La lettre juridique n°337 du 12 février 2009 : Pénal

[Jurisprudence] Confirmation de l'assouplissement du critère du commencement d'exécution punissable en matière de tentative d'escroquerie à l'assurance

Réf. : Cass. crim., 17 décembre 2008, n° 08-82.085, F-P+F (N° Lexbase : A1635ECK)

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par Romain Ollard, Docteur en droit, ATER à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 17 décembre 2008 mérite l'attention en ce qu'il prend position sur une controverse relative à la détermination du commencement d'exécution constitutif de la tentative d'escroquerie à l'assurance.
Connaissant d'importantes difficultés financières, un individu fit mettre le feu à son véhicule automobile et déposa plainte pour vol de ce véhicule afin de percevoir une indemnité de sa compagnie d'assurance. Mais, immédiatement confondu par les services de police et, ayant reconnu être l'instigateur de cet incendie, il fut poursuivi sur le fondement de la tentative d'escroquerie. La question se posait donc de savoir si la destruction volontaire d'un bien assuré, accompagné du dépôt de plainte pour vol de ce bien, suffisent à caractériser un commencement d'exécution punissable au titre de la tentative d'escroquerie. Si la cour d'appel de Paris décida d'entrer en voie de condamnation de ce chef, la Haute juridiction cassa cette décision, au motif que "la destruction d'un véhicule et la plainte pour vol ne constituent que des actes préparatoires qui ne sauraient, en l'absence de déclaration de sinistre, constituer un commencement d'exécution justifiant une condamnation pour tentative d'escroquerie". En retenant ainsi la "déclaration de sinistre" à l'assurance comme facteur déclenchant de la responsabilité, cet arrêt vient confirmer une évolution jurisprudentielle récente tendant à l'assouplissement du critère du commencement d'exécution punissable en matière de tentative d'escroquerie à l'assurance. Sans reprendre dans le détail l'ensemble de la théorie de la tentative, il convient de rappeler, à titre liminaire, que le commencement d'exécution punissable doit, selon une définition jurisprudentielle classique, tendre directement et immédiatement à la consommation de l'infraction, avec intention de la commettre (1). La théorie de l'infraction tentée distingue ainsi les actes préparatoires -non punissables-, qui peuvent être définis comme la réunion des moyens nécessaires pour réaliser l'infraction projetée, et le commencement d'exécution punissable, qui consiste en la mise en oeuvre de ces moyens (2).

Ces principes généraux rappelés, qu'en est-il en matière d'escroquerie ? A quel moment passe-t-on des actes préparatoires de l'escroquerie au commencement d'exécution constitutif de la tentative punissable ? S'il ne fait plus, aujourd'hui, de doute que l'escroquerie est consommée par la remise du bien convoité, cette infraction présente la particularité d'être une infraction complexe, qui se constitue non par un acte matériel, mais par une pluralité d'actes matériels : une tromperie réalisée par l'auteur, consistant, en l'espèce, en des manoeuvres frauduleuses (3) et une remise opérée par la victime, laquelle consomme le délit d'escroquerie. Or, la nature complexe de l'escroquerie exerce assurément une influence sur la détermination du commencement d'exécution punissable. Classiquement, trois traits de temps sont ainsi distingués en la matière : les manoeuvres frauduleuses d'abord, constitutives de simples actes préparatoires non punissables ; la sollicitation de la victime aux fins de remise ensuite, constitutive du commencement d'exécution punissable ; et, enfin, la remise, seuil de consommation de l'infraction (4). En d'autres termes, l'accomplissement des manoeuvres frauduleuses ne forme jamais à lui seul que de simples actes préparatoires non punissables tant que l'agent n'a pas tenté, par ses agissements positifs, de se faire remettre l'objet convoité. Appliquée à l'hypothèse spécifique de l'escroquerie à l'assurance, ce schéma conduit aux solutions suivantes : il y a actes préparatoires tant que l'agent n'a accompli aucune démarche auprès de son assureur aux fins de remboursement du sinistre simulé (5) ; commencement d'exécution lorsqu'il demande le remboursement du sinistre à l'assurance ; et l'escroquerie est consommée s'il obtient ce remboursement. L'arrêt commenté se situe parfaitement dans ce sillage. N'ayant entrepris aucune démarche positive auprès de la société d'assurance aux fins de remboursement du sinistre, l'agent était encore dans la phase de réunion des moyens nécessaires à la réalisation de l'escroquerie. A défaut de proximité causale suffisante avec la remise, les actes de destruction du bien assuré et de dépôt de plainte ne forment que des manoeuvres frauduleuses, non punissables au titre de la tentative. Aussi, en jugeant que "la destruction d'un véhicule et la plainte pour vol ne constituent que des actes préparatoires", la Haute juridiction s'en tient-elle à une position classique.

Mais pour classique qu'il soit dans sa solution, l'arrêt n'en demeure pas moins digne d'intérêt quant à sa motivation. En posant en principe que "la destruction d'un véhicule et la plainte pour vol ne constituent que des actes préparatoires qui ne sauraient, en l'absence de déclaration de sinistre, constituer un commencement d'exécution", cet arrêt prend, en effet, position sur une controverse ayant animé, ces dernières années, l'escroquerie à l'assurance.

Il était de jurisprudence affirmée, depuis un célèbre arrêt du 27 mai 1959, que la simple déclaration d'un sinistre fictif à l'assurance n'est qu'un acte préparatoire ne pouvant, en l'absence de demande de remboursement présentée par l'assuré, constituer le commencement d'exécution punissable (6). En d'autres termes, seule la "demande expresse de remboursement" auprès de l'assurance pouvait caractériser le commencement d'exécution, à la différence de la simple déclaration de sinistre. Mais, déjà malmené dans un arrêt de 1977 (7), ce critère fut abandonné dans une série d'arrêts initiés dans les années 1990, par lesquels il fut jugé que "la déclaration faite à une compagnie d'assurances d'un sinistre suffit [...], en dehors de toute demande de remboursement, à caractériser le commencement d'exécution de la tentative d'escroquerie" (8). Le critère de la déclaration à l'assurance était ainsi substitué à celui de la demande de remboursement. Or, par la référence à la "déclaration de sinistre", cet arrêt viendrait confirmer une telle évolution, d'autant qu'il n'était point nécessaire de s'appuyer sur le critère de la déclaration, le seul constat de l'absence de démarche auprès de l'assureur suffisant à parvenir à l'impunité. Parachevant une évolution tendant à assouplir le critère du commencement d'exécution, cet arrêt viendrait ainsi clore la controverse relative à la détermination du commencement d'exécution punissable.

Toutefois, il n'est pas certain que cette controverse en ait jamais été véritablement une. Car en effet, si la jurisprudence postérieure à 1977, semblant osciller entre les critères de la déclaration de sinistre et celui de la demande de remboursement (9), pouvait paraître versatile (10), un examen attentif des différentes solutions jurisprudentielles pourrait montrer que la position de la Haute juridiction n'a, en réalité, jamais varié depuis cette date. Dans toutes les hypothèses où la déclaration de sinistre a pu être jugée suffisante, c'est à la condition qu'elle soit circonstanciée, c'est-à-dire appuyée par des éléments extérieurs permettant d'exprimer clairement la volonté de l'agent d'obtenir l'indemnisation de son sinistre simulé : la déclaration de sinistre n'est suffisante que lorsqu'elle revêt un degré de certitude telle qu'elle vaut implicitement mais nécessairement demande de remboursement (11). De la même manière qu'en droit civil l'acceptation à un contrat peut être expresse ou tacite, dès l'instant qu'elle est certaine, la demande de remboursement à l'assurance peut n'être qu'implicite, dès lors qu'elle est univoque. En définitive, ce qui importerait pour constituer le commencement d'exécution punissable, c'est moins la forme de la sollicitation, celle-ci pouvant être implicite ou explicite, que son caractère certain (12). Il existerait, ainsi en la matière, un critère uniforme du commencement d'exécution punissable, la demande de remboursement, celle-ci pouvant être expresse ou pouvant prendre la forme d'une simple déclaration de sinistre, à la condition qu'elle exprime sans ambiguïté la volonté de l'escroc d'obtenir remboursement. Et, même lorsque, par exception, les arrêts ne subordonnent pas formellement la caractérisation du commencement d'exécution à la condition que la déclaration de sinistre soit étayée par des éléments extérieurs (13), il ne paraît pas excessif de considérer que celle-ci contient toujours implicitement, mais certainement, demande d'indemnisation (14), dans la mesure où l'on voit mal dans quel autre but pourrait être effectuée une telle déclaration. La controverse apparaît ainsi, dans une large mesure, artificielle.

Quoi qu'il en soit, la destruction du véhicule et la déclaration de vol ne pouvaient-ils être considérés, en l'espèce, comme constitutifs d'un commencement d'exécution punissable ? Sans doute l'agent n'a-t-il effectué aucune démarche auprès de sa compagnie d'assurance, de sorte que, au regard du schéma classique de la tentative d'escroquerie, ces actes n'apparaissaient que comme des manoeuvres punissables au titre de la tentative.

Pourtant, la tentation était grande de caractériser un commencement d'exécution punissable en l'espèce. Ce dernier est, on le sait, défini comme les actes qui tendent directement et immédiatement à la consommation du délit, avec intention de le commettre. Or, on pourrait à cet égard vouloir distinguer deux types de manoeuvres frauduleuses (15) : celles qui, à défaut d'une certitude causale suffisante, ne permettraient pas de caractériser un acte en relation directe avec la remise ; et celles qui, traduisant le but de l'agent de manière certaine, pourraient donner lieu à répression. Tandis que la seule destruction d'un bien assuré appartiendrait à la première catégorie de manoeuvres en ce qu'un tel acte, entaché d'équivoque, ne traduirait pas avec certitude la volonté de parvenir au résultat de l'escroquerie à l'assurance -le remboursement du sinistre-, ce même acte, mais doublé d'une plainte pour vol, pourrait être jugé punissable. Traduisant assurément la volonté de l'agent d'obtenir indemnisation du sinistre simulé, le dépôt de plainte est un acte univoque en ce sens qu'il ne peut être interprété autrement que comme tendant directement, dans l'intention de son auteur, au résultat du délit. Quel autre but pourrait-il en effet y avoir à déposer plainte si ce n'est pour obtenir indemnisation de l'assurance ? En définitive, l'exigence de causalité serait appréciée subjectivement, au regard du but poursuivi par l'agent, l'intensité de l'intention délictueuse venant en quelque sorte compenser le défaut de proximité temporelle, bref combler le caractère objectivement insuffisant du lien de causalité (16). La répression se justifierait d'autant plus que la causalité n'a été rompue, en l'espèce, que par des circonstances indépendantes de la volonté de l'agent, l'absence de démarche auprès de l'assurance n'étant due qu'à la sagacité des policiers qui ont su déjouer son entreprise délictueuse. Traduit en termes de tentative, le désistement n'était pas volontaire.

Par l'arrêt commenté, la Cour de cassation refuse de souscrire à cette conception subjective du lien de causalité en matière de tentative. En jugeant que "la destruction d'un véhicule et la plainte pour vol ne constituent que des actes préparatoires", la Haute juridiction retient un critère purement objectif pour caractériser le commencement d'exécution punissable : elle exige matériellement une démarche auprès de l'assurance, c'est-à-dire un acte qui tend directement et objectivement à la remise. Une telle solution est rassurante en ce qu'elle offre contre l'arbitraire judiciaire des garanties que ne comporte pas la prévalence d'une appréciation purement psychologique et ce surtout que, en élargissant le domaine du commencement d'exécution, on réduit d'autant celui du désistement volontaire, ce qui pourrait apparaître comme n'étant pas de bonne politique criminelle.

Cette construction jurisprudentielle en matière d'escroquerie à l'assurance apparaît, en définitive, équilibrée en ce qu'elle parvient à allier rigueur nécessaire -en retenant une conception souple du commencement d'exécution punissable, spécialement quant à la forme des démarches effectuées auprès de l'assurance- et garantie contre l'arbitraire judiciaire -prévalence d'un critère objectif pour caractériser l'exigence d'un lien de causalité direct entre l'acte constitutif du commencement d'exécution et la consommation de l'escroquerie-.


(1) V., par exemple, Cass. crim., 8 novembre 1972, n° 72-91.720, publié (N° Lexbase : A6618CG9), Bull., crim. n° 331 ; J. Pradel, A. Varinard, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 6ème éd., 2007, n° 30.
(2) Sur cette distinction, v. Ph. Conte, P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, 7ème éd., 2004, n° 332 ; R. Merle, A. Vitu, Traité de droit criminel, tome 1, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 496.
(3) Si la tromperie peut consister soit en des manoeuvres frauduleuses, soit en l'usage d'un faux nom, d'une fausse qualité ou en l'abus d'une qualité vraie, seules les manoeuvres frauduleuses -constituées par un mensonge renforcées par une mise en scène consistant en la destruction du véhicule- étaient en cause en l'espèce, comme d'ailleurs dans la majorité des hypothèses d'escroquerie à l'assurance.
(4) En ce sens, v. notamment E. Garçon, Code pénal annoté, Sirey, 2ème éd., par M. Rousselet, M. Patin, M. Ancel, 1952, art. 2, n° 68 ; art. 405, n° 140 et s. ; R. Merle, A. Vitu, Traité de droit criminel, tome 3, Droit pénal spécial, Cujas, 1982, n° 2350 ; M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Dalloz, 5ème éd., 2006, n° 134.
(5) Cass. crim., 27 mai 1959, Bull. crim., n° 282 ; RSC, 1959, p. 842, obs. A. Légal.
(6) Cass. crim., 27 mai 1959, préc..
(7) Cass. crim., 14 juin 1977, n° 76-92.946, publié (N° Lexbase : A4414CHX), Bull., crim. n° 215 ; D., 1978, j. 127, note J.-M. Robert.
(8) Cass. crim., 17 juillet 1991, n° 90-87.454, inédit (N° Lexbase : A8892CUU), DP, 1992, comm. 94, obs. M. Véron. Adde Cass. crim., 1er juin 1994, n° 93-83.382, inédit (N° Lexbase : A0089CLU), DP, 1994, comm. 234, obs. M. Véron ; Cass. crim., 22 février 1996, n° 95-81.627, publié (N° Lexbase : A9126ABM), Bull. crim., n° 96, RSC, 1996, p. 846, obs. B. Bouloc ; Cass. crim., 8 septembre 2004, n° 03-85.009 (N° Lexbase : A0813EDH), DP, 2005, comm. 13 ; Cass. crim., 1er juin 2005, n° 04-86.832 (N° Lexbase : A0814EDI).
(9) V. particulièrement un arrêt du 22 mai 1984 (Cass. crim., 22 mai 1984, n° 82-91.523 N° Lexbase : A7979AAR, Bull. crim., n° 87 ; D., 1984, j. 602, note J.-M. Robert ; RSC, 1985, p. 557, obs. A. Vitu) qui décide que la destruction volontaire d'un bien "n'est qu'un acte préparatoire et ne saurait, en l'absence de demande de remboursement présentée par l'assuré, constituer le commencement d'exécution".
(10) Sur l'analyse d'ensemble de cette jurisprudence, v. J. Gatsi, L'escroquerie à l'assurance : état des lieux, LPA, 1996, n° 76, p. 14. Adde, Lamy, Droit pénal des affaires, 2008, n° 308.
(11) Ces éléments extérieurs peuvent consister en des documents destinés à donner force et crédit à la déclaration de sinistre (Cass. crim., 10 mai 1990, n° 89-81.772, publié N° Lexbase : A9162CGG, Bull. crim. n° 182 ; RSC, 1991, p. 557, obs. A. Vitu), en un dépôt de plainte (Cass. crim., 19 avril 1989, n° 88-80.179 N° Lexbase : A9194CWG, DP, 1989, comm. n° 11, obs. M. Véron ; Cass. crim., 8 septembre 2004, préc., et réf. préc.) en une demande de renseignements sur les modalités de remboursement du bien sinistré (Cass. crim., 6 avril 1994, n° 93-82.606, publié N° Lexbase : A3038CGM, Bull. crim., n° 135, DP, 1994, comm. n° 158, obs. M. Véron), en l'intervention d'un tiers (Cass. crim., 26 juin 1997, n° 96-84.030, inédit N° Lexbase : A6781C3K, D., 1997, IR, p. 194), ou encore en une mise en demeure de l'assurance d'indemniser le sinistre (Cass. crim., 22 mai 1984, préc. ; RSC, 1985, p. 557, obs. A. Vitu).
(12) Voir, également, en ce sens, J. Larguier, RSC, 1979, p. 539. Adde, A. Vitu, RSC, 1985, p. 63.
(13) Cass. crim., 17 juillet 1991, préc. ; Cass. crim., 1er juin 1994, préc..
(14) V., pour une motivation explicite en ce sens, Cass. crim., 17 juillet 1991, préc.. Adde, dans le même sens, M.-L. Rassat, op. cit., n° 134.
(15) V., particulièrement, en ce sens, J. Larguier, op. cit., p. 542 et s.. Adde, A. Légal, RSC, 1959, p. 842.
(16) V. Ph. Conte, P. Maistre du Chambon, op. cit., n° 334 ; R. Merle, A. Vitu, Droit pénal général, op. cit., n° 498 ; J. Pradel, A. Varinard, op. cit., n° 30, spéc. p. 389 et s..

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