La lettre juridique n°356 du 25 juin 2009 : Impôts locaux

[Jurisprudence] Les règles de la méthode pour l'évaluation de la valeur locative des locaux commerciaux précisées par le Conseil d'Etat

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 5 juin 2009, n° 300630, Société Hotel Grill Bureau de Salon de Provence, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A7218EHS) et n° 304534, Société Auto Guadeloupe développement (N° Lexbase : A7221EHW)

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par deux arrêts du 5 juin 2009, apporte d'utiles précisions dans la mise en oeuvre des dispositions réglementaires des articles 324 AB (N° Lexbase : L3148HMK) et 324 AC (N° Lexbase : L3149HML) de l'annexe III au CGI, qui précisent les modalités d'application du 3° de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT) permettant la détermination de la valeur locative d'un immeuble commercial par appréciation directe. Les faits dans ces deux affaires sont les suivants : la société Auto Guadeloupe développement a contesté la valeur locative retenue par le service pour le calcul de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie à raison de ses locaux à usage de garage et d'atelier automobile dans la commune de Baillif au titre de l'année 2000. La société avait demandé l'annulation d'un jugement en date du 18 janvier 2007 par lequel le tribunal administratif de Basse-Terre, après avoir procédé à un supplément d'instruction par un jugement du 9 février 2006, avait rejeté la demande en réduction de l'imposition contestée. La société Hôtel Grill Bureau de Salon-de-Provence avait, de son côté, demandé la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle avait été assujettie à raison des hôtels qu'elle possède dans la commune de Salon-de-Provence pour les années 1997 à 2001. Le tribunal administratif de Marseille avait rejeté ses demandes.

Les deux arrêts prolongent la jurisprudence du 25 novembre 2005 (CE 8° s-s., 25 novembre 2005, n° 263670, Société Groupe Envergure N° Lexbase : A8211DLP) qui confirmait l'arrêt du 30 juillet 2003 (CE 3° et 8° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 236456 SCI de la clinique de Miramas N° Lexbase : A2442C9C) et rappellent que la date de référence pour fixer la valeur locative est celle du 1er janvier 1970. Pour évaluer la valeur locative de locaux commerciaux, en l'absence d'actes ou de données propres au bien figurant dans les différents actes constituant l'origine de la propriété d'un l'immeuble, le repli sur les dispositions réglementaires de l'article 324 AC de l'annexe III est naturel, mais le point de savoir ce qu'il convient de faire en présence de données propres au bien mais trop éloignées de la date de référence du 1er janvier 1970, n'avait pas été tranché. Les deux arrêts de 2009 présentent, donc, la méthode à suivre pour la détermination de la valeur locative des locaux commerciaux par voie d'appréciation directe lorsque les données propres au bien ressortant du bilan sont regardées comme trop éloignées de la date de référence du 1er janvier 1970. Ils appliquent, ainsi, l'avis "SCI Paris-Montreuil" du 24 novembre 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 24 novembre 2006, n° 297098, SCI Paris-Montreuil N° Lexbase : A7665DSP) qui précisait, déjà, que la reconstitution de la valeur vénale du terrain d'assiette du local, prévue au second alinéa de l'article 324 AC de l'annexe III, doit également être effectuée sur la base de transactions aussi proches que possible du 1er janvier 1970.

1. L'article 324 AB de l'annexe III, relatif à l'évaluation de la valeur vénale par référence à des éléments propres au local à évaluer, auquel renvoie la première phrase de l'article 324 AC, ne peut être mis en oeuvre que si ces éléments sont suffisamment proches du 1er janvier 1970

En l'absence de révision des valeurs locatives cadastrales depuis 1970, le Conseil d'Etat, dans ses deux arrêts du 5 juin 2009 "Société Hôtel Grill Bureau de Salon de Provence" et "Société Auto Guadeloupe développement", valorise une mise en oeuvre réaliste et fidèle à la lettre des dispositions réglementaires prévues aux articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI.

1.1. L'évaluation par voie d'appréciation directe présente un caractère subsidiaire dont l'importance s'est accrue en l'absence de révision générale des bases cadastrales depuis le 1er janvier 1970

Les arrêts du Conseil d'Etat du 5 juin 2009 précisent les cas où les données figurant dans les actes constituant l'origine de la propriété du bien ou dans le bilan doivent être écartées pour l'évaluation de la valeur locative de locaux commerciaux. C'est l'article 1498 du CGI qui fixe la méthode applicable aux locaux commerciaux. Le 1° de l'article 1498 du CGI prévoit que, pour les biens donnés en location à des conditions de prix normales, la valeur locative retenue est celle qui ressort de la location, donc le plus souvent des stipulations du bail. Le 2° de l'article 1498 du CGI précise que, pour les biens non loués, et pour les biens loués à des conditions de prix anormales, la valeur locative est déterminée par comparaison avec des immeubles de référence choisis dans la commune ou, pour des immeubles présentant un caractère particulier ou exceptionnel en dehors de la commune. Le 3° de l'article 1498, qui est celui dont font application les deux arrêts du Conseil d'Etat "Auto Guadeloupe Développement" et "Hôtel Grill Bureau de Salon-de-Provence" du 5 juin 2009, prévoit que, de manière subsidiaire, lorsque les méthodes des 1°) et 2°) ne s'appliquent pas, la valeur locative est déterminée par voie d'appréciation directe. La méthode d'évaluation par appréciation directe présente un caractère subsidiaire (CE, 3° et 8° s-s-r., 25 novembre 2005 n° 264323 Société Natiocrédibail N° Lexbase : A8212DLQ).

L'article 1498 du CGI n'organise pas les règles de l'évaluation de la valeur locative ; elles ont été précisées par les dispositions réglementaires des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI. L'article 324 AB de l'annexe III au code dispose que l'évaluation directe de l'immeuble est opérée par application d'un taux d'intérêt constaté au 1er janvier 1970 à sa valeur vénale, telle qu'elle serait constatée à la date de référence si l'immeuble était libre de toute location au 1er janvier 1970. En l'absence d'éléments faisant apparaître une estimation de la valeur vénale au 1er janvier 1970 de l'immeuble à évaluer, l'article 324 AC de l'annexe III au CGI précise que la valeur vénale est appréciée d'après la valeur vénale d'autres immeubles d'une nature comparable ayant fait l'objet de transactions "récentes", et qui sont regardées par la jurisprudence comme des transactions intervenues à des dates proches du 1er janvier 1970 (CE Contentieux, 15 juin 1988, n° 59556, De Croy N° Lexbase : A6729APW).

La mise en oeuvre des deux méthodes prévues par les dispositions de l'article 324 AC de l'annexe III au CGI pouvait apparaître comme une méthode subsidiaire à celle décrite par l'article 324 AB de l'annexe IIII au CGI et ne devoir être mise en oeuvre qu'en l'absence d'acte ou de données propres au bien ressortant du bilan. Ce n'est pas la lecture que fait le Conseil d'Etat qui fait de la date de référence du 1er janvier 1970 l'alpha et l'oméga de l'évaluation et impose lorsque les données propres au bien ou ressortant du bilan sont trop éloignées de la date de référence de rechercher des termes de comparaison plus proche de cette date du 1er janvier 1970. Les deux arrêts du Conseil d'Etat du 5 juin 2009 prolongent, ainsi, l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat à la notion de transactions récentes qu'il regarde comme des transactions intervenues à des dates proches du 1er janvier 1970 (CE, 15 juin 1988, n° 59556, précité).

1.2. Les arrêts en date du 5 juin 2009 précisent les règles de la méthode pour la mise en oeuvre des dispositions réglementaires relatives à l'appréciation directe

Le Conseil d'Etat, dans un avis du 24 novembre 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 24 novembre 2006, n° 297098, SCI Paris-Montreuil, précité) avait eu l'occasion de présenter les règles à appliquer en l'absence d'acte et de toute autre donnée faisant apparaître une estimation de la valeur vénale au 1er janvier 1970. Mais qu'en est-il lorsque l'administration dispose de données figurant dans les différents actes constituant l'origine de la propriété de l'immeuble ou ressortant du bilan mais à une date éloignée du 1er janvier 1970 ? L'interprétation des dispositions réglementaires devait être précisée. En effet, les dispositions réglementaires font référence à une notion de date la plus proche possible de la date de référence du 1er janvier 1970 et la lettre des dispositions réglementaires de l'article 324 AC semble n'inviter à sa mise en oeuvre qu'en l'absence d'acte et de toute donnée récente. Le Conseil d'Etat éclaircit l'interprétation des textes en demeurant fidèle à l'idée que l'évaluation doit s'effectuer en s'appuyant sur des termes le plus proche possible de la dernière révision des valeurs locatives cadastrales.

Dans un considérant de principe, repris par les deux arrêts de juin 2009, le Conseil d'Etat énonce les règles de la méthode : la valeur vénale des immeubles évalués par voie d'appréciation directe doit d'abord être déterminée en utilisant les données figurant dans les différents actes constituant l'origine de la propriété de l'immeuble si ces données ont une date la pus proche possible du 1er janvier 1970. Mais, si ces données, alors même qu'elles existent, présentent une trop grande antériorité ou postérité par rapport au 1er janvier 1970, l'administration a l'obligation de proposer des évaluations fondées sur les deux autres méthodes comparatives prévues à l'article 324 AC de l'annexe III en retenant des transactions conclues au plus près du 1er janvier 1970. Ce n'est que si l'administration n'est pas à même de proposer des éléments de calcul fondés sur l'une ou l'autre de ces méthodes et si le contribuable n'est pas davantage en mesure de fournir des éléments de comparaison qu'il y a lieu de retenir, pour le calcul de la valeur locative, les données figurant dans les actes constituant l'origine de la propriété du bien ou, le cas échéant, dans son bilan.

2. La lettre des dispositions réglementaires et la référence du CGI au 1er janvier 1970 sont l'alpha et l'oméga de la mise en oeuvre des dispositions des articles 324 AB et AC de l'annexe III

Les arrêts du 5 juin 2009 rappellent que le Conseil d'Etat a le souci d'éviter tout arbitraire dans la détermination de la valeur locative des locaux commerciaux et qu'il n'est pas comptable des difficultés de mise en oeuvre des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI.

2.1. Les arrêts du Conseil d'Etat de juin 2009 confirment que le juge n'est pas comptable des difficultés d'application de l'article 1498 du CGI en l'absence de révision des valeurs locatives cadastrales

Madame Monique Liebert-Champagne, dans une fameuse chronique parue en 1987 (RJF, 1987, page 75 et s.), rappelait que la méthode définie aux articles 324 AB et 324 AC du CGI avait pu poser des problèmes d'application dans le cas, notamment, de constructions exceptionnelles. Elle soulignait les ambiguïtés de la mise en oeuvre de ces règlements qui conduisaient à rapprocher la méthode d'appréciation directe, dans le cas où le coût de reconstruction ne peut être pris en compte, de la méthode par comparaison. Les arrêts du 5 juin 2009 ne lèvent pas l'ambiguïté puisqu'ils consacrent les deux méthodes comparatives de l'article 324 AC de l'annexe III au CGI dans le cadre d'une évaluation par appréciation directe du 3° de l'article 1498 du CGI. L'avis du 24 novembre 2006 "SCI Paris-Montreuil" précisait que l'administration pouvait se référer à des transactions portant sur des immeubles comparables et dont la date est la plus proche possible du 1er janvier 1970. Les deux arrêts du 5 juin 2009 font de la mise en oeuvre des méthodes comparatives une obligation et soulignent qu'il incombe à l'administration de rechercher si des transactions sur des biens comparables sont intervenues à une date plus proche de la date de référence du 1er janvier 1970 lorsque les données figurant dans les actes ou données figurant au bilan ne sont pas pertinentes.

Le Conseil d'Etat, dans les deux arrêts du 5 juin 2009, retient, ainsi, une interprétation stricte des dispositions réglementaires des articles 324 AB et 324 AC précisant les modalités d'application de l'article 1498 du CGI et qui se réfèrent à des termes le plus proche possible de la date de référence soit le 1er janvier 1970. C'est au nom de la fidélité à la lettre des dispositions réglementaires des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI et sur le fondement d'une approche réaliste que les solutions des deux arrêts du 5 juin 2009 sont retenues par la Haute juridiction ; il y va de la cohérence d'ensemble de l'interprétation donnée par le juge aux dispositions qui organisent les modalités de l'appréciation directe des valeurs locatives. L'interprétation littérale du texte oblige l'administration à rechercher des transactions intervenues à une date proche de 1970 et permet le respect du principe d'égalité proportionnelle entre contribuables qui sous-tend l'ensemble des règles de détermination des valeurs locatives cadastrales.

2.2. Il appartient au pouvoir réglementaire, s'il l'estime nécessaire, de modifier les dispositions des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI

Le Conseil d'Etat poursuit, donc, avec les deux arrêts de juin 2009, son effort pour concilier les impératifs contradictoires qu'il avait mis en évidence dans son avis du 24 novembre 2006 en jugeant que les dispositions de l'article 324 AC de l'annexe III au CGI "n'excluent [...] pas qu'en l'absence d'acte ou de toute autre donnée récente faisant apparaître une estimation de l'immeuble à évaluer susceptible d'être retenue, l'administration se réfère à des transactions portant sur des immeubles de nature comparable et dont la date est la plus proche possible du 1er janvier 1970". Ce respect de la date de référence ne va pas sans difficultés dans la mesure où il est souvent délicat de trouver des transactions pertinentes et alors même qu'il est tenant de s'en tenir aux données propres au bien même si elles sont éloignées de la date de référence. Mais, ces désagréments sont nés de l'absence de révision des valeurs locatives et le juge n'est pas comptable.

Certes les textes vieillissent, mais c'est tout d'abord l'absence de révision générale qui complique leur mise en oeuvre. Il appartient au pouvoir réglementaire de lever l'obstacle de la lettre des dispositions réglementaires en modifiant la règle. L'article 1498 du CGI ne dit rien, en effet, sur les modalités d'application de l'évaluation par appréciation directe ; il suffirait en conséquence de modifier les règlements d'application. Reste que, dans tous les cas, l'obligation qui pèse sur l'administration est une obligation de moyen, la règle d'interprétation des articles 324 AB et 324 AC du CGI posée par le Conseil d'Etat, dans les deux arrêts du 5 juin 2009, n'ayant de sens que dans la perspective de préserver la méthode d'appréciation directe et la cohérence d'ensemble d'un dispositif.

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