La lettre juridique n°342 du 19 mars 2009 : Collectivités territoriales

[Textes] Le "rapport Balladur" pour la réforme des collectivités locales : vers une rationalisation des institutions locales

Réf. : Rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales au Président de la République

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 07 Octobre 2010

Le rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales au Président de la République, en date du 5 mars 2009, a été publié au Journal officiel du 6 mars 2009. Ce Comité, créé par le décret n° 2008-1078 du 22 octobre 2008 (N° Lexbase : L6891IBT), et présidé par M. Edouard Balladur, ancien Premier ministre et ancien député, était chargé d'étudier les mesures propres à simplifier les structures des collectivités locales, à clarifier la répartition de leurs compétences et à permettre une meilleure allocation de leurs moyens financiers. Parmi les différentes pistes étudiées, le rapport propose de favoriser les regroupements volontaires de régions et la modification de leurs limites territoriales, pour en réduire le nombre à une quinzaine. Le Comité propose, également, de favoriser les regroupements volontaires de départements par des dispositions législatives de même nature que pour les régions. Il évoque, en outre, la clarification de la répartition des compétences entre les collectivités locales et entre celles-ci et l'Etat, qui relève de textes multiples et épars. Le Comité a remis, le 5 mars, ses 20 propositions au chef de l'Etat, lequel souhaite que la plupart des mesures soient reprises dans un projet de loi présenté avant l'été. Sont, également, prévues, l'instauration d'un débat annuel au Parlement sur l'évolution de la dépense publique locale, la révision des valeurs locatives foncières, et la spécialisation des impôts locaux.

En effet, malgré la réforme menée depuis les grandes lois de décentralisation de 1983 (loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat N° Lexbase : L4726AQ4, et loi n° 83-663 du 22 juillet 1983, complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat N° Lexbase : L5399HUI), l'on ne peut que constater le manque de clarté de la répartition des rôles entre services territoriaux de l'Etat et administrations décentralisées, lesquelles sont investies de compétences toujours plus nombreuses et sur lesquelles l'Etat tend à accentuer ses contrôles. En outre, depuis 1950, le nombre de communes françaises a diminué de seulement 5 %. Il en résulte un empilement des structures, de nombreuses fois dénoncé sous le nom de "mille-feuille institutionnel", peu lisible pour le citoyen et coûteux dans son fonctionnement (1). La France, avec 36 783 communes compte, ainsi, 40 % du nombre total de communes de l'ensemble des pays de l'Union européenne. L'Allemagne, en second rang, en compte près de trois fois moins (environ 12 300), l'Espagne et l'Italie environ 8 100.

La simplification des structures de l'administration territoriale apparaît donc comme une nécessité en termes de démocratie locale et d'efficacité de l'action publique (I). En outre, la concurrence des actions menées par les collectivités territoriales et l'Etat, et l'exigence d'efficacité de l'action publique appelle une clarification des compétences entre ces deux entités (II).

I - La simplification des structures de l'administration territoriale française

A - La problématique de la réduction du nombre des départements et des régions

Les régions françaises sont souvent critiquées du fait de leur taille -elles seraient trop petites par rapport aux grandes régions européennes- et de leur illisibilité -le périmètre de certaines d'entre elles ne correspondrait ni à un bassin économique, ni à un territoire d'attachement identitaire pour les habitants. Il apparaît donc nécessaire de mener l'adaptation de l'échelon régional aux conditions nouvelles de la compétitivité économique européenne. Le Code général des collectivités territoriales comporte déjà des procédures permettant de faire évoluer la carte des régions : selon son article L. 4122-1 (N° Lexbase : L8229AAZ), la modification des limites territoriales des régions est prononcée par la loi, après consultation des conseils régionaux et des conseils généraux intéressés qui peuvent également en faire la demande. En application de son article L. 4122-3 (N° Lexbase : L8230AA3), la fusion de deux ou plusieurs régions a lieu par un décret en Conseil d'Etat, à la demande des conseils régionaux concernés. Le Comité propose donc de favoriser les regroupements volontaires de régions et la modification de leurs limites territoriales pour en réduire le nombre à une quinzaine, l'objectif étant de les doter d'une population moyenne de l'ordre de 3 à 4 millions d'habitants (2).

L'article L. 3112-1 du même code prévoit (N° Lexbase : L9291AAD), quant à lui, que "les limites territoriales des départements sont modifiées par la loi après consultation des conseils généraux intéressés, le Conseil d'Etat entendu. Toutefois, lorsque les conseils généraux sont d'accord sur les modifications envisagées, celles-ci sont décidées par décret en Conseil d'Etat". En revanche, nulle disposition n'autorise la fusion de départements. Le Comité propose, de fait, de favoriser les regroupements volontaires de départements par des dispositions législatives de même nature que pour les régions. Dans le but de renforcer le rôle de la région dans le paysage administratif français, tout en la rapprochant du département, afin que l'exercice de leurs compétences respectives soit le plus efficace possible, le Comité propose même que les conseillers régionaux et généraux soient désignés en même temps et selon le même mode de scrutin. Le risque de "cantonalisation" des régions serait écarté par la suppression des cantons et le choix d'une circonscription plus vaste, au sein de laquelle le scrutin de liste aurait l'avantage d'étendre le champ de parité (3).

B - Les communes et leurs groupements

La dernière tentative de réduction du nombre des communes remonte à la loi "Marcellin" du 16 juillet 1971 (loi n° 71-588 du 16 juillet 1971, sur les fusions et regroupements de communes), qui a instauré les procédures de fusion simple et de fusion-association, associées à des incitations financières limitées dans le temps. Ces dispositions n'ont eu qu'un succès limité, la persistance d'un tissu de communes très fin s'expliquant par la proximité de ce niveau, incarnée par le maire à l'écoute des préoccupations quotidiennes, ainsi que par un attachement identitaire fort à un niveau inscrit dans les histoires locales.

Le Comité estime que le premier préalable à satisfaire pour engager une modernisation de l'administration communale est l'achèvement de la carte de l'intercommunalité avant 2014, via la poursuite du processus de regroupement des communes au sein d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Le Code général des collectivités territoriales prévoit actuellement plusieurs procédures permettant d'étendre ou de fusionner des EPCI : procédure de fusion d'EPCI, dont un au moins est à fiscalité propre (CGCT, art. L. 5211-41-3 N° Lexbase : L6600HWD), et procédure d'extension du périmètre d'un EPCI (CGCT, art. L. 5211-18 N° Lexbase : L1929GUY, qui prévoit l'accord des communes nouvelles).

Ceci implique que toutes les communes soient obligées de faire partie, en fonction de la population qu'elles comptent, de la structure intercommunale correspondante : communauté urbaine, communauté d'agglomération ou communauté de communes. Il s'agit, notamment, de s'opposer à des cas où une commune isolée refuse de partager le produit d'une ressource située sur son territoire. A cette fin, le Comité recommande que la loi prévoie que les communes rejoignent obligatoirement une intercommunalité avant le 31 décembre 2013, et que, passé ce délai, il appartienne au préfet d'y pourvoir. L'on peut, également, imaginer une incitation financière se traduisant par des pénalités pour les communes qui ne seraient pas comprises dans un périmètre intercommunal après la date butoir, par exemple une diminution progressive du montant de leur dotation globale de fonctionnement.

Enfin, pour donner une impulsion nouvelle aux intercommunalités les plus peuplées et les plus importantes de notre pays, le Comité recommande que soit créée une catégorie de collectivités locales à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L1342A9L), les "métropoles", qui seraient des collectivités locales à statut particulier. La création de ces métropoles, correspondant aux agglomérations françaises les plus importantes, celle de Paris mise à part (Lyon, Lille, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Nice, Strasbourg, Rouen, Toulon et Rennes), pourrait constituer une forme d'avant-garde à destination des autres structures intercommunales. Le Comité souhaite que les métropoles ainsi créées exercent, par attribution de la loi qui les aura instituées, la totalité des compétences départementales (action sociale et médico-sociale, collèges, environnement).

Le fait que les compétences des collectivités locales, qu'il s'agisse d'assurer le fonctionnement d'un service public, d'attribuer des concours financiers aux entreprises ou aux particuliers, ou encore de réaliser des investissements, soient toutes partagées entre elles, illustre la nécessité d'une remise en ordre de l'administration locale française.

II - La clarification des compétences des collectivités territoriales

A - La suppression de la clause générale de compétence pour les départements et les régions

La remise en cause de la clause générale de compétence, par sa suppression ou, pour le moins, une limitation de son champ d'application, est souvent mise en avant comme un moyen de remédier à l'enchevêtrement des compétences. En précisant que "les communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence" (CGCT, art. L. 1111-2 N° Lexbase : L5372H9T), le législateur a reconnu à chacun de ces niveaux de collectivités une marge d'intervention large sur les sujets d'intérêt local. Pour autant, cette clause générale semble n'avoir que peu d'impact lorsqu'on constate l'imbrication des interventions et des financements dans certains domaines.

C'est pourquoi le Comité a estimé que ses propositions de réforme des structures de l'administration territoriale prendraient leur plein effet si la clause générale de compétence était retirée à la région et au département, mais conservée à l'échelon communal. Dans ce cas, chaque fois que des communes décideront de fusionner dans le cadre de leur groupement, c'est cette nouvelle collectivité locale, dénommée "commune nouvelle", qui recevra la compétence générale. Un tel schéma garantirait, à la fois la capacité pour les élus les plus proches des populations et de leurs besoins de conserver une capacité d'initiative dans des cas non prévus par les textes, et l'exercice, par la région et le département, de leurs compétences respectives dans des conditions plus claires.

Alors qu'une partie de la doctrine émet l'hypothèse que la clause générale de compétence est l'une des composantes du principe de libre administration garanti par les articles 34 (N° Lexbase : L1294A9S) et 72 de la Constitution, le Comité estime qu'il n'y aurait pas d'obstacle constitutionnel à retirer la clause de compétence générale à telle ou telle catégorie de collectivités locales. En effet, tant que l'une de ces collectivités conserve un ensemble de compétences suffisamment important et diversifié pour être assimilé à un établissement public, ainsi que des ressources propres suffisantes, il est possible que cette clause ne lui soit plus dévolue sans que, pour autant, elle cesse d'être une collectivité locale.

B - Des compétences propres pour les collectivités territoriales

Un des moyens d'obtenir la clarification recherchée serait donc de confier aux départements et aux régions des compétences spéciales à la place de la clause générale de compétence : les départements et les régions interviendraient donc sur un domaine limitatif de compétences, que celles-ci soient exclusives ou, par exception, clairement partagées avec une seule autre personne publique, et enfin qu'elles soient prescriptives, et donc opposables aux autres niveaux d'administration, y compris l'Etat. Le secteur communal doit, ainsi, aux yeux du Comité, voir sa compétence propre confortée en matière de logement, de zones d'activité, d'urbanisme, d'infrastructures et de réseaux.

Toutefois, afin de permettre aux communes et à leurs groupements de mener à bien les projets d'équipement qu'elles souhaitent entreprendre, il convient que le département conserve, en dépit de la suppression de sa clause de compétence générale, la possibilité de les y aider que lui donnent expressément les articles L. 3232-1 (N° Lexbase : L8211AAD) et L. 3233-1 (N° Lexbase : L8213AAG) du Code général des collectivités territoriales. Sans doute aurait-on pu estimer qu'il y avait quelque logique à ce que la région, compétente en matière de transports ferroviaires, assure également la gestion des routes. Mais il n'a pas semblé au Comité, compte tenu des transferts récemment opérés par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4), en faveur des départements, qu'il y aurait avantage à revenir sur cette attribution de compétence.

Cependant, une segmentation trop rigide des compétences ne semble pas une voie réaliste et adaptée aux spécificités et aux exigences de l'action locale. Il convient, en effet, de veiller à ne pas aboutir à des effets indésirables de nature à tarir l'initiative locale, au détriment de l'intérêt public général. L'on peut, ainsi, souhaiter que, dans l'hypothèse où le bénéfice de la clause générale de compétence ne s'appliquerait plus aux départements et aux régions, leurs compétences spéciales devraient être définies de façon assez large, voire complétées par des compétences facultatives, sur le modèle de la solution retenue pour les EPCI. Une telle orientation permettrait, ainsi, d'affirmer les spécificités de chacun de ces deux niveaux de collectivités : le département dans son rôle de garant des solidarités sociales et territoriales, et la région dans ses missions stratégiques et liées à la préparation de l'avenir.

Une articulation entre compétences générales et spécifiques n'en reste pas moins à définir, afin d'affirmer les vocations propres au département et à la région, de renforcer la lisibilité de leurs interventions et de valoriser les complémentarités entre les collectivités. Un exemple caricatural est celui des réseaux de communication électronique et audiovisuelle. Le Comité a relevé que cette compétence, fondée sur les dispositions de l'article L. 1425-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L4239GT8), est exercée par tous les niveaux de collectivités locales, pour la création et la gestion des infrastructures et pour la distribution de services de communication en cas de carence de l'initiative privée. Une piste proposée par le Comité est celle de la délégation de compétences, processus qui existe depuis la grande réforme de la décentralisation lancée au début des années 80 et la loi du 13 août 2004, précitée. Le Comité propose que la loi prévoit l'obligation, pour une collectivité attributaire d'une compétence donnée, d'organiser, dans un délai déterminé, un appel à la délégation de compétences, la décision de déléguer restant de son ressort, mais tout refus de délégation devant être motivé.

Si les besoins de coordination entre les collectivités locales sont particulièrement criants en Ile-de-France, le statut de communauté urbaine qui a été conçu pour les grandes métropoles régionales ne semble pas adapté pour la capitale. En effet, la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999, relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale (N° Lexbase : L1827ASH), n'a pas été faite pour l'Ile-de-France, ce qui explique, par exemple, qu'il n'ait pas été créé de communauté urbaine autour de Paris. Le statu quo se révélant, néanmoins, impossible, le Comité propose de créer, en 2014, une collectivité locale à statut particulier, dénommée "Grand Paris" sur le territoire de Paris et des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Les compétences exercées par les trois départements supprimés seraient attribuées, en bloc, à la collectivité nouvelle. Le transfert des compétences exercées par la ville de Paris en tant que département obéirait aux mêmes règles. Toutefois, le conseil d'administration de l'Association des maires d'Ile-de-France (Amif) a rejeté, le 16 mars 2009, cette proposition jugée "trop brutale".

M. Edouard Balladur a rappelé que, dans son esprit, le projet de loi, qui devrait résulter des travaux du Comité pour la réforme des collectivités locales, devrait être discuté à l'automne 2009 et adopté en février 2010. Il a déclaré qu'il reviendra au Sénat, première assemblée qui sera saisie du projet de loi sur les collectivités de droit commun (hors Grand Paris), de préciser plusieurs aspects essentiels de la réforme concernant en particulier le statut des métropoles, la nécessité de clarifier les compétences de chaque niveau de collectivité territoriale, et les services qui pourraient être transférés de l'Etat aux collectivités territoriales.


(1) Rapport d'étape sur la réorganisation territoriale de M. Yves Krattinger et Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la mission Collectivités territoriales du Sénat, en date du 5 mars 2009.
(2) Rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales au Président de la République, en date du 11 mars 2009.
(3) Un paysage institutionnel profondément renouvelé, à la mesure des enjeux de l'avenir et des besoins de la population, entretien avec Hugues Hourdin et Michel Verpeaux, JCP, éd. A, n° 11-12, 9 mars 2009.

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