification par Dailymotion en tant qu'hébergeur

A toutes fins, l'un des intimés invoque le manquement par Dailymotion à son obligation de conservation des données d'identification et partant la perte d'une chance de poursuivre les auteurs des infractions. Or, une fois encore, l'intimé n'apporte pas la preuve dudit manquement et ne démontre pas, en outre, avoir utilisé sans résultat les informations communiquées par Dailymotion.

Cet arrêt s'inscrit donc dans la mouvance de la jurisprudence récente qui tente de redonner à chaque acteur le statut qui lui revient tout en donnant une nouvelle dimension à leur responsabilité à l'image de la solution dégagée par les dernières décisions (5) en la matière.

Or, le décret d'application sur la conservation des données d'identification plus que très attendu permettra peut être d'apporter des solutions aux problèmes ici rencontrés par les juges.

  • Internet : l'adjonction d'une seconde adresse url à un contenu déjà existant ne constitue pas un acte de renouvellement (Cass. crim., 6 janvier 2009, n° 05-83.491, F-P+F N° Lexbase : A6349EC7)

L'arrêt de la Chambre criminelle du 6 janvier 2009 annonce la fin d'un marathon judiciaire qui aura duré plus de douze ans. Avant le 8 avril 1997, Jean-Louis Costes, artiste performer et musicien français, publie sur internet trois articles sur le site internet dont l'adresse url est : "altern.costes.org". Afin d'assurer une meilleure visibilité desdits articles, l'auteur ajoute une nouvelle adresse url : "costes.org" sur laquelle il les publie à compter du 10 juillet 1997.

Dans son jugement de première instance du 28 janvier 1999, le tribunal correctionnel considérant les contenus comme étant en tous points identiques conclut à la prescription de l'action publique : aucun acte interruptif de prescription n'ayant été pris dans le court délai de trois mois à compter de la première publication des trois articles sur internet.

La cour d'appel avait infirmé ce jugement dans un arrêt rendu le 15 décembre 1999 (6) et avait condamné l'auteur à 7 500 euros d'amende avec sursis. Le 27 novembre 2001 (7), la Cour de cassation avait cassé ces deux arrêts en prononçant une première solution de principe selon laquelle : "le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'article 65 de cette loi est fixé à la date à laquelle le message a été, sur ce site, pour la première fois mis à la disposition des utilisateurs du réseau, quelle que soit l'ampleur de l'accès offert pour accéder audit site et sans que la création d'un nouveau moyen d'accès, par l'adjonction d'un nom de domaine supplémentaire, ne vienne modifier le cours de la prescription [...]".

L'affaire a alors été renvoyée devant la cour d'appel qui a, quant à elle, décidé le 29 janvier 2004 (8) que l'action publique n'était pas prescrite.

L'arrêt ici étudié vient donc mettre un terme à ce marathon judiciaire en statuant ainsi :

"[...] la simple adjonction d'une seconde adresse pour accéder à un site existant ne saurait caractériser un nouvel acte de publication de textes figurant déjà à l'identique sur ce site, [...]. Par ces motifs, [...], constate l'extinction de l'action publique".

Cet arrêt est important et ce à plus d'un titre. Il est vrai que les débats judiciaires et législatifs autour de l'action publique spécifique au délit de diffamation ou d'injure publique font rage depuis la création de l'internet.

La loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 avait essayé de poser une première pierre à l'édifice en considérant que : "les dispositions des chapitres IV et V de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sont applicables aux services de communication en ligne. Toutefois, l'action publique et l'action civile résultant de crimes, délits et contraventions prévus par ladite loi se prescrivent après trois mois révolus à compter de la date à laquelle cesse la mise à disposition du public du message susceptible de déclencher l'une de ces actions".

Cette première initiative législative tendant à reporter le point de départ du délai de prescription à compter de la cessation de la diffusion des propos sur internet fût cependant censurée par le Conseil constitutionnel.

Elle n'est toutefois pas restée lettre morte. En effet, le sénateur de la Sarthe, Marcel-Pierre Cléach, a soumis au Sénat une proposition de loi visant à allonger le délai de prescription de trois mois à un an. Le 4 novembre 2008, le Sénat a adopté le texte suivant :
"Le délai de prescription des infractions pour diffamation ou injure prévu par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 est porté à un an lorsque ces infractions ont été commises par l'intermédiaire d'un service de communication en ligne".

Un seul amendement fut adopté sur ce texte avec l'aval de la ministre de la Justice, Rachida Dati, visant à exclure de son champ d'application les entreprises de presse et partant les sites internet qu'elles publient. Au jour où nous écrivons ces lignes, la proposition de loi est en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

La jurisprudence a, quant à elle, construit le régime du délai de prescription des infractions liées à la diffamation et à l'injure avec une certaine régularité. L'arrêt précité du 27 novembre 2001 qui s'inscrivait déjà dans une certaine constance avait énoncé le principe selon lequel la date du premier acte de publication, pris en tant que point de départ du délai de prescription, s'entend comme "celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à disposition des utilisateurs du réseau".

La Haute cour réaffirme ce principe et y apporte un ajout majeur en en délimitant le périmètre de façon restrictive, ce qui ne peut aller que dans le sens de l'interprétation de la loi pénale, en excluant l'adjonction d'une seconde adresse d'un acte de publication distinct. En outre, la solution de principe ici posée laisse sous-entendre que, a contrario, la publication d'un contenu modifié d'ores et déjà existant constituerait quant à elle une nouvelle publication faisant alors courir un nouveau délai de prescription.

Tant les initiatives législatives que les décisions judiciaires tendant à prendre en compte les spécificités de l'internet ne peuvent qu'être saluées. Ces actions loin de dénaturer l'esprit du texte de la loi de 1881 viennent l'adapter aux moyens de communication numérique. En effet, le point de départ du délai de prescription des actions civiles et publiques est similaire pour les écrits papiers et pour les écrits numériques, ce qui les distingue est soit l'acte de renouvellement, soit, si la proposition de loi venait à être adoptée par l'Assemblée nationale, la durée de la prescription. Le premier aménagement prend en considération le fait qu'un contenu posté sur internet ne sera retiré que par un acte volontaire de son auteur contrairement à un article de journal qui est entièrement liée à celle de la parution dudit titre de presse. Le second aménagement se fonde quant à lui sur l'immensité du réseau internet

Pour toutes ces raisons, le principe ici annoncé par la Haute cour prend toute son importance.

Nathalie Biltz,
Avocat au Barreau de Paris,
Lamy & Associés


(1) TGI Nanterre, 2ème ch., 13 octobre 2003, n° 03/00051, Viaticum et Luteciel c/ Google France (N° Lexbase : A8184C9Y), Expertises, décembre 2003, p. 427, note S. Bouvier-Ravon, Légipresse, 2004, III, p. 13, note M.-E. Haas et L. Tellier-Loniewski, Propr. intell., juillet 2004, n° 12, p. 811, obs. E. Logeais ; TGI Nanterre, 2ème ch., 17 janvier 2005, n° 03/10608, Accor c/ Overture, Overture Services (N° Lexbase : A3506DGX), Propr. industr., 2005, comm. 30 ; TGI Paris, 12 juillet 2006, n° 05/10708, GIFAM c/ Google (N° Lexbase : A0476DSG), Comm. com. électr., 2006, comm. 144, note L. Grynbaum.
(2) TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect., 8 décembre 2005, n° 04/11009 Kertel c/ Google et Cartephone (N° Lexbase : A5273DNM), Propr. industr., 2006, comm. 24 ; TGI Paris, 12 juillet 2006, préc., Comm. com. électr., 2006, comm. 144, note L. Grynbaum ; TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 13 février 2007, n° 06/00884, Laurent C. c/ Google France (N° Lexbase : A6526D4H) ; TGI Paris, 3ème ch., 3ème sect., 12 décembre 2007, n° 06/00884, Syndicat Français de la Literie c/ Google (N° Lexbase : A6526D4H), Prop. ind., 2008, comm. 11, p. 29, note P. Tréfigny.
(3) A noter, cependant, un jugement du TGI de Strasbourg qui a considéré que : "de part la généralité de leurs termes, l'application de ce régime ne dépendant ni de la nature des signaux stockés (écrits, images, sons ou messages de toute nature...), ni de la fonction (commerciale, publicitaire, informative...) des données concernées, la Société Google France apparaît fondée à se prévaloir de ses dispositions légales tant pour son activité de moteur de recherche que pour celle de prestataire de services publicitaires dans le cadre de son service Adwords" (TGI Strasbourg, 1ère ch. civ, 20 juillet 2007, Atrya c/ Google, Société Distri K, Société Techni Fenêtres et Société K par K, Prop. ind., 2007, comm. 87, P. Tréfigny).
(4) Cass. com., 20 mai 2008, 3 arrêts, n° 05-14.331, Société Google France, FS-D (N° Lexbase : A6999D8Q), n° 06-15.136, Société Google France, FS-P+B (N° Lexbase : A7010D87), n° 06-20.230, Société Google France, FS-D (N° Lexbase : A7019D8H).
(5) TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 15 avril 2008, n° RG 08/01371, J.-Y. Lafesse et a. c/ Dailymotion (N° Lexbase : A4124D8A) et TGI Paris, 15 avril 2008, M. Omar S. et M. Fred D., SARL Korokoro, SARL Cocojet c/ SA Dailymotion, D., 2008, 1341.
(6) CA Paris, 11ème ch., sect. A, 15 décembre 1999, n° 99/02123, Costes Jean-Louis (N° Lexbase : A6396AX8).
(7) Cass. crim., 27 novembre 2001, n° 01-80.134 Jean-Louis Costes/ Ministère Public, la LICRA, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, le MRAP et l'UEJF (N° Lexbase : A6396AX8).
(8) CA Paris, 29 janvier 2004, 11ème ch., sect. B, n° 02/00043, M. Jean-Louis C. c/ Licra et autres (N° Lexbase : A2437DBU)

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