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N4936BIN
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
En revanche, la statistique permet, également, d'alerter les pouvoirs publics sur l'effet d'aubaine que peut constituer l'application, depuis le 1er octobre 2008, du dispositif d'indemnisation renforcé. L'augmentation, en fin d'année 2008, du nombre d'incendies de véhicules laisserait penser que certains propriétaires mettraient, eux-mêmes, le feu à leur voiture pour encaisser une indemnité, a priori plus avantageuse que l'argus du véhicule en cause. On relèvera, dans les pages de la PQR, notamment, ce fait divers topique : le 18 novembre 2008, la police d'Epernay avait découvert une voiture incendiée ; le propriétaire s'était présenté au commissariat d'Epernay, déclarant que son véhicule lui avait été volé alors qu'il était stationné à la gare de Reims. Or, les policiers se rappelaient avoir croisé le même véhicule, deux jours auparavant, accidenté. La voiture était, en effet, stationnée à Epernay, apparemment hors d'usage. Après enquête, les policiers avaient convoqué le propriétaire qui avait fini par reconnaître qu'il avait eu un accident de voiture. Les frais de réparation étant trop élevés, il avait préféré faire une fausse déclaration de vol auprès de son assurance. Il n'avait, en revanche, pas reconnu les faits de dégradations par incendie. Il sera convoqué en mai prochain devant le tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne pour répondre de tentative d'escroquerie à l'assurance.
Les faits, chers à la matière pénale, pourraient n'avoir que peu de rapport avec notre actualité juridique de la semaine, si ce n'est cet arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 17 décembre 2008, sur lequel revient Romain Ollard, Docteur en droit pénal. En effet, après avoir relevé que le prévenu n'avait effectué aucune démarche auprès de son assureur pour déclarer le vol de son véhicule, la Haute juridiction conclut que la destruction d'un véhicule et la plainte pour vol ne constituent que des actes préparatoires qui ne sauraient, en l'absence de déclaration de sinistre, constituer un commencement d'exécution justifiant une condamnation pour tentative d'escroquerie, sur le fondement des articles 121-5 et 313-1 du Code pénal. La décision est d'importance car elle ferme la porte, à nouveau, à l'appréciation subjective de la tentative d'escroquerie à l'assurance.
Pour rappel, l'article 121-5 du Code pénal dispose que "la tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur". Avec l'arrêt du 17 décembre 2008, la Haute juridiction retient une conception objective du commencement d'exécution au détriment d'une conception subjective, parfois admise, sous le concept d'actes préparatoires. Ainsi, la Cour, en la matière, s'en tient à la nécessité de commencer à accomplir l'acte incriminé : une déclaration de sinistre à l'assurance en vue de se faire indemniser est donc nécessaire à l'incrimination de tentative d'escroquerie à l'assurance. La conception subjective du commencement d'exécution se serait appuyée, elle, sur tout acte, même non incriminé, qui aurait révélé l'intention de commettre l'infraction ; un acte univoque.
Traditionnellement, la jurisprudence, au-delà des querelles doctrinales, retient une solution intermédiaire, puisqu'elle définit le commencement d'exécution comme "tout acte accompli avec l'intention de commettre le délit et tendant directement au délit". Mais, en matière de tentative d'escroquerie à l'assurance, la Cour de cassation reste campée, depuis longtemps maintenant, sur le fait que n'est pas un commencement du délit d'escroquerie le fait d'incendier son propre véhicule et de rédiger une déclaration, alors que cette déclaration n'a pas été soumise à la compagnie d'assurance avec une demande d'indemnisation (Cass. crim. du 27 mai 1959). Alors, s'agit-il d'une exception ou d'une nouvelle orientation ? Ni l'un, ni l'autre nous enseigne l'auteur ; la Haute juridiction qui avait plutôt tendance à retenir une conception extensive du commencement d'exécution de l'infraction, fait de même en matière de tentative d'escroquerie à l'assurance, puisqu'une demande d'indemnisation explicite n'est plus nécessaire à la caractérisation de l'infraction. Seule la déclaration aux assurances suffit ; celle-ci comprenant directement et nécessairement une demande même implicite d'indemnisation.
Mais après tout, qu'importe ! "Toute tentative invraisemblable, à condition d'être entreprise avec un minimum de sens commun et sur une échelle modeste, possède une sorte de droit divin à un hasard heureux répété à une cadence régulière" (Peter Flemming, Courrier de Tartarie). Que l'on en est pour preuve ce Victor Lustig qui, non content de vendre, une première fois, la Tour Eiffel en pièces détachées à un ferrailleur dénommé Poisson (cela ne s'invente pas), en 1929, la vend une seconde fois, un peu plus tard, le premier acheteur ayant eu honte de révéler la supercherie à la police. Aussi, commencement d'exécution ou actes préparatoires, la loi ou la jurisprudence permettront d'appréhender les incendiaires de leurs propres voitures, comme n'importe quel Lustig...
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