La lettre juridique n°342 du 19 mars 2009 : Concurrence

[Questions à...] Commercialisation de l'iPhone : Orange se voit contraint de partager la "poule aux oeufs d'or" - Questions à Marie de Prandières, juriste au sein de l'UFC-Que Choisir, et à Jérôme Franck, Avocat spécialisé en droit économique

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[Questions à...] Commercialisation de l'iPhone : Orange se voit contraint de partager la "poule aux oeufs d'or" - Questions à Marie de Prandières, juriste au sein de l'UFC-Que Choisir, et à Jérôme Franck, Avocat spécialisé en droit économique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211577-questionsacommercialisationdeliphoneorangesevoitcontraintdepartagerlapouleauxoeufsdo
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par Anne Lebescond - Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Les trois opérateurs réseau de téléphonie mobile en France, Orange, SFR et Bouygues, se livrent une bataille sans merci dans la conquête de ce marché si lucratif. Ils se concentrent, aujourd'hui, en particulier, sur un segment qui laisse percevoir des perspectives de croissance extraordinaires, celui des "smartphones". Ces téléphones offrent un accès internet mobile et sont équipés, le plus souvent, d'un écran tactile, pour faciliter la navigation sur la "toile". Ils combinent, également, d'autres options plus ou moins traditionnelles (assistant personnel, appareil photo, GPS, lecteur vidéo ou encore MP3). "Démocratisés" depuis peu, cette technologie inonde le marché, d'autant que les subventions proposées par les opérateurs les rendent abordables. Dans cette course acharnée, le groupe Orange avait marqué une nette avancée sur ses concurrents. Il avait, en effet, obtenu d'Apple une exclusivité pour commercialiser le plus prisé de ces appareils, le fameux iPhone, véritable révolution technologique protégée par plus de deux cents brevets et ayant eu l'effet l'effet d'engouement escompté auprès du public. L'exclusivité portait sur une durée de cinq ans, avec faculté de sortie sans contrepartie pour Apple au bout de trois ans, durée de loin supérieure aux usages en la matière (entre trois à neuf mois). Le bénéfice pour Orange aura été conséquent : plus de 450 000 exemplaires de la nouvelle génération -l'iPhone 3G- vendus, en moins de cinq mois, générant, pour Orange, un chiffre d'affaires estimé à 696 600 000 euros et un bénéfice de 139 500 000 euros. "Aura été", car l'exclusivité a été écourtée : le Conseil de la concurrence a pris des mesures conservatoires visant à mettre fin aux accords liant le géant américain au groupe français (décision n° 08-MC-01, 17 décembre 2008, relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones N° Lexbase : X4635AEE), décision récemment confirmée en appel (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 4 février 2009, n° 2008/23828, Société Orange France et autres c/ Société Bouygues Télécom et autres N° Lexbase : A8427EC4).

L'exclusivité n'était pas explicite, en ce qu'elle n'était pas aménagée expressément dans un contrat, mais était obtenue par le jeu des dispositions de quatre conventions :
- un contrat de partenariat réseau conclu entre Apple et France Telecom, la société holding d'Orange, désignant cette dernière comme seul opérateur réseau ;
- un accord de distribution pour la France, conclu entre Apple et Orange, mettant en place un réseau de distribution sélective, au sein duquel Orange est le grossiste exclusif de distributeurs agréés par Apple et posant les conditions à respecter par les boutiques Orange ;
- des contrats par lesquels Apple agrée d'autres distributeurs de détails, qui obligent chaque point de vente à offrir la gamme complète des services de téléphonie mobile pour l'iPhone des opérateurs de réseau agréés à l'intérieur du territoire de distribution sélective (soit Orange exclusivement) et à être en mesure d'activer ces services ;
- des contrats conclus entre Orange et ces distributeurs de détails, qui imposent à ceux-ci de se fournir en terminaux exclusivement et directement auprès d'Orange, ne leur permettant la revente que dans les points autorisés en France et leur imposant d'assortir la vente du téléphone d'une offre de téléphonie Orange ou, en cas de vente de terminaux nus, de doter ces appareils d'une carte SIM bloquée sur le réseau Orange, les opérations de "désimlockage" étant facturées 100 euros.

C'est Bouygues qui a "dégainé" le premier l'arsenal judiciaire, en saisissant, en septembre 2008, le Conseil de la concurrence, en vue du prononcé des mesures conservatoires. Invoquant une entente prohibée, il obtint gain de cause. Orange forme, alors, appel de la décision, sans plus de succès. Pour faire la lumière sur les aspects juridiques de cette affaire, Lexbase Hebdo - édition privée générale a interrogé Marie de Prandières, juriste au sein de l'UFC-Que Choisir, intervenante volontaire à l'instance (tout comme SFR) et Jérôme Franck, Avocat spécialisé en droit économique, qui a représenté l'association à l'instance.

Lexbase : Apple et Orange ont tenté de faire échec à l'intervention volontaire de SFR. Sur quels fondements s'est appuyée la cour d'appel pour rejeter leur demande ?

Marie de Prandières et Jérôme Franck : Selon les appelants, l'intervention volontaire de SFR, fondée sur les articles 330 (N° Lexbase : L2544ADL) et suivants du Code de procédure civile, n'était pas compatible avec la nature propre du contentieux de la concurrence, dès lors qu'elle avait pour objet la protection de ses intérêts privés. Ce grief n'était, logiquement, pas porté à l'encontre de l'UFC-Que Choisir, association ayant pour objet la défense de l'intérêt collectif des consommateurs.

Pour écarter cette argumentation, la cour s'est fondée sur les dispositions du Code de commerce qui prévoient expressément la possibilité pour une entreprise de faire valoir ses intérêts privés devant le Conseil de la concurrence dans deux cas de figure : soit, en saisissant le Conseil de pratiques anticoncurrentielles (C. com., art. L. 462-5 N° Lexbase : L6628AIC), soit, en lui présentant des observations au sujet des engagements que le Conseil envisage de prendre pour mettre fin à des pratiques anticoncurrentielles. Dès lors, l'intervention volontaire de SFR, tout à fait comparable à une saisine initiale, n'était pas incompatible avec la nature propre du contentieux de la concurrence.

Lexbase : Quels étaient les arguments avancés par Bouygues, SFR et l'UFC-Que Choisir pour dénoncer une entente prohibée entre Apple et le groupe Orange ?

Marie de Prandières et Jérôme Franck : La première étape de l'argumentation de Bouygues Telecom consistait, logiquement, à démontrer que l'accord d'exclusivité visé ne pouvait pas bénéficier de l'exemption du Règlement n° 2790/1999 (Règlement n° 2790/1990 du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du Traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées N° Lexbase : L3833AUI). Pour cela, l'opérateur plaignant relevait que les contrats en cause contenaient plusieurs clauses "noires" y faisant obstacle. Etaient, en particulier, dénoncées, les restrictions faites aux livraisons croisées entre les membres du réseau agréé Apple (article 4.d), les restrictions des ventes actives et passives d'iPhones aux utilisateurs finaux par les distributeurs agréés (article 4.c) et les restrictions des ventes passives vers des territoires exclusifs réservés au fournisseur ou concédés par le fournisseur à un autre acheteur (article 4.d).

Dans un second temps, Bouygues Telecom soutenait que l'exclusivité dénoncée, compte tenu de sa rigueur, de son champ très large, de sa durée excessivement longue au regard des pratiques du secteur (cinq ans), de la position d'Orange de leader sur le marché (43,5 % du parc clients de téléphonie mobile) et de la situation de la concurrence réduite sur le marché (cf. Cons. conc., avis n° 08-A-16, 30 juillet 2008, relatif à la situation des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (MVNO) sur le marché français de la téléphonie mobile N° Lexbase : X3920AEW) avait, indéniablement, pour effet de fausser la concurrence.

Il était, ensuite, important pour le plaignant de démontrer que l'exclusivité dénoncée ne pouvait être compensée par les gains d'efficience invoqués par Orange. De manière préliminaire, Bouygues Telecom niait, sur la base d'une jurisprudence constante (cf. Cons. conc., décision n° 97-MC-04, 5 mars 1997, relative aux demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat Européen des Mandataires et Intermédiaires d'Assurances (SEMIA) ainsi que par les Chambres syndicales d'agents généraux d'assurances d'Eure-et-Loir N° Lexbase : X7865ACB), l'applicabilité de l'exemption individuelle des articles 81 § 3 du Traité CE ou de l'article L. 420-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L8716IBG) au stade des mesures conservatoires. En tout état de cause, selon lui, Orange ne démontrait pas la réunion des quatre conditions nécessaires à l'octroi d'une telle exemption. En particulier, les conditions selon lesquelles l'accord ne doit pas imposer de restrictions non indispensables et ne doit pas donner aux entreprises la possibilité d'éliminer la concurrence pour une part substantielle des produits ou services en cause n'étaient pas réunies. Sur les premiers points, Bouygues Telecom soulignait que l'accord d'exclusivité ne pouvait pas être indispensable, puisqu'il n'existait pas dans tous les pays de l'Union européenne. En outre, il reprochait à Orange de se contenter d'alléguer des prétendus gains d'efficience, sans aucunement les justifier de manière objective.

Enfin, s'agissant du prononcé des mesures conservatoires, l'opérateur défendeur à l'appel insistait sur la gravité de l'atteinte portée aux consommateurs, ceci à tous les niveaux du secteur :
- au niveau des distributeurs, exclus de la faculté de distribuer l'iPhone ;
- au niveau des constructeurs de terminaux concurrents d'Apple, dont les terminaux sont sous-subventionnés par Orange, à hauteur de 20 % par rapport à l'iPhone ;
- au niveau de tous les opérateurs de téléphonie mobile concurrents d'Orange, qui perdent des abonnés ;
- au niveau de la concurrence sur le marché (compte tenu de la multiplication d'accords verticaux entre opérateurs mobiles et fabricants de terminaux, avec le risque de création d'un effet cumulatif défavorable aux plus petits opérateurs).

Au sujet de la condition d'immédiateté de l'atteinte, Bouygues Telecom indiquait que le prononcé des mesures conservatoires par le Conseil n'était pas tardif, malgré l'imminence des fêtes de Noël. Preuve en était, la mainlevée de l'exclusivité à partir du 17 décembre 2008 avait, d'ores et déjà, produit des effets bénéfiques pour le consommateur et le secteur (baisse des prix de l'iPhone par Orange, en réaction à la décision, mise en vente dès le 24 décembre dans le réseau The Phone House d'iPhones associés aux services Bouygues Telecom à 29 euros ou 19 euros, en période de promotion, et à 89 euros, hors promotion).

Au sein de son intervention volontaire devant la cour d'appel de Paris, l'UFC-Que Choisir s'était, naturellement, attachée à mettre en exergue la nocivité pour les consommateurs de l'accord d'exclusivité conclu entre Apple et Orange. Tout d'abord, il faisait directement obstacle à la liberté de choix du consommateur pour le forfait de téléphonie mobile qu'il souhaitait associer à l'iPhone acquis. En effet, l'achat des iPhones "nus", qui devait, théoriquement, permettre l'utilisation du réseau des autres opérateurs était particulièrement dissuasif, car non seulement, le prix du téléphone non subventionné était très élevé, mais il fallait, aussi, y ajouter des frais de "désimlockage" très onéreux (100 euros). Ainsi, juridiquement, il s'agissait, ni plus, ni moins, d'une vente liée prohibée par l'article L. 122-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6477ABI).

Ensuite, le partenariat conclu entre Orange et Apple créait une distorsion de concurrence sur le marché "associé" de téléphonie mobile. En effet, compte tenu de son incroyable attractivité (en raison, notamment, de la marque Apple et de sa capacité à proposer le premier une application simple et ergonomique de l'internet mobile pour les particuliers), l'iPhone constituait un formidable levier d'abonnements pour Orange au détriment des autres opérateurs. En outre, l'exclusivité conclue court-circuitait toute concurrence entre les services de téléphonie mobile associés à ce terminal. Ainsi, le consommateur était, de fait, obligé de choisir un forfait Orange, alors que le forfait d'un autre opérateur aurait pu être moins onéreux ou plus conforme à ses attentes.

L'UFC-Que Choisir manifestait, également, sa crainte de voir le modèle d'accord vertical se multiplier et conduire, par là, à un cloisonnement vertical du marché, réduisant, ainsi, la concurrence frontale entre les services de téléphonie mobile. Or, l'amoindrissement de la concurrence entre opérateurs sur les prix, sur la qualité des réseaux et des infrastructures, comme sur la qualité des services clients, est naturellement dommageable pour les consommateurs.

Enfin, comme Bouygues Telecom, l'UFC-Que Choisir avait, également, relevé que la fin de l'exclusivité récemment prononcée par le Conseil de la concurrence avait déjà eu des effets bénéfiques pour les consommateurs, puisque les prix de l'iPhone vendus par Orange avaient diminué, et que des baisses de prix significatives avaient pu être constatées sur le terminal, en raison de subventions accordées par des opérateurs différents.

Le temps nous a, malheureusement, démontré que ce regain de concurrence ne devait être que très éphémère, puisque, après la décision de la cour d'appel, non seulement Orange a rehaussé les prix de l'iPhone, mais aussi, SFR a annoncé la prochaine vente de l'iPhone aux mêmes prix ! Preuve que le marché oligopolistique de la téléphonie mobile reste déficient en termes de concurrence. Espérons que Bouygues Telecom, qui s'est prévalu de l'intérêt des consommateurs pour argumenter sa plainte, jouera, lui, le jeu de la concurrence au bénéfice des consommateurs.

Lexbase : Quels axes de défense avaient choisi de développer Apple et Orange ?

Marie de Prandières et Jérôme Franck : Orange et Apple axaient essentiellement leur défense sur l'absence d'atteinte à la concurrence causée par l'exclusivité dénoncée.

Plus en détail, pour se défendre de la qualification d'entente anticoncurrentielle, Orange soutenait que les accords conclus avec Apple étaient couverts par le Règlement d'exemption n° 2790/1999. Il insistait, également, sur l'absence d'atteinte à la concurrence, dès lors que l'exclusivité ne lui donnait pas un monopole, puisqu'en acquérant le terminal "nu", les consommateurs pouvaient l'utiliser sur les réseaux Bouygues Telecom et SFR. Dans le même sens, sa démonstration tendait, naturellement, à minimiser l'attractivité du produit iPhone, au regard, notamment, de la prolifération des "iPhone-killers" (smartphones autre que l'iPhone, créés par les concurrents d'Apple). En tout état de cause, il avançait que la prétendue atteinte à la concurrence résultant de l'exclusivité était compensée par des gains d'efficience : celui-ci aurait pris d'importants risques et engagé de lourds investissements, en vue du lancement d'un produit innovant, puis, de sa démocratisation par des prix attractifs auprès des consommateurs. C'est, en particulier, en contrepartie de l'exclusivité, qu'Orange aurait "sur-subventionné" l'iPhone au bénéfice des consommateurs.

Apple, quant à lui, annonçait, en cours de délibéré, que 80 % et, bientôt, la totalité du catalogue musical sur l'iTunes Store serait, désormais, vendu sans verrou de protection (DRM). Il ne pouvait, donc, plus s'agir d'un levier permettant à Apple de basculer son importante clientèle des lecteurs de musique iPods vers l'iPhone.

Sur le prononcé des mesures conservatoires, les deux appelants faisaient grief au Conseil de ne pas avoir respecté les conditions légales prescrites par l'article L. 464-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8200IBC). Selon eux, le conseil s'était contenté d'une atteinte à la concurrence hypothétique et, donc, non "grave et immédiate", comme l'exige la loi. Orange attirait, également, l'attention de la cour sur le caractère disproportionné et irréversible des mesures prises par le Conseil de la concurrence.

Lexbase : Pourquoi l'exemption du Règlement n° 2790/1999 sur les restrictions verticales, soulevées par Orange et Apple, tant devant le Conseil de la concurrence, que devant la cour d'appel, a-t-elle été rejetée ?

Marie de Prandières et Jérôme Franck : Le Conseil de la concurrence a rejeté cette exemption pour plusieurs raisons. Une description préalable du schéma de distribution mis en place s'impose pour les comprendre.

Si Orange était l'opérateur réseau exclusif retenu par Apple en France, il n'était, cependant, pas le distributeur exclusif de l'iPhone, d'autres distributeurs indépendants pouvant être agréés par Apple pour procéder à une telle distribution sur le territoire français (réseau de distribution sélective). En revanche, ces distributeurs ne s'approvisionnaient pas auprès du fabricant, mais auprès d'Orange, qui s'approvisionnait, lui-même, auprès d'Apple.

La première raison justifiant, tant pour le Conseil, que pour la cour, l'inapplication du Règlement d'exemption n° 2790/1999 réside dans l'interdiction des livraisons croisées entre grossistes agréés et entre revendeurs de détail agréés (Règlement n° 2790/1999, art. 4, d) résultant des accords visés. En effet, les distributeurs agréés auprès d'Apple ne pouvaient, sauf accord préalable et écrit d'Orange, ne s'approvisionner qu'auprès de lui. De même, sauf accord préalable et écrit d'Apple, Orange ne pouvait acheter l'iPhone qu'auprès d'Apple. Par ailleurs, Apple entendait limiter les exportations en demandant à Orange, de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que, ni lui, ni les distributeurs agréés ne vendent des iPhones à un acheteur souhaitant les exporter à des fins de vente. Ainsi, Apple cloisonnait totalement les marchés nationaux et évitait toutes importations parallèles.

La cour d'appel a, également, suivi l'argumentation de Bouygues Telecom, selon laquelle le système de distribution de l'iPhone mis en place contrevenait à l'article 4, c, du Règlement d'exemption, qui proscrit la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finaux par les membres d'un système de distribution sélective opérant en tant que détaillants sur le marché. Les détaillants agréés de l'iPhone ayant l'obligation d'associer à chaque terminal vendu une prestation de téléphonie mobile Orange, même en cas de vente de terminal "nu" -en fait, obligatoirement assorti d'une carte SIM bloquée sur le réseau Orange, avec des frais de "désimlockage" très dissuasifs-, cela empêchait, en effet, les ventes du "smartsphone" aux utilisateurs finaux qui ne souhaitaient pas souscrire à un service de téléphonie mobile Orange.

Le Conseil avait, également, considéré que l'accord d'exclusivité ne pouvait être couvert par l'exemption, car la part d'Orange en tant "qu'acheteur de l'exclusivité d'opérateur de réseau était de plus de 40 %". Il précisait à ce sujet, que, s'agissant d'un accord contenant une obligation de fourniture exclusive, c'est la part détenue par l'acheteur sur le marché où il achète les produits ou services contractuels qui ne doit pas être supérieure au seuil de 30 %, pour que l'exemption catégorielle puisse s'appliquer (Règlement n° 2790/1999, art. 3. 2).

Orange critiquait ce raisonnement à deux points de vue. Selon lui, l'exclusivité dénoncée ne correspondait pas à l'obligation de fourniture exclusive définie dans le Règlement, dès lors qu'il n'en était pas le seul bénéficiaire pour toute l'Union européenne, mais, seulement pour la France. L'opérateur historique considérait, en outre, que c'est sa part de marché sur le marché amont de la fourniture en gros des terminaux qui devait être prise en considération et non celle sur le marché aval des services de téléphonie mobile.

La cour d'appel de Paris n'a pas tranché le débat, estimant que, compte tenu des restrictions de concurrence caractérisées déjà relevées, "il n'y a[vait] pas lieu [...] d'examiner le moyen tiré des parts de marché respectives de Apple et de Orange et de l'application de l'article 3 du Règlement".

Lexbase : Comment la cour a-t-elle caractérisé l'atteinte grave et immédiate pour confirmer le prononcé des mesures conservatoires ?

Marie de Prandières et Jérôme Franck : La cour insiste, à nouveau, sur l'importante distorsion de concurrence résultant de cette exclusivité qui, non seulement, est exceptionnellement longue, mais aussi, porte sur un produit particulièrement attractif. Une telle distorsion est susceptible de renforcer la position d'Orange sur le marché de la téléphonie mobile (et, plus particulièrement, sur le marché de l'internet mobile en pleine structuration), et d'affaiblir un peu plus l'intensité concurrentielle, ceci au détriment des consommateurs et du secteur.

Elle mesure l'ampleur de cette atteinte au regard de l'important dynamisme du terminal multimédia dans lequel s'inscrit le succès phénoménal de l'iPhone. Pour répondre à l'argument d'Orange, selon lequel ce succès ne serait que temporaire et lié à l'effet de nouveauté, elle ne se concentre pas exclusivement sur la période des fêtes de fin d'année, comme l'avait fait le Conseil pour caractériser la condition d'urgence, mais note que cette "explosion" devrait durer au-delà de cette période spécifique.

Elle relève que ce succès entraîne ainsi une captation quasiment irréversible des abonnés au détriment des autres opérateurs. Elle insiste, particulièrement, sur le fait qu'Orange bénéficie, au surplus, du système captif d'ores et déjà mis en place par Apple sur le marché du baladeur numérique (avec l'iPod) et du téléchargement de musique en ligne (avec l'itunes Music Store) grâce aux DRM.

Elle n'a pas été sensible à l'argument d'Apple, selon lequel cette captivité devait s'éteindre compte tenu de l'abandon des DRM, puisqu'à moins de repayer la somme exorbitante 0,30 euro par chanson ou 30 % du prix de l'album, les anciens clients restent "prisonniers" du système. D'abord captifs du système Apple, ils deviennent, par l'exclusivité dénoncée, captifs des services de téléphonie mobile d'Orange.

Orange ayant largement récupéré, en trois mois, les investissements spécifiques consentis pour l'iPhone 3G, la cour considère que l'exclusivité obtenue sur ce dernier depuis cinq mois n'a que trop duré et que sa suspension par le Conseil était, donc, justifiée et proportionnée.

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