Réf. : Cass. soc., 2 juin 2009, n° 08-41.747, Société Thalacap, F-D (N° Lexbase : A6426EHH)
Lecture: 8 min
N6609BKY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
La cour d'appel a constaté que la société, titulaire d'un bail commercial, ayant versé avec retard le loyer et ayant refusé indûment sa majoration, ces manquements avaient entraîné la résiliation du bail et la fermeture de l'unique établissement. Elle a pu en déduire que l'employeur avait agi avec une légèreté blâmable dont était résultée la cessation d'activité de l'entreprise, ce dont il découlait que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse. |
Commentaire
I - La cessation d'activité constitue un motif économique de licenciement justifié...
Faut-il le rappeler, la rédaction de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) laisse la porte ouverte à une interprétation large des motifs économiques de licenciement. En disposant que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives, notamment, à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, cet article établit, en effet, une liste non limitative des hypothèses économiques de licenciement. Il revient, dans cette optique, à la Cour de cassation d'apprécier, au gré des affaires qui lui sont soumises, si elles constituent, ou non, une cause économique de licenciement. Parmi elles, la très célèbre et controversée "réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité" (1). Elle ne saurait, cependant, être la seule. D'autres causes peuvent émerger, de façon plus éparse certes, mais qui n'en constituent pas moins des justifications légitimes de licenciement pour motif économique. Ainsi en est-il de la, plus timide, cessation d'activité de l'entreprise (2).
La jurisprudence est tout à fait claire à cet égard : la cessation d'activité constitue un motif économique de licenciement justifié si elle ne résulte pas d'une faute ou d'une légèreté blâmable de l'employeur (3). La solution, acquise depuis 2001, a depuis été largement confortée (4).
La Haute juridiction distingue, ici, la cessation complète de la cessation partielle d'activité. En effet, si une cessation complète de l'activité de la société peut constituer, en elle-même, une cause économique de licenciement, quand elle n'est pas due, il convient, d'ores et déjà, de le préciser, à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier (5), en revanche, une cessation partielle de l'activité de l'entreprise ne justifie un licenciement économique qu'en cas de difficultés économiques, de mutations technologiques ou de réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité (6).
Une nouvelle fois, devant l'équivocité de la notion, le juge est amené à apprécier au cas par cas la justification du motif. Ainsi, a-t-il jugé que la cessation d'activité consécutive à une inondation peut constituer un motif économique de licenciement, mais non un cas de force majeure, en raison de son caractère temporaire et partiel (7). En revanche, la fermeture temporaire d'un hôtel pour travaux ne constitue pas une cessation d'activité de l'entreprise (8).
Si la notion de cessation d'activité ne pose guère de difficultés, dans la mesure où elle s'assimile à une fermeture de l'entreprise, en revanche, celle de légèreté blâmable peut davantage prêter à confusion, de par sa définition même, nécessairement plus subjective.
II - ... si elle ne résulte pas d'une faute ou d'une légèreté blâmable de l'employeur
L'appréhension de la notion de légèreté blâmable est délicate. Faute de définition, tant législative que jurisprudentielle, les différents arrêts y ayant trait depuis quelques années permettent, cependant, de dégager une constante. La légèreté blâmable semble, en effet, supposer une décision de l'employeur prise de manière inconsidérée en dépit des conséquences graves qu'elle peut entraîner sur l'entreprise et les salariés. Dans cette optique, elle doit être distinguée de la simple erreur d'appréciation du chef d'entreprise.
Il est, également, à noter que se dégage, au fil de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, une conception nettement restrictive. Ainsi, l'erreur du chef d'entreprise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable (9). La distinction doit être soulignée. En effet, en précisant qu'une erreur du chef d'entreprise dans un choix de gestion ne constitue pas en elle-même la légèreté blâmable, la Cour de cassation rappelle que les juges du fond n'ont pas vocation à contrôler les choix de gestion décidés par l'entreprise et doivent s'en tenir au contrôle du motif économique et non à la seule appréciation des décisions du chef d'entreprise ayant conduit à ces difficultés économiques (10). Surtout, en opérant une distinction entre la "faute" de gestion, qui serait sanctionnable, et la simple "erreur", la Cour de cassation permet de restreindre les hypothèses admises, ce que l'on ne peut que saluer (11).
Onze salariés d'une société ont été licenciés, le 11 février 2006, pour motif économique. La société fait grief aux arrêts de la condamner à leur payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que constitue un motif économique de licenciement la cessation d'activité de l'entreprise lorsqu'elle n'est pas due à une faute de l'employeur ou à sa légèreté blâmable. Or, en affirmant qu'elle aurait agi avec une légèreté blâmable aux motifs qu'elle n'avait pas payé la majoration du loyer, qu'elle avait réglé avec retard le loyer même non augmenté dû à sa bailleresse, qu'elle n'avait pas réglé les loyers pour les périodes du 1er septembre au 30 novembre 1997, du 1er décembre 1997 au 28 février 1998 et du 1er mars au 31 mai 1998, et qu'elle n'aurait pas justifié ces manquements par des difficultés économiques, sans se prononcer sur les pertes d'exploitations récurrentes invoquées dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Par ailleurs, selon le même moyen, il n'appartient pas au juge de s'immiscer dans les choix de gestion d'une entreprise. En retenant, par adoption des motifs du jugement entrepris, qu'elle aurait fait preuve de légèreté blâmable aux motifs qu'elle savait, depuis 1997, qu'une condamnation pourrait entraîner la fermeture de son établissement si elle ne prenait pas de dispositions permettant la sauvegarde de l'entreprise par paiement des loyers dus, ou bien par le fait de les placer sur un compte bloqué par le juge en attendant le verdict final, ou bien en cherchant à s'établir dans un autre local, et que l'employeur n'avait semble-t-il opté pour aucune de ces solutions, la cour d'appel s'est immiscée dans les choix de gestion de l'entreprise.
La solution retenue par la Haute juridiction confirme sa jurisprudence antérieure. La Cour de cassation retient, en effet, sans surprise, que la cour d'appel ayant constaté que la société, titulaire d'un bail commercial, ayant versé avec retard le loyer et refusé indûment sa majoration, ces manquements avaient entraîné la résiliation du bail et la fermeture de l'unique établissement. Elle a pu en déduire que l'employeur avait agi avec une légèreté blâmable dont était résultée la cessation d'activité de l'entreprise, ce dont il découlait que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse. La requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse semble cohérente. Pour autant, peut-être pourrait-on reprocher à la Cour de cassation d'être une nouvelle fois trop elliptique. En effet, l'on aurait peut-être aimé que soit fait allusion aux difficultés économiques de la société.
La légèreté blâmable ne saurait être assimilée à une intention malveillante (12). Elle relève davantage, comme le montre, une nouvelle fois, l'arrêt commenté, d'un comportement non intentionnel mettant en exergue une gestion maladroite de l'entreprise. Et, une nouvelle fois, encore, la Cour de cassation laisse sous-entendre que les juges du fond ne saurait arguer de la légèreté blâmable de l'employeur pour exercer un quelconque contrôle sur la gestion de l'entreprise, ce qui explique, sans doute, son silence eu égard à la situation économique de l'entreprise.
(1) Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres (N° Lexbase : A4018AA3) ; ou, encore, Cass. soc., 13 septembre 2006, 2 arrêts, n° 05-41.665, Société E. et M. Lamort c/ Mme Véronique Tridat, F-D (N° Lexbase : A0358DRP) et n° 04-45.915, Association L'Opéra National de Lyon c/ M. Laurent Nutchey, F-D (N° Lexbase : A0248DRM) et les obs. de G. Auzero, Licenciements économiques fondés sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises : la Cour de cassation rassure, Lexbase Hebdo n° 229 du 28 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3200AL4).
(2) Cass. soc., 4 juillet 1990, n ° 87-44.973, M. Casella, ès qualités de liquidateur de la société Precimeco c/ M. Blanchet, publié (N° Lexbase : A4313ACQ).
(3) Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-44.647, M. Daniel Morvant (N° Lexbase : A2160AIT).
(4) Voir, notamment, Cass. soc., 30 octobre 2002, n° 00-43.624, Société en nom collectif (SNC) Drugstore Saint-Germain c/ M. Christian Le Goff, F-D (N° Lexbase : A4132A3G) ; Cass. soc., 28 février 2006, n° 03-47.880, M. Bernard Arlin c/ Société Les Fils de Stéphane Arlin, F-P+B (N° Lexbase : A4127DN8).
(5) Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-43.453, Mme Nicole Gentili, FS-P+B (N° Lexbase : A7699DRL) et les obs. de S. Tournaux, Transfert d'entreprise, cessation partielle d'activité et licenciement pour motif économique, Lexbase Hebdo n° 233 du 25 octobre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4357ALX). Récemment, encore, Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-44.306, Société Revet choc, F-D (N° Lexbase : A6460EGD).
(6) Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-43.453, préc. ; Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-44.306, préc..
(7) Cass. soc., 15 février 1995, n° 91-43.905, M. José Arauyo et autres c/ Société anonyme Les Filatures de la Madelaine (N° Lexbase : A1888AA8).
(8) Cass. soc., 15 octobre 2002, n° 01-46.240, M. Yacine Amarouyache c/ Société Hôtel Elysées Magellan, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2626A3N).
(9) Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-44.380, Association de gestion du lycée professionnel Sainte-Marguerite Marie c/ M. Christian Mfouara, F-P+B+R (N° Lexbase : A9864DLW) et les obs. de Ch. Radé, Licenciement économique : la légèreté blâmable de l'employeur ne peut être invoquée à tout propos, Lexbase Hebdo n° 197 du 11 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2943AK9). En l'espèce, l'employeur avait été condamné pour licenciement économique sans cause réelle et sérieuse par les juges du fond qui lui reprochaient d'avoir recruté un salarié sans s'assurer qu'il pourrait effectivement financer ce nouvel emploi.
(10) Ass. plén., 8 décembre 2000, n° 97-44.219, Société anonyme de télécommunications (SAT) c/ M. Coudière et autres, publié (N° Lexbase : A0328AUP), Dr. soc., 2001, p. 126, concl. P. de Caigny, note A. Cristau, p. 417, chron. A. Jeammaud et M. le Friant ; D., 2001, jur. p. 1125, note J. Pélissier.
(11) En ce sens, Ch. Radé, Licenciement économique : la légèreté blâmable de l'employeur ne peut être invoquée à tout propos, préc..
(12) En revanche, procède d'une telle intention, l'employeur qui organise sa propre insolvabilité (Cass. soc., 9 octobre 1991, n° 89-41.705, Association départementale du tourisme du Territoire de Belfort c/ M. Schuller, publié N° Lexbase : A9692AA9 ; Cass. soc., 12 janvier 1994, n° 92-43.191, Société commerciale des produits résineux c/ Mme Joëlle Gomez, inédit N° Lexbase : A1990AAX), qui procède à des prélèvements dans la trésorerie de sa société (Cass. soc., 5 octobre 1999, n° 97-42.057, M. Daumas c/ Mme Ponsonnaille, publié N° Lexbase : A6343AGZ) ou qui l'a volontairement entraîné dans une procédure de liquidation judiciaire (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-41.491, Banque d'arbitrage et de crédit (BAC) c/ M. Michel Robert, FS-D N° Lexbase : A1722AZS).
Décision
Cass. soc., 2 juin 2009, n° 08-41.747, Société Thalacap, F-D (N° Lexbase : A6426EHH) CA Montpellier, 4ème ch. soc., 13 février 2008, onze arrêts Mots clés : licenciement pour motif économique ; cause réelle et sérieuse ; faute de l'employeur Lien base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:356609