La lettre juridique n°356 du 25 juin 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] L'obligation pour un salarié de porter un uniforme

Réf. : Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.346, Société Oise protection c/ M. Saïd Habti et a., F-P+B (N° Lexbase : A6405EHP)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Respectueuse des prescriptions de l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P), la Cour de cassation admet que la tenue vestimentaire du salarié au travail peut faire l'objet d'injonctions ou d'interdictions de l'employeur si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Dans ce cadre très strict, un employeur peut donc imposer à ses salariés le port d'un uniforme et sanctionner ceux qui refuseraient de respecter cette obligation. L'arrêt rendu le 3 juin 2009 par la Cour de cassation offre une intéressante illustration des limites qui encadrent le pouvoir de l'employeur en la matière. En l'espèce, toutefois, ces circonscriptions procédaient moins de la loi que de la convention collective applicable et, surtout, de l'interprétation qu'en ont retenue les juges pour déclarer que le licenciement des salariés qui avaient refusé de porter une tenue réglementaire était injustifié.

Résumé

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a exactement énoncé que l'article 5 de l'annexe V de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, qui prévoit la possibilité d'une obligation formelle du port de l'uniforme pour les agents de maîtrise affectés à certains postes fixes ou itinérants, ne concernait que les salariés en contact avec la clientèle ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel a constaté que l'uniforme était représentatif de la société employeur et que les salariés, en leur qualité d'agents vidéo n'avaient pas pour mission de procéder à des interpellations et que leurs fonctions ne les appelaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle ; qu'exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1338H9G), la cour d'appel a pu décider que les licenciements ne procédaient pas d'une cause réelle et sérieuse.

Commentaire

I - Une solution dictée par l'interprétation de la convention collective applicable

  • La solution retenue

En l'espèce, et pour aller à l'essentiel, deux salariés de la société Oise protection chargés, en leur qualité d'agent de maîtrise, des fonctions d'agents vidéo au sein d'un magasin Carrefour, avaient refusé de porter l'uniforme que l'employeur leur imposait, ce qui avait entraîné leur licenciement pour faute grave. Consécutivement à l'action intentée par les salariés, les juges d'appel avaient jugé que leur licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

A l'appui de son pourvoi en cassation, la société employeur soutenait que l'annexe V, relative aux agents de maîtrise, à la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité prévoit, en son article 5, que "la fonction d'agent de maîtrise entraîne pour certains postes d'emploi fixes ou itinérants l'obligation de porter un uniforme pendant la durée du service". Par conséquent, en retenant qu'il résultait de ce texte que "l'obligation de porter un uniforme concerne les salariés qui sont en contact avec la clientèle" pour faire droit aux demandes des salariés, la cour d'appel n'aurait pas légalement justifié sa décision au regard de ladite convention collective.

L'employeur arguait, par ailleurs, que peuvent être en contact avec la clientèle les agents qui ne sont pas chargés d'interpeller les gens et que tenus de donner des détails par téléphone ou talkie walkie à leurs collègues, les agents en cause pouvaient se trouver en contact avec la clientèle sur laquelle ils devaient "donner des détails".

Ces arguments n'ont pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi en relevant, d'abord, que la cour d'appel a exactement énoncé que l'article 5 de l'annexe V de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, qui prévoit la possibilité d'une obligation formelle du port de l'uniforme pour les agents de maîtrise affectés à certains postes fixes ou itinérants, ne concernait que les salariés en contact avec la clientèle. La Chambre sociale souligne, ensuite, que la cour d'appel a constaté que l'uniforme était représentatif de la société employeur et que les salariés, en leur qualité d'agents vidéo, n'avaient pas pour mission de procéder à des interpellations et que leurs fonctions ne les appelaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle. Par conséquent, exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du Code du travail, la cour d'appel a pu décider que les licenciements ne procédaient pas d'une cause réelle et sérieuse.

A lire le motif de principe retenu par la Cour de cassation, il apparaît que la solution retenue procède de l'interprétation de la convention collective.

  • L'interprétation des stipulations conventionnelles

Comme nous venons de le voir, était en cause, en l'espèce, l'article 5 de l'annexe V de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985, étendue par arrêté du 25 juillet 1985. Cet article stipule, en son alinéa 1er, que "la fonction d'agent de maîtrise entraîne pour certains postes d'emploi fixes ou itinérants l'obligation formelle du port de l'uniforme pendant la durée du service". Quant à son alinéa 2, il précise que "l'uniforme professionnel étant représentatif de la société employeur, il ne doit en aucun cas être porté en dehors des heures de service".

Ainsi, l'on s'aperçoit que l'article en cause ne précise pas de manière expresse que le port de l'uniforme pour les agents de maîtrise ne concerne que les salariés en contact avec la clientèle. C'est pourtant la solution qui a été retenue par la cour d'appel, approuvée en cela par la Cour de cassation. On pourrait juger cela critiquable si, ce faisant, les juges du fond avaient dénaturé une stipulation claire et précise de la norme conventionnelle applicable. Or, tel ne nous semble pas être le cas.

En effet, l'article 5 de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité stipule que l'obligation formelle de porter un uniforme ne concerne que "certains postes d'emploi fixes ou itinérants" (nous soulignons). En d'autres termes, il y a lieu de comprendre que certains agents de maîtrise ne sont pas soumis à une telle obligation. Mais il reste alors à déterminer les salariés de cette catégorie astreints au port de l'uniforme et ceux qui échappent à cette obligation. Or, de ce point de vue, la convention collective apparaît pour le moins obscure. Toutefois, l'alinéa 2 de l'article précité interdit le port de l'uniforme professionnel en dehors des heures de service parce qu'il est "représentatif de la société employeur". A lire le motif de l'arrêt d'appel tel qu'il figure dans le moyen annexé à la décision, c'est de cette stipulation que procède la déduction selon laquelle l'obligation de porter un uniforme concerne les salariés qui sont en contact avec la clientèle.

Si certains pourront juger que cette interprétation est aventureuse, elle peut, néanmoins, être approuvée. En effet, parce que l'uniforme est "représentatif de la société employeur", il permet d'identifier les fonctions des personnes qui le porte. Mais cette identification n'a de sens que si les salariés de la société de gardiennage sont en contact avec la clientèle du magasin qu'ils sont chargés de surveiller et, éventuellement, des salariés du magasin dans lequel ils travaillent. Les salariés qui passent leur temps enfermé dans un local, afin de scruter un écran de contrôle n'ont nul besoin d'être identifiés par qui que ce soit.

Ainsi interprétée, la convention collective applicable ne pouvait que conduire à dénier toute justification aux licenciements prononcés dès lors que, ainsi que le relève la Cour de cassation à la suite des juges du fond, les salariés en cause, "en leur qualité d'agents vidéo n'avaient pas pour mission de procéder à des interpellations et que leurs fonctions ne les appelaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle".

Fondée sur la seule interprétation des stipulations de la convention collective applicable, la solution est confortée par les prescriptions légales et, plus particulièrement, par l'article L. 1121-1 du Code du travail.

II - Une solution confortée par la protection des libertés individuelles

  • Licéité des contraintes vestimentaires

On se souvient que dans la fameuse affaire dite "du bermuda", la Cour de cassation avait décidé que "la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales" (1). Si une telle solution peut être discutée en ce qu'elle écarte la qualification de liberté fondamentale (2), elle n'en confirme pas moins que le salarié conserve la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail. Une telle liberté n'est, cependant, pas sans limites et l'employeur peut y apporter des restrictions.

Mais le pouvoir de direction de l'employeur se trouve, également, enfermé dans de strictes limites. Conformément aux prescriptions de l'article L. 1121-1 du Code du travail, la Cour de cassation considère avec constance qu'un employeur peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires si elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché (3).

Il ressort de la jurisprudence de la Chambre sociale en la matière que la justification des contraintes vestimentaires est plus facilement admise lorsque le salarié est en contact avec la clientèle (4). Cela étant, et pour en revenir à l'arrêt qui nous intéresse, on ne saurait, toutefois, affirmer que l'employeur peut imposer le port d'un uniforme à un salarié pour la seule raison qu'il est en contact avec la clientèle. A l'évidence, ce n'est pas la même chose d'exiger le port une tenue correcte et d'imposer de revêtir d'un uniforme. On peut, néanmoins, considérer que la nécessité de permettre l'identification des fonctions du salarié ou son appartenance à une société particulière peut constituer une justification suffisante.

  • Sanction de l'atteinte illicite

Ainsi que nous l'avons vu, il n'y avait, en l'espèce, nul besoin de recourir à l'article L. 1121-1 du Code du travail. Celui-ci aurait pu, en revanche, être utilement mobilisé si la convention collective s'était bornée à affirmer que tous les agents de maîtrise devaient porter un uniforme pendant la durée du service. Les salariés n'ayant aucun contact avec la clientèle auraient, en effet, pu soutenir que l'obligation en cause n'était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir.

Cela étant, on peut se demander s'il n'aurait tout de même pas été opportun pour les salariés de soutenir que les stipulations de la convention collective étaient contraires à l'article L. 1121-1 du Code du travail. Plus précisément, ces derniers auraient pu avancer que l'atteinte portée à leur liberté de se vêtir à leur guise était illicite et que, par voie de conséquence, leur licenciement reposant sur une cause illicite, il devait être anéanti. Cela leur aurait permis de solliciter leur réintégration ou, à défaut, une indemnisation plus conséquente que celle versée lorsque le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Une telle issue n'aurait, cependant, pas été inéluctable. En effet, il convient de rappeler que la Cour de cassation n'accepte de sanctionner un licenciement par la nullité que si une disposition particulière le prévoit ou en cas de violation d'une liberté fondamentale. Or, nous l'avons vu, la Chambre sociale se refuse à voir dans la liberté de se vêtir à sa guise une liberté fondamentale. Une évolution apparaît, ici, souhaitable car il est difficile de se satisfaire qu'un licenciement en relation directe avec une atteinte injustifiée à une liberté individuelle soit simplement déclaré sans cause réelle et sérieuse.


(1) Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, M. Cédric Monribot c/ Société Sagem (N° Lexbase : A6668CK8) et les obs. de Ch. Figerou, La liberté de se vêtir : une liberté certes, mais pas fondamentale, Lexbase Hebdo n° 74 du 4 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7609AA3).
(2) V., en ce sens, Ph. Waquet, Le bermuda ou l'emploi, Dr. soc., 2003, p. 812 ; B. Bossu, note ss. Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-42.220, M. Cédric Monribot, F-D (N° Lexbase : A2446EB9), JCP éd. S, 2009, 1200.
(3) V. en dernier lieu, Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-42.220, préc..
(4) Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-43.988, Mme Nicole Brunet c/ Société LR immobilier (N° Lexbase : A0702AXB) : l'employeur peut interdire le port du survêtement à une salariée en contact avec la clientèle ; Cass. soc., 12 juillet 1989, n° 86-40.987, Jegou c/ SA Monfredo matériaux (N° Lexbase : A8250AGN) : est constitutif d'une cause réelle et sérieuse le licenciement d'un salarié qui, alors qu'il est en contact avec la clientèle, fait preuve de négligence dans sa tenue vestimentaire.


Décision

Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.346, Société Oise protection c/ M. Saïd Habti et a., F-P+B (N° Lexbase : A6405EHP)

Rejet, CA Versailles, 11ème ch., 18 septembre 2007

Textes concernés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) ; Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, art. 5 de l'annexe V

Mots-clefs : libertés individuelles ; contraintes vestimentaires ; port de l'uniforme ; obligation conventionnelle ; limites

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